L’autonomie solidaire

Quand il n’est pas en salle d’opération à l’urgence de l’hôpital Santa Paula, le Californien Ross Monroe convertit sa cour arrière en espace communautaire pour accueillir des amis propriétaires de campervan et de micromaison, habités comme lui par le désir de vivre de manière autonome.

Texte et Photos—Catherine Bernier

En temps de pandémie, les opérations sont limitées à l’urgence de l’hôpital Santa Paula. L’assistant en chirurgie Ross Monroe profite du ralentissement social pour peaufiner son projet de conversion de minihabitations et consacrer davantage de temps à développer son autonomie collective dans sa cour arrière, là où quelques amis propriétaires de campervan et de micromaison cohabitent à proximité.

Son plus récent projet, une petite maison installée sur le plateau arrière d’un camion forestier datant de 1949, est le fruit d’une collaboration  avec des amis qui, comme lui, ne sont pas menuisiers de profession. Les uns et les autres travaillent à quelques mètres de distance ou à tour de rôle! Apprendre à construire soi-même un petit nid, à partir de matériaux de seconde main, prend tout son sens dans le contexte d’aujourd’hui. Ce n’est pourtant pas cette pandémie, ni même les feux de forêt — toujours plus fréquents — qui freinent Ross, sa copine, Danielle, et leurs ami.es à vivre en commune, où leurs valeurs respectives sont enfin incarnées. Bientôt, des poules et des chèvres feront partie du maillage communautaire, et le jardin sera agrandi, ce qui laissera suffisamment d’espace aux citronniers déjà bien fournis. Les quelques arbustes noircis par les flammes du Thomas Fire ayant ravagé Ventura et Santa Barbara en 2017 leur rappellent toutefois l’impermanence de la vie. Aussi bien se montrer d’emblée résilient et se rattacher à l’immatériel ― entre autres, au sens du partage.

Avide surfeur et grand voyageur, Ross aime être à son aise et prêt à toute éventualité lorsqu’il fait du camping, d’où son intérêt pour la transformation de campervans et pour la construction de microhabitations.

Comment est né ton intérêt pour la rénovation, et en particulier pour la conversion de campervans et la construction de micromaisons? Comment as-tu appris?

J’ai toujours eu envie de créer, et je cherche toujours des excuses pour exploiter cette énergie. Je pense que tout a commencé quand j’ai pris conscience que j’aimais camper et voyager en ayant à ma disposition tout ce dont j’ai besoin pour faire face à n’importe quel environnement. J’adore voir du pays dans ce genre d’«aventure-mobile», et je ne crois pas que de nombreux sacrifices soient nécessaires pour préserver le confort.

Je suis surtout un autodidacte, mais j’ai hérité une bonne part de mon ingéniosité créative de la famille de mon père. J’ai aussi des amis beaucoup plus expérimentés que moi qui sont de bon conseil. Plusieurs personnes m’ont pris sous leurs ailes au fil des ans.

 

Photo : Lee Dodds

Pourquoi as-tu finalement choisi de t’établir à Santa Paula?

J’ai acheté ma propriété en aout 2018 de l’ami d’un ami. J’ai choisi de m’établir à Santa Paula parce que je suis tombé amoureux de la région et, surtout, des gens qui y habitent. C’est un lieu magique qui, par bonheur, n’est pas aussi populaire que d’autres localités [de la Californie], une ville tranquille, agricole, habitée par une majorité d’Hispaniques. Je passe mes journées dans la salle d’opération de l’hôpital local, qui est perché sur une colline. Quand je regarde les montagnes de chez moi, je ressens une paix immense.

Peux-tu nous en dire plus sur ce qui se passe sur ta propriété?

En ce moment, deux amis proches vivent dans les vans qu’ils ont aménagées de façon très créative, un couple est établi dans une micromaison sur roues et quelques autres personnes habitent la maison principale. On croirait une secte, et c’est exactement ce dont il s’agit! Je rigole, évidemment, mais ce qui est certain, c’est qu’on en est venus à former un groupe bien particulier dont les membres se partagent volontiers l’espace. Il y a toujours quelqu’un en train de bâtir, de réparer ou de créer quelque chose. On travaille aussi à la construction d’une petite maison sur le plateau arrière d’un vieux Studebaker, un modèle datant de 1949 qui était autrefois utilisé comme camion forestier dans des régions reculées de l’Oregon. Il ne risque plus de bouger, mais on pense qu’il n’y a pas de meilleur lieu de repos pour lui. Il sera converti en studio indépendant de 240 p2, avec autant de fenêtres qu’il est structuralement possible d’en installer. On a aussi l’intention d’agrandir le potager et de construire un atelier de menuiserie et une douche extérieure au milieu des citronniers. Tout ça, entourés de quelques chiots maladroits qui nous aident à garder le sourire.

Comment la crise de la COVID-19 a-t-elle affecté ta communauté ainsi que les projets en cours?

La pandémie a eu des conséquences positives et négatives sur notre communauté. Le confinement a créé une atmosphère presque postapocalyptique: les routes sont désertes et les commerces sont fermés. Seule une équipe réduite de travailleurs maintient la localité en vie. Et c’est dans cette quiétude étrange que sont arrivés le printemps et ses effets revigorants. Je pense que cette pause a permis à de nombreuses personnes — et je nous inclus là-dedans — de se rapprocher de la nature ou de renouer avec elle. C’est très inspirant à voir. La crise nous a aussi donné la possibilité de terminer les multiples petits projets qui s’accumulaient: on a nettoyé le terrain, désherbé, organisé les outils, etc. En restant à la maison, on a enfin pu se concentrer sur ces tâches fastidieuses. On envisage aussi d’élever des poules et des chèvres. Je pense qu’on avait déjà tous pris conscience qu’on voulait être aussi autosuffisants que possible, et la pandémie a renforcé cette volonté.

