La gaspésie, une enjambée à la fois

Pour se laisser imprégner du territoire et des rencontres, dix athlètes ont visité la péninsule au pas de course.

Texte—Mélanie Gagné
Photos—Cédric Bonel

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La bande-son hypnotisante des vagues, les phoques couchés sur les rochers au jusant, le parfum tonique des rosiers sauvages, le capelan qui roule, une plongeuse en apnée qui récolte des algues, les petites fraises qui se dégustent à même le champ, le nordet qui courbe le foin de mer : rien n’échappe aux sens en éveil de celui ou de celle qui prend son temps. Pour saisir l’essence d’un territoire, il faut ralentir. Ranger son cellulaire, ses certitudes, sa liste de choses à faire dans le coffre à gants, descendre de la voiture et s’ouvrir à ce qui se présente.

Lorsque nous marchons ou cou­rons, nous devenons plus attentif·ve·s au grain des choses. Le rythme de nos pas s’arrime à celui de la nature et des êtres humains que nous rencontrons.

Et si l’exploration lente était la meilleure façon de (re)faire connaissance avec la Gaspésie ?

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L’été dernier, un groupe d’athlètes de Montréal, fatigué de la crise sanitaire et du confinement, a imaginé un tel voyage.

L’idée a d’abord émergé lors d’un barbecue entre amis, dans une cour de la métropole. Pierre-Alexandre Cardinal, Samuel Ostiguy et Jérôme Grenier-Desbiens parlaient de leurs plans ratés de l’année, lors­qu’est né leur désir de créer une expérience humaine et sportive en plein air, près de la mer. « On ne voulait pas partir une gang de boys ensemble. Ce genre de truc a été fait et refait. On songeait à une communauté qui représente le Québec d’aujourd’hui, sa diversité », raconte Pierre-Alexandre, amoureux de la Gaspésie et coureur depuis plus de cinq ans.

Les gars ont soumis leur idée à Tourisme Gaspésie, dont l’ambition est justement de faire rayonner le territoire — sa chaleur humaine, ses richesses natu­relles, ses délices gourmands — à l’échelle du Québec. Ensemble, ils ont élaboré le projet Terroir d’aventure : une course à relais de 1 000 km, débutant à Sainte-Anne-des-Monts et culminant au mont Albert, avec, entre les deux, un tour de la péninsule. Les athlètes sillonneraient le parcours de jour comme de nuit, et s’arrêteraient chez une multitude d’artisan·e·s de la région.

« On voulait se laisser inspirer par les paysages grandioses, en tout respect du territoire — et des gens qui y habitent. Il y avait aussi la curiosité d’aller à leur rencontre, de discuter avec eux. Quand on arrive quelque part avec humilité et curiosité, on peut apprendre, puis repartir avec quelque chose d’un peu plus permanent », explique Samuel, coureur, ancien militaire et organisateur d’expériences d’impact.

Le trio a recruté des volontaires dans son entourage. Des femmes, des hommes, des personnes nées au Québec, des personnes immigrantes, des passionné·e·s de course à pied et de défis. À la fin septembre 2020, Pierre-Alexandre Cardinal, Matthieu de Babef, Karine Corbeil, Sabrina Feddal, Marie-Josée Hotte, Jérôme Grenier-Desbiens, Mike Nicolas, Samuel Ostiguy, Gabrielle Pedneault et Alexandre Provost ont pris ensemble la direction de l’est du Québec, fébriles à l’idée de parcourir 1 000 km à relais — environ 20 km par jour, par personne — sur la route, sur la grève, en forêt ou en montagne.

À noter que de strictes mesures de sécurité — relatives à la COVID-19, notamment — ont été appliquées tout au long de la course.

Kilomètre 302 

du jardin à l’assiette

À Matapédia, les athlètes ont été accueilli·e·s pour le lunch dans une maison bleu roi vieille de 150 ans — la demeure d’un certain Casimir Gallant, premier Acadien de ce nom à s’établir dans le coin. L’établissement est désormais la propriété de son arrière-arrière-petit-fils, Dany Gallant, et d’Isabelle Côté. Le duo en a fait l’acquisition en 2018 : il souhaitait créer un café-auberge, un lieu de socialisation dans cette municipalité d’un peu plus de 600 âmes, située près des rivières Matapédia et Restigouche. D’abord partenaires d’affaires, Isabelle et Dany sont ensuite devenu·e·s complices de cœur.

Isabelle est la cheffe du café. La traçabilité, la fraicheur et la qualité des ingrédients sont essentielles pour elle : « Au début, Jérôme Bolduc, du Potager du Restigouche, nous approvisionnait en légumes. Lorsqu’il a décidé de mettre fin à son projet, nous lui avons proposé de travailler chez nous; nous voulions ajouter un potager à notre café-auberge. Depuis, nous pouvons servir des produits du jardin à l’assiette, et expliquer à la clientèle d’où viennent les plats. Ça cadre avec nos valeurs écologiques. » La cheffe rêve que 95 % de son menu provienne du Québec, et de la Gaspésie quand c’est possible. Aux athlètes qui ont pris place à sa table, Isabelle a offert un bagel au saumon fumé Monsieur Émile, de Percé, accompagné d’un potage de légumes du moment.

