Une beauté aride

Richard Misrach trouve le sublime dans la rudesse du désert.

Photos—Richard Misrach
Texte—Mark Mann

C’est la lumière qui a attiré Richard Misrach dans le désert au cours des années 70. À l’époque, il photographiait des hippies à San Francisco, mais faire des portraits le rendait mal à l’aise. Il n’aimait pas le déséquilibre des forces: l’appareil photo racontait davantage sa propre histoire que celle de ses sujets. Il a finalement trouvé en ces lieux un sujet plus résilient: le ciel, le soleil, la pierre, la poussière et les traces de civilisation. C’est une beauté austère, qu’il peut scruter sans fin. Il en a fait son terrain de prédilection depuis.

Title: San Gorgonio Pass, 1981 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Misrach a grandi à Los Angeles. Jeune, il traversait régulièrement le désert des Mojaves avec sa famille pour aller skier dans la Sierra Nevada. «Le désert me faisait peur, se rappelle-t-il. Cette impression de vide infini avait quelque chose d’effrayant.» Or, c’est ce minimalisme, précisément, qui l’a fasciné quand, adulte, il l’a redécouvert. Misrach a alors tout de suite saisi le potentiel photographique unique des paysages arides et lumineux de l’Ouest américain: «Pour moi, le désert est une scène: ce qui s’y trouve est automatiquement mis en évidence. Le paysage est tellement ouvert que tout ce qu’on voit apparait au premier plan.»

Title: Normandy Wall Near Ocotillo, California, 2015 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Dès le départ, le photographe s’est déplacé à pied. «Le désert exige qu’on le parcoure en marchant», explique-t-il. Son appareil photo 8×10 à l’épaule, Misrach errait jusqu’à ce que quelque chose attire son œil. «Dans la forêt, on suit un sentier, observe-t-il. Dans le désert, c’est une autre histoire. On peut regarder dans n’importe quelle direction sans que le paysage change.»

Au début, Misrach réfléchissait à ce qu’il voulait photographier avant de partir à la recherche de cet élément. «À tout coup, à mon retour, je réalisais que mes images n’étaient pas assez percutantes», dit-il. Il a donc changé de stratégie et s’est mis à chercher la lumière.

Title: Battleground Point #20, 1999 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

«J’ai commencé à m’intéresser aux prévisions météorologiques. La météo est plutôt constante dans le désert: le soleil brille jour après jour. Quand je voyais qu’une tempête se préparait ou que l’on prévoyait des nuages, je me rendais sur place.» Lors  de ces excursions, il n’était pas rare que le photographe tombe sur des traces révélant une intervention humaine dans le paysage: des vestiges d’inondations et de feux, des sites d’atterrissages de navettes spatiales ou d’essais nucléaires, etc. Misrach parle avec beaucoup d’affection du lieu des essais nucléaires Bravo 20, au Nevada. «C’est le plus bel endroit que j’aie vu de ma vie, dit-il. C’est un lieu apocalyptique, certes, mais l’espace, la lumière et la texture de la terre supplantent cet aspect. La destruction et la beauté y coexistent. Je devais transmettre cette réalité.»

Title: Submerged Trailer-Home, Salton Sea, 1985 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Les clichés de Misrach ont souvent une dimension politique. Il a, par exemple, photographié le mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique bien avant que Trump n’en fasse son cheval de bataille. «Le mur est illusoire et l’a toujours été, soutient-il. Les migrants passent par-dessus ou en dessous ou le contournent. Ce n’est, en fin de compte, qu’un symbole politique.» Misrach le décrit comme un «antimonument». Ainsi, si la statue de la Liberté est un symbole historique de l’accueil des immigrés et des plus démunis, le mur frontalier envoie le message contraire. «En gros, il dit: “Allez-vous-en, on n’en a rien à faire de vos problèmes.”»

Title: Wall, Near Los Indios, Texas, 2015 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco
Title: Cabbage Crop Near Brownsville, Texas, 2015 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Au fil du temps, les êtres humains ont commencé à réapparaitre dans les clichés de Misrach. «J’intègre souvent une petite forme humaine dans un vaste paysage pour donner une idée de l’immensité.» Cette technique a permis au photographe d’entamer un processus de guérison inespéré. Après les attentats du 11 septembre à New York, Misrach, comme beaucoup d’entre nous, a été profondément bouleversé par les images des gens sautant des tours. «Ça m’a vraiment ébranlé, exprime-t-il. La posture de ces individus alors qu’ils tombaient dans le vide avait quelque chose de particulièrement puissant sur le plan existentiel.»

Title: Tourists, Utah, 1994 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

Il a commencé à remarquer que les gens qui se laissent flotter dans l’océan adoptent naturellement une posture similaire. «Cela m’a fait penser à cette échelle humaine, à cette petite forme au milieu du vaste sublime.» Depuis 2001, il alterne ses promenades dans le désert avec des séjours à Hawaï, où, à l’aide d’un téléobjectif, il prend des photos depuis un balcon situé au huitième étage d’un hôtel en bord de mer, souvent pendant plusieurs semaines d’affilée. «Alors que j’erre en quête de la lumière idéale dans le désert, à Hawaï, je ne bouge pas. Je suis la charnière immobile d’un monde en mouvement. J’assiste à ce qui se passe devant moi.» Depuis son perchoir, il observe le cortège des évènements de la vie: des baptêmes, des mariages et même des funérailles de surfeurs disparus en mer. La plupart du temps, toutefois, il cherche du regard les êtres qui se laissent flotter sur les eaux, s’abandonnant un instant dans le sublime infini de l’océan.

Title: People on Raft with Oil Derricks, Santa Barbara , 1984 Credit: © Richard Misrach courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco

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