La Matapédia entre cousines

Baptême de pêche, galets tranquilles et slushs aux petits fruits: récit d’un long weekend en Gaspésie, avec notre collègue Camille Monette.

Texte et photos—Camille Monette

En partenariat avec

 

Dans le cadre de

Jour 1 (première moitié)
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La route, la longue

Dix-sept mois. Dix-sept mois à nous ennuyer de nos ami·e·s, de notre famille, de nos sorties au resto, de nos allers-retours au bureau, de nos festivals d’été, de nos voyages improvisés. Dix-sept mois à partager notre quotidien avec le même partenaire de cuisine, de vaisselle, de marathons Netflix, d’infinies parties d’Agricola et de iPod Battle dans le salon. On s’aime bien, mais à un moment donné, on ne sait plus quelles nouvelles se donner.

C’est avec ce besoin d’aller voir ailleurs si j’y suis que j’ai proposé à une cousine de longue date (héhé) de faire un petit saut en Gaspésie, le temps d’un long weekend.

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Son quotidien à elle étant rempli de lifts vers l’école, de travail à distance avec bébé sur les genoux, de gestion de locataires et de soupers improvisés avec la belle-famille — maison intergénérationnelle oblige —, il va sans dire que cette escapade était l’occasion rêvée de souffler un peu.

Nous avons choisi de partir aussitôt le sac à dos zippé, plutôt que d’attendre sagement le lendemain matin comme prévu. «Rien qu’une vie à vivre», comme on dit. Après un arrêt pour faire le plein à mi-chemin, une première terrasse de vacances à Québec et une nuit dans un lit double comme quand nous avions 12 ans, nous avons repris la route. La longue. En ne manquant pas de nous arrêter à chaque vente de garage du Bas-Saint-Laurent et de piquer une jasette aux dames en négociant le prix des tasses.

Jour 1 (deuxième moitié)
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Prendre à droite

Un gros 12$ de vaisselle vintage et quelques dizaines de kilomètres plus tard, nous voilà enfin à la fameuse porte de la Gaspésie: Sainte-Flavie. Déjà? Déjà. Nous optons pour un arrêt au Ketch, microbrasserie ouverte depuis à peine trois ans, à quelques pas de la rive. Malgré l’air frais du fleuve, les tables à piquenique extérieures nous appellent. Nous savourons nos croquettes de crabe et notre hybride de bloody-ceasar-michelada pendant que le soleil se couche à l’horizon. Bon, c’est vrai, le ciel est couvert de nuages… Il faut juste faire travailler un peu notre imagination.

Au moment où nous réglons l’addition, un membre du personnel nous suggère de rester encore un peu, pour contempler les feux d’artifice au bout du quai. La fébrilité monte à mesure que les minutes passent, dans l’attente des premières étincelles.

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Puis, nous avons droit à une dizaine de minutes d’explosions colorées, ponctuées de «ouhhhhh» et de «aaaahh» et de «oh, c’est fini? Ah non, ça continuuuue!»

Nous n’avons pas eu notre coucher de soleil, mais nous avons eu notre ciel festif.

Alors que les VR, minivans converties et VUS variés continuent leur périple sur la route panoramique, nous prenons la droite, là où la 132 se sépare. Il est passé 22h; nous nous enfonçons dans les terres le temps de quelques dizaines de kilomètres, pour finalement poser la tête sur l’oreiller au Camping Bois et Berges, à Val-Brillant, dans La Matapédia.

Jour 2
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Les videuses de rivière

Le réveil sonne à 4h55, mais nous avons déjà les yeux grands ouverts, trop impatientes d’aller enfin faire notre baptême de pêche à la pourvoirie Fournier plein air. Gaétan, notre guide pour la journée, nous accueille près de la rivière Matane, à 30 minutes de notre camping. Plus de 20 ans d’expérience derrière la salopette: nous sommes entre bonnes mains.

– Sont où, vos chums?

– À la maison, avec les enfants.

– Pis vous, vous êtes venues pêcher.

– Oui, on avait l’gout d’essayer.

En tout cas, j’vous trouve pas mal bonnes de faire ça. On n’en voit pas beaucoup de filles dans les rivières. De plus en plus, mais pas assez. Chus ben content d’vous voir.

Il se retourne vers un autre pêcheur matinal et lui suggère, le sourire en coin, de changer de fosse. «Chus avec deux vraies videuses de rivière, si j’étais vous, je m’essaierais ailleurs.» On rigole tous les quatre.

Gaétan nous explique comment tenir la canne d’une main et tendre la soie de l’autre. Le bon mouvement, le bon rythme, le bon angle. «Trop vite, Camille, tu laisses pas l’temps à la soie de se déployer avant de la ramener.»

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La pause, presque imperceptible, est nécessaire. Sinon, le fil devient tout emmêlé.

À la fin de la journée, nous n’avons toujours rien attrapé. Rien d’autre que six heures de paix et de calme et de moment présent. Headspace peut aller se rhabiller.