Il faut savoir que le potager de Chez Casimir est accessible aux citoyen·ne·s. Un caveau à légumes collectif a aussi été aménagé. Les gens jardinent et cuisinent ensemble; lorsqu’ils donnent un coup de main à l’équipe de Chez Casimir, ils reçoivent des légumes ou un repas en échange. L’esprit de communauté, la volonté d’autosuffisance alimentaire et le respect de la nature sont palpables à Matapédia, qui pourrait bien devenir un écovillage sous peu.

Kilomètre 377 

le terroir en bouteille

Un peu plus tard ce jour-là, à Carleton-sur-Mer, les athlètes se sont arrêté·e·s à la microbrasserie Le Naufrageur. Pionnière de la route des bières de l’est, elle a été aménagée en 2008, dans un ancien théâtre, par quatre Gaspésien·ne·s de cœur : Louis-Franck, Sébastien Valade, Christelle Latrasse et Philippe Gauthier.

« Nous avons accueilli les athlètes avec une bière désaltérante à l’eau de mer de la baie des Chaleurs. C’est une bière sure, avec une touche salée. Comme ils et elles étaient allé·e·s chercher des huitres William B, de la Ferme maricole du Grand Large, on a complété la dégustation avec une stout aux huitres », raconte Camille Ouellon, responsable des communications et des évènements pour Le Naufrageur. Les coureur·euse·s ont aussi eu droit à une visite guidée de la brasserie.

Photo: Samuel Ostiguy

Pour Louis-Franck et Sébastien, l’aventure entrepreneuriale a commencé en 1997, lorsqu’ils ont ouvert une boulangerie avec leur mère, Doria : La Mie Véritable. La boulangerie et la brasserie se sont par la suite fusionnées pour composer une seule et même équipe. « Quand on brasse une bière, tout ce qu’il reste de malt — la drêche —, on le récupère pour faire du pain », explique Camille.

Depuis les débuts du Naufrageur, « les ressources locales ont toujours été inspirantes pour nous », souligne Christelle, l’une des copropriétaires. Quelques exemples de créations puisées dans les richesses de la péninsule : une gose à l’argousier et à l’amélanche, une bière forte aux fraises de la Ferme Bourdages, une NEIPA au thé du labrador confec­tionnée avec le houblon de Bout d’Ligne. Les bières sont vendues sur place, mais elles sont aussi embouteillées et distribuées un peu partout au Québec. L’été, un micromarché de produits locaux est aménagé devant l’établissement. Christelle, Philippe, Louis-Franck et Sébastien emploient 26 personnes de façon permanente — en haute saison, ça tourne autour de 70. « Pour nous, c’est très important que notre équipe aime son travail et s’amuse, fait valoir Christelle. On est une famille. L’été, après le travail, on se réunit autour d’un feu et on passe du bon temps ensemble. »

Pour Sabrina Feddal, originaire de la France et vivant à Montréal depuis 12 hivers, la course marquait un premier voyage dans l’est du Québec. Elle a vécu plusieurs moments de grâce sur la route : « J’ai vu des pêcheur·euse·s de saumon à l’œuvre dans une rivière, avec des montagnes au loin, à perte de vue. Le mot beau n’est pas assez puissant pour qualifier cette scène. C’était splendide ! » Quelques cerfs de Virginie sont aussi venus saluer la coureuse sur son chemin. Bien sûr, il y a eu des moments à faire pâlir son sourire : pluie diluvienne, difficulté à se repérer en forêt la nuit, rafales de vents à 70 km/h en plein visage… Mais que serait une expédition sans possibilités de dépassement de soi ? « Le dernier jour, j’avais l’impression de boire du vent ! Il fallait pousser fort. Je me suis adaptée et j’ai ri ! »

Les sillons de notre passage sur un territoire devraient pouvoir s’effacer aisément, comme les traces dans le sable à la marée montante. Les souvenirs de voyage, eux, s’ancrent dans le cœur. « L’idée derrière la rencontre de deux communautés, c’est qu’elles puissent s’inspirer l’une l’autre, se pousser plus loin », résume Pierre-Alexandre Cardinal. Pour Samuel Ostiguy, l’expérience a été particulièrement révélatrice : « Ces artisan·e·s changent le monde, une initiative à la fois. Ç’a ravivé en moi le désir de créer des ponts, d’imaginer des évènements de plein air qui génèrent de la considération, de l’empathie envers autrui. » 

Mélanie Gagné est créatrice de contenu et enseignante à Matane. Le fleuve Saint-Laurent, toujours là dans son histoire depuis l’enfance, l’émerveille, l’apaise, l’inspire. Elle aime la vie en région avec sa famille, les randonnées sur la grève et en montagne, les marchés publics, la poésie et les cafés.

 

Tourisme Gaspésie est un organisme de promotion et de développement touristique. Il vise à positionner la Gaspésie comme destination d’envergure à l’échelle du Québec. Représentant près de 700 entreprises, l’organisme constitue une référence — et un outil — incontournable en matière de planification de séjours sur la péninsule.

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