Avez-vous trouvé le moyen de vivre tous ensemble en respectant les consignes de distanciation physique?

On garde tous nos distances et chacun travaille sur ses propres projets. C’est difficile, car on aime s’affairer ensemble, partager des outils, donner un coup de main à l’autre. Comme je travaille à l’hôpital, on essaie le plus possible de limiter les interactions.

Qu’est-ce qu’une communauté forte, selon toi?

Je pense que c’est une communauté dans laquelle chacun se sent valorisé. Adopter une approche collaborative permet d’avoir accès à toutes sortes d’idées novatrices et de maintenir l’enthousiasme. Je crois que n’importe quelle communauté peut être durable, pourvu que le changement soit considéré comme une force motrice. Nous, ce qu’on veut, c’est que tous les membres de notre groupe aient le sentiment d’être à la bonne place.

Penses-tu que c’est un mouvement qui prend de l’ampleur en Californie?

À l’heure actuelle, un mouvement national et international visant à créer un mode de vie plus abordable et plus conscient est nécessaire. Dans de nombreuses régions des États-Unis, les loyers ne cessent d’augmenter. D’une certaine manière, cela a servi de catalyseur, en incitant de nombreuses personnes à chercher des moyens de vivre plus efficients, qui incarnent davantage leurs valeurs. En Californie, les répercussions des incendies ont aggravé cette crise du logement. Santa Paula n’a pas été épargnée. Depuis, je suis plus sensible à l’importance d’être bien préparé pour faire face aux catastrophes, et ma conscience environnementale en général s’est approfondie. J’ai des amis proches qui ont été directement touchés par les feux, et je peux vous dire que ça vous fait reconsidérer ce à quoi vous attachez le plus d’importance sur le plan matériel.

Photo : Lee Dodds

Comment t’es-tu senti en 2017 quand le Thomas Fire s’est approché de ta propriété?

À l’époque, on vivait dans une petite maison au milieu de vergers d’avocatiers et de citronniers, au bout d’une route sinueuse, loin dans les terres agricoles de Santa Paula. La connexion cellulaire était très mauvaise, mais, miraculeusement, j’ai reçu l’appel d’un ami qui me demandait si on était en sécurité et à l’abri des incendies. Je suis sorti sur la véranda pour mieux entendre ce qu’il me disait et j’ai vu le feu s’approcher en grondant: il n’était plus qu’à quelque 400 m de la maison. J’ai attrapé mon chien et pris dans la maison quelques trucs à la hâte. On a conduit vers l’ouest pour se rendre chez un ami sur la côte. Le vent se déchainait et des flammes s’élevaient des deux côtés de la seule et unique route permettant de sortir du brasier. C’était surréel de laisser derrière nous une part aussi importante de nos vies en étant persuadés qu’on ne retrouverait que des cendres dans l’éventualité d’un retour. Cette nuit-là, on a fini par s’endormir malgré l’angoisse. À trois heures du matin, on a dû repartir parce que le feu s’approchait de l’endroit où on s’était réfugiés. On a pris nos affaires rapidement et on s’est mis en route vers Santa Barbara, au nord, où un autre ami proche nous a hébergés. Dans les jours qui ont suivi, l’incendie a dévasté les comtés de Ventura et de Santa Barbara. Quand on a finalement eu l’autorisation de retourner chez nous, on ignorait si notre maison était toujours debout. Après avoir dépassé la boite aux lettres carbonisée et remonté l’allée, on a finalement vu qu’elle avait tenu le coup. C’était un moment extraordinaire. Depuis, on se sent vraiment privilégiés, à plusieurs égards. Ça a été une expérience profondément marquante.

Parle-nous un peu des missions internationales auxquelles tu as participé en tant que sauveteur.

J’ai voyagé à l’étranger avec une organisation appelée ISLA (International Surf Lifesaving Association). J’ai décidé de m’impliquer parce que ça permettait d’assurer la sécurité des baigneurs sur des plages qui ne sont pratiquement pas surveillées et où l’on enregistre des taux de noyades élevés. J’ai eu la chance de travailler comme sauveteur au Nicaragua, en Grèce, en Macédoine et au Mexique. J’ai vécu toutes sortes d’évènements incroyables pendant ces voyages. C’est aussi à cette époque que j’ai compris que je pouvais mettre à profit mes compétences pour fournir des soins et du soutien à des communautés qui sont souvent négligées. Cette préoccupation s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans ma carrière actuelle et de façon plus large aussi.

Quel est le fil conducteur entre tes différentes vies, à savoir celles de médecin, de sauveteur, de surfeur, de coureur et, depuis peu, de chef de communauté?

Les différentes voies que j’ai choisi de suivre s’appuient toutes sur un désir sincère d’établir des amitiés profondes et durables, de donner l’exemple et de rester curieux. Je suis là pour apprendre, construire et partager.

Rédactrice et photographe indépendante, aussi diplômée en psychologie de l’orientation et professeure de méditation, Catherine Bernier use de sa créativité pour éveiller les gens à la conscience de soi, collective et environnementale. Originaire de la Gaspésie, elle entretient une relation significative à la mer et aux vastes territoires sauvages qui teinte d’emblée sa démarche photographique. Son havre de paix, une cabine off the grid en Nouvelle-Écosse, lui permet d’arrimer ses valeurs à sa passion: le surf!

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