Jour 3
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Les cassolettes endimanchées

À quelques minutes de route de notre camping se trouve la Vallée de la Framboise. Tellement proche, en fait, que nous passons tout droit et revenons sur nos pas en prenant les routes secondaires. Pas vilain, ce détour; car en hauteur, sur les plateaux, nous avons le point de vue parfait sur le lac Matapédia. La vallée verdoyante, les champs, le ciel bleu, les nuages de coton, on se croirait dans le plus beau des clichés.

Ferventes d’agrotourisme maraicher, nous sommes très très excitées d’aller remplir nos contenants Tupperware de petits fruits fraichement cueillis. La sympathique préposée nous accueille avec un grand sourire en nous annonçant que les framboises viendront trois-quatre jours plus tard et que son dernier panier de fraises vient d’être vendu. Elle nous console rapidement en proposant une dégustation de produits alcoolisés concoctés sur place. Nous ressortons de la boutique avec deux bouteilles de vin de framboises «parfait pour une bonne sangria», une bouteille de sirop de cassis et deux slushs aux vrais fruits — framboise pour la cousine, camerise pour moi.

Nous profitons de notre passage par Amqui pour nous remplir la panse d’un brunch tardif à l’Auberge Beauséjour. Les serveuses bourdonnent autour de nous, ça sent la fin du service matinal, nous sommes arrivées juste à temps. «On va prendre deux cassolettes endimanchées, merci.» Nous nous sommes trouvé un nouveau surnom.

Pour l’après-midi, un plan-pas-de-plan: aller passer les prochaines heures sur la plage du parc régional de la Seigneurie-du-Lac-Matapédia. Nous la partageons avec tout au plus trois familles; s’il était situé à proximité de Montréal, l’endroit serait bondé.

Un bout de lac juste à nous, calme comme tout. Nous sortons le Rummy, le vin, les chips. De l’autre côté de la pointe, un boat party de samedi après-midi. Nous y jetons un œil, pour nous réfugier aussitôt sur nos petits galets tranquilles.

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Nous marchons le plus loin possible dans l’eau, parlons, flottons, regardons l’horizon en silence, les pieds dans le sable. Une fois la peau assez ratatinée, nous nous étendons sur une couverture. Et nous séchons.

Parce que c’est un peu ça, les vraies vacances: pouvoir sécher en paix.

Jour 4
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En équilibre

Nous avons passé la nuit à la divine Auberge La Coulée Douce, à Causapscal. Deux chambres solos: la cousine n’en croyait pas ses oreilles. Pour celle qui dort avec deux enfants et un chum, et après plus d’un an de confinement, c’était presque comme se faire annoncer que son Gagnant à vie était gagnant. Presque.

Aujourd’hui, nous reprenons la route vers la municipalité de Matapédia, destination ultime du périple. Juste avant, nous ne pouvons nous empêcher de faire un court détour par la chute à Philomène. À quelques pas du stationnement, la plateforme suspendue s’élève au-dessus de la chute et offre une vue imprenable sur la vallée. Nous avançons lentement vers la pointe du belvédère, là où le plancher devient transparent. Le vertige nous prend au ventre, puis s’évapore aussi rapidement qu’il est apparu. Pour admirer la chute de plus près, nous descendons les longs escaliers. Le soleil plombe à travers les gouttelettes, le bruit de l’eau prend toute la place, l’endroit est à nous seules. La sacrosainte paix au creux des montagnes.

Essoufflées de notre remontée, nous embarquons dans la voiture pour les derniers kilomètres du voyage. Au programme: un après-midi de planche à pagaie sur la rivière Matapédia. Nous n’aurions pas pu demander mieux pour clore l’escapade. La navette de Nature Aventure nous transporte à 10 km en amont de la rivière pour la mise à l’eau. Notre guide nous met au défi de le suivre pour aller jouer dans la vague surfable. Défi relevé. (Avec beaucoup moins de grâce et d’aisance, mais bon, on garde ça entre nous.)

La suite du parcours alterne entre des moments de grande tranquillité, où nous flottons en silence sur les eaux limpides, et des moments d’adrénaline, où les rapides nous réveillent et nous forcent à faire preuve d’agilité. Un peu comme à la pêche au saumon. Un peu comme dans la vie.

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Isabelle, de l’auberge Chez Casimir, nous accueille pour notre dernière nuit de repos. Nous nous y sentons un peu comme chez une amie: elle nous arrange la chambre d’invité·e et nous sert à boire jusqu’à tard. Au petit matin, le déjeuner est délectable, avec ses légumes du jardin, son pain de la boulangerie locale et son jambon, effiloché par notre hôtesse la veille, pendant notre jasette au bar — et après sa rencontre avec le comité de gestion du jardin communautaire. Elle ne remplit pas nos bouteilles d’eau, nous suggérant plutôt d’aller le faire nous-mêmes, à la source naturelle, au pied de l’église. Ça ne s’invente pas.

Le gallon d’eau de source de la Matapédia rejoint les bouteilles d’alcool et les casseaux de petits fruits (achetés en bord de route) que nous rapporterons demain en ville, et que nous partagerons avec les nôtres.

Parce que oui, nous commençons à avoir hâte de les retrouver. Même si la Gaspésie nous a complètement ressourcées.

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