Nourrir la réflexion

Voici l’histoire de Polarhagen, une exploitation maraichère fondée sur l’agriculture régénératrice, et de deux fermiers qui ont décidé de poser leurs valises dans l’archipel norvégien des Lofoten.

Texte & photos — Charles Post

«Si tu n’as rien à offrir au fermier, tu dois devenir toi-même fermier.»

Il suffit de voir le regard pénétrant de Parsa Massahi pour comprendre qu’il a fait sienne cette devise. Prenez un moment pour réfléchir au sens de ces mots. Intégrez leur profondeur, leur vérité, la façon dont ils remettent en cause le mode de vie qui prévaut dans notre société, à savoir la quête incessante de la richesse et du bonheur.

Dès que mon épouse et moi avons mis les pieds sur la terre noire de Polarhagen — la première ferme maraichère bio du nord de la Norvège qui repose sur l’agriculture régénératrice —, nous avons immédiatement senti l’irrésistible vigueur de cette oasis arctique. Ses propriétaires n’utilisent ni tracteur ni machinerie lourde pour entretenir les cultures. Il émane de cette ferme une intention sincère de bien faire les choses.

Nous suivons un chemin qui serpente entre les plants de chou kale et de roquette jusqu’à la maison de ferme blanche où vivent Parsa et Lisa, des agriculteurs de première génération qui semblent pratiquer une forme d’alchimie. L’histoire de la naissance de la ferme est une aventure en elle-même.

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Le couple s’est rencontré dans le sud de la Norvège. Ils ont longuement cherché l’endroit idéal pour bâtir leur vie ensemble et fonder une famille. Pendant toutes ces années, ils n’ont jamais perdu de vue le désir qu’ils avaient de vivre différemment et de travailler la terre. Ils ont parcouru le Danemark, l’Islande et la Norvège à la recherche d’un terrain où ils pourraient faire les choses à leur façon, vivant et dormant dans leur voiture. En dépit de tous leurs efforts, leur rêve restait hors d’atteinte. Avant de jeter l’éponge, ils ont décidé d’envisager de nouveau une option qui, jusque-là, leur avait semblé irréaliste.

Parsa raconte comment leur rêve s’est finalement concrétisé:

Au début de notre quête, le père de Lisa nous a annoncé qu’il repartait vivre en Russie pour prendre soin de ses parents vieillissants et qu’il nous laissait sa maison, située sur une ile éloignée au nord de la Norvège. À l’époque, on avait trouvé la proposition ridicule et on avait décliné l’offre en le remerciant gentiment. Le climat des Lofoten était trop froid, la maison ne venait qu’avec un tout petit terrain arable et la saison pour cultiver était trop courte. En plus, il n’y avait pas grand-monde pour acheter les légumes qu’on voulait produire, car la ville la plus proche ne compte que 4 000 habitants. Non, ce n’était tout simplement pas réaliste.

Mais le plan F a fini par devenir le plan B. J’en avais marre de me faire dire par d’autres ce que je ne pouvais ou ne devrais pas faire. On a donc décidé de tenter l’impossible.

J’ai fait une liste de tous les légumes capables de tolérer un climat froid. Je suis arrivé assez rapidement à 25 espèces différentes. On a débarqué dans l’archipel trois jours plus tard et on a tout de suite commencé à rénover la maison, qui avait vraiment besoin d’amour. On a travaillé dur pendant les longues nuits de l’hiver arctique. Quatre mois plus tard, quand on a eu fini les travaux sur la maison, on s’est attelés à construire une serre. Ça nous a pris deux mois. Puis, nous avons planté le potager. On est arrivés sur l’ile en novembre 2018 et on a distribué nos 20 premiers paniers le 9 juin 2019. Ils étaient remplis de magnifiques légumes provenant d’un potager qui n’existait pas à peine quelques mois auparavant. Polarhagen était né! L’épicerie locale, qui offrait déjà une variété impressionnante de produits, s’est enrichie d’une vaste gamme de légumes.

Polarhagen est maintenant intrinsèquement liée aux iles Lofoten, en Norvège. La ferme est imprégnée d’un profond respect pour l’écosystème local et pour la valeur inestimable de l’expérience. On sent que chaque chose et chaque être y ont leur place, tous tournés vers le même objectif. Dès que nous traversons le jardin de l’entrée et dépassons l’allée, qui vient tout juste d’être recouverte de paillis et qui est parsemée de quelques coquilles de moules, ma femme et moi sommes submergés par l’énergie du lieu.

À des centaines de kilomètres au nord du cercle arctique, nous sommes entourés d’une abondance improbable de verdure.

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Dans la vie, pour être déterminé, il faut avoir la certitude que l’on prend la bonne direction tout en ayant une bonne compréhension des raisons qui nous poussent à emprunter cette voie. Parsa et Lisa n’ont aucun doute quant à la vie qu’ils veulent mener. Il nous a suffi de partager avec eux un repas simple composé d’une salade, d’un peu de fromage de chèvre local et d’un café pour le comprendre. Ils rejettent «la croyance selon laquelle la prospérité se mesure à la somme d’argent dans votre compte de banque ou à l’épaisseur de votre portefeuille», comme l’exprime Parsa. «La véritable richesse, à mon avis, c’est de partager un repas avec des amis», ajoute-t-il. Vous comprendrez clairement ce qu’il veut dire si vous avez un jour la chance de visiter Polarhagen par un bel après-midi d’été.

Après une tournée de présentations, d’accolades et de sourires chaleureux, Parsa nous entraine au-delà de la serre accolée à la maison de ferme et nous explique que tout ce qu’on voit a été trouvé, troqué ou construit de leurs mains. Nous sommes entourés de fleurs et de plants de persil, de radis, de chou kale, de roquette et de laitue soigneusement disposés en rangées. Le vert émeraude des laitues rappelle le lichen des rennes qui orne les montagnes et les éperons rocheux que l’on aperçoit à l’horizon. Chaque millimètre de Polarhagen porte l’empreinte de ses propriétaires. En regardant autour de moi, je songe un instant que l’agriculture telle qu’ils la pratiquent est une vocation, un mode de vie.

Photo: Andreas Bastian Nordberg

Parsa se tient debout, enraciné dans le sol comme un chêne imposant. La terre foncée sur laquelle il pose ses pieds nus est pleine de nutriments. Elle a été enrichie d’un peu de ce compost dont le tas, situé juste à côté de nous, dans l’ombre du mois de juin, est presque aussi haut que moi. La terre est l’un des plus grands biens de tout agriculteur. Et contrairement à la plupart des symboles d’opulence, elle n’a besoin que de trois éléments pour exister: de la matière organique, de la chaleur et du temps. Un agriculteur motivé qui dispose de chacun de ces éléments peut en faire quelque chose de remarquable. Vivante et dynamique, la terre est un écosystème peuplé d’une multitude d’espèces de microorganismes. Ce sont eux qui, collectivement, font le plus gros du travail, soit transformer la matière organique en un or noir capable de donner ses nutriments à la betterave et son gout estival sucré à la tomate.

Or, dans le monde entier, les sols se dégradent à un rythme alarmant. Selon un récent rapport des Nations unies, les couches de terre arable pourraient disparaitre complètement de la surface de la Terre d’ici 60 ans si nous continuons d’encourager leur destruction en laissant libre cours à des pratiques agricoles pétrochimiques qui ont des effets néfastes sur l’environnement. Heureusement, la terre est un élément incroyablement résilient qui est aussi capable de se régénérer.

Parsa et Lisa le savent bien. C’est une vérité qui guide chacun de leurs gestes. Sans un sol riche et sain, ils ne peuvent pas produire des légumes vigoureux ni mener la vie qu’ils mènent. C’est pourquoi ils enrichissent leur terre et en prennent soin. Ils ne lui en demandent pas trop. Ils s’en occupent comme d’un membre de leur famille. C’est cette attention qu’ils lui portent ainsi qu’aux cycles de la nature et aux systèmes sains qui façonne leur approche.

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Puisque la saison de croissance est très courte — quelques mois à peine —, il n’y a pas de temps à perdre. Il y a en effet beaucoup à faire pour préparer le sol pour les plantations, le nourrir pendant la brève période de croissance et fermer le jardin avant l’arrivée du froid. La saison est plus courte dans les iles Lofoten, certes, mais les principes d’entretien des sols sont universels. Partout, ils ont besoin d’être fertilisés et travaillés. Quand on respecte ces principes, on parvient à créer un écosystème microscopique dynamique capable de produire des légumes riches en nutriments.

Photo: Andreas Bastian Nordberg

Grâce à des rêveurs ambitieux comme les fondateurs de Polarhagen, le vent est en train de tourner. L’agriculture régénératrice se développe. Une vague d’entreprises et d’individus cultivent des fleurs ou des légumes à petite échelle, font la promotion de l’agriculture biologique et de la gérance du sol et contribuent aujourd’hui à faire évoluer nos systèmes alimentaires. Parsa et Lisa sont un exemple concret de ce que cette communauté peut réaliser; ils constituent une véritable force au sein d’un mouvement mondial. Et ils accomplissent tout cela en cultivant la terre d’une des localités les plus nordiques au monde.

Charles Post est un écologiste basé au Montana. Il est aussi cofondateur de l’organisation The Nature Project, qui s’est donné pour mission d’offrir à des jeunes défavorisés la possibilité de vivre des expériences en nature. Ses études à l’Université de Californie à Berkeley l’ont amené à développer une réelle passion pour les sciences, en partie grâce à sa mentore, la Dre Mary Power, une écologiste de renom. Depuis, sa carrière fait le pont entre son parcours d’écologiste et son intérêt pour la création. Il utilise son statut d’influenceur, ses films, dont certains ont été primés, son travail éditorial et son rôle de consultant en stratégie de marque pour sensibiliser un nombre encore plus grand d’entreprises et d’individus afin de cultiver chez eux l’envie profonde de sauver notre planète.

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