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Sainte-Flavie : un petit village aux grandes ambitions
Sainte-Flavie, c’est la porte de la Gaspésie qu’on traverse trop rapidement. Car selon Catherine Bernier, ce village du littoral mérite qu’on s’y arrête, le temps de s’inspirer de ses citoyen·ne·s qui — tels des rhizomes — nourrissent la vitalité, la résilience et la beauté du territoire.
Texte et photos—Catherine Bernier
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Je me souviens des étés de mon enfance à Saint-Flavie. Mes sœurs et moi vendions les fraises de mon père sur le bord de la 132. Il n’y avait pas meilleur endroit pour attirer les automobilistes en vacances! La maison de mes parents fait face à la halte routière à l’entrée ouest du village, où l’on peut lire: Bienvenue à Sainte-Flavie, porte de la Gaspésie!
Sourires candides, cheveux ébouriffés par l’air salin et petites dents rougies par les fruits, on baignait dans le décor vernaculaire de Sainte-Flavie, sans vraiment réaliser la chance qu’on avait de côtoyer autant de beauté.
Jeune adulte, j’avais peu d’occasions de socialiser et d’entreprendre des projets. Mais aujourd’hui, je découvre que mon petit village s’est réinventé. Il incube dorénavant des projets citoyens et attire l’attention d’une nouvelle génération d’entrepreneur·euse·s et de mordu·e·s de plein air à la recherche d’un milieu dynamique, où il fait bon vivre.
Malgré la menace d’érosion côtière, accentuée par les changements climatiques, qui touche de plein fouet la municipalité, plusieurs familles y ont vu une occasion de renforcer leur ancrage au territoire.

À l’image des sculptures en béton de l’artiste Marcel Gagnon qui se dressent à l’est du village, représentant un rassemblement de personnages grandeur nature émergeant du fleuve, les Flavien·ne·s ne fléchissent pas contre vents et marées : ils et elles s’unissent.

La famille Tremblay
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Hydromellerie du Vieux-Moulin
Mes sœurs et moi avions l’habitude de traverser le champ derrière la maison pour nous rendre secrètement au Vieux Moulin où on achetait des bonbons au miel. Normand Tremblay, le propriétaire, nous en donnait toujours plus pour notre argent et surtout, il prenait soin de nous transmettre son savoir sur les abeilles. La ruche d’observation trône toujours à l’entrée de la boutique, ainsi que le Musée de la Neufve-France, à l’étage, qui regorge de trésors patrimoniaux de la Nouvelle-France et d’artéfacts des Premières Nations collectionnés par Normand au fil du temps. L’ancien professeur d’économie au cégep se passionne aussi pour l’histoire et les bâtiments patrimoniaux.

Ancien moulin à farine construit en 1830, Le Vieux Moulin porte le nom de sa vocation première. Revalorisé en hydromellerie et en musée, il est un heureux mariage pour Normand qui l’a fondé durant l’époque «peace and love».
Chaque fois qu’on y retourne, Normand prend le temps de nous demander quels sont nos projets du moment. Normand n’est jamais pressé, même quand il y a achalandage. Il est là, présent à l’autre.

«Mon père, c’est le Yvon Chouinard de l’entreprise, la figure à la fois mystique et légendaire du Vieux Moulin. Si on veut l’attraper, il faut passer sur place. Il n’est accessible qu’en personne», me lance Nicolas, l’un des fils de Normand, impliqué dans l’entreprise familiale.
* Normand s’est d’ailleurs éclipsé lorsque venait le temps des portraits…
Telle une ruche bien rodée, l’entreprise doit son succès à la présence de Normand et à l’apport de ses fils. «Ce n’est pas toujours facile de travailler en famille, mais ça a ses avantages, tout le monde a sa place bien distincte et connait ses erres d’aller», renchérit Nicolas. Alors que Guillaume (l’autre fils) s’est développé une passion pour la fermentation — l’hydromel de calibre international, plusieurs fois médaillé d’or, ne cesse d’évoluer grâce à lui —, Nicolas et sa femme s’occupent de la mise en marché. Aujourd’hui, on retrouve hydromels mousseux et tranquilles dans les SAQ et épiceries fines du Québec et une vaste gamme de produits fins de la ruche sont vendus en ligne.



Tout comme Nicolas qui a appris les rouages de l’entreprise familiale «sur le tas», ses propres fils suivent le pas. «On passe beaucoup de temps au Vieux Moulin. Albert et Léo viennent parfois nous aider à la boutique, mais jamais bien longtemps… ils préfèrent pêcher au ruisseau et c’est bien correct comme ça!» Nicolas est un mordu de plein air. Si jeune adulte, il pensait faire carrière avec son groupe de musique, il a plutôt choisi de participer à l’entreprise familiale pour bénéficier d’un mode de vie plus actif. En dehors de l’hydromellerie, on peut le croiser dans les sentiers de hors-piste avec sa planche à neige ou à vélo de montagne. Sa famille et lui partent tous les weekends pratiquer les sports qui les passionnent. Après tout, il faut profiter des atouts d’une aussi belle région.

Dans le premier guide touristique au Québec, publié en 1929, Sainte-Flavie était mentionné comme l’incontournable porte de la Gaspésie, un carrefour où l’on s’arrête pour choisir si on visite la Gaspésie par la côte ou la vallée de la Matapédia. Avec le temps, Sainte-Flavie est devenue une destination. Le dynamisme qui en résulte permet aux chef·fe·s d’entreprise de la région d’arrimer leur plan d’affaires à la qualité de vie rêvée pour leur famille.

La famille Fortin
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Le Ketch
J’attendais de visiter cette microbrasserie avec impatience. Non pas que je sois folle de la bière, mais le village avait grand besoin d’un lieu rassembleur comme celui-ci. Un lieu pour se donner rendez-vous entre amis, pour manger local comme un local, pour se confesser entre deux IPA, pour croiser des voisin·e·s qu’on a pas vu·e·s depuis longtemps, pour créer des ponts entre les touristes et les gens du coin autour d’évènements culturels.

Le Ketch a ouvert en 2018, amenant avec lui un vent de fraicheur. Au-delà de sa grande popularité auprès des passant·e·s, le projet du Ketch porte un message de fond pour la communauté locale: il est possible d’entreprendre des choses ici, autrement et viablement.
«On avait en plein cœur du village un magnifique bâtiment à l’abandon qui ne demandait qu’à accueillir des gens», lance Jean-François Fortin, maire de Sainte-Flavie et professeur en sciences politiques au Cégep de Rimouski, qui a cofondé la microbrasserie avec 9 partenaires. Il fallait pouvoir financer des rénovations majeures et requalifier le bâtiment pour des activités commerciales. «C’est dans l’idée de répartir les risques qu’on a choisi de fonder une compagnie familiale, où chacun·e s’investit à sa manière pour faire vivre le projet qui nous unit.» Aux yeux des capitaines à la proue du navire, l’idée d’une microbrasserie était une trame de fond idéale pour générer une effervescence au village et ranimer le dynamisme communautaire.
En trois ans, l’objectif est atteint: la microbrasserie alimente un profond sentiment d’appartenance. Pendant la pandémie, le Ketch s’est équipé d’une encanneuse et a commencé à vendre de la bière dans un format unique de 750 ml (king can) incitant au partage. Non seulement les bières du Ketch répondent-elles à la mission première de l’entreprise: rassembler les gens, mais elles se sont taillé une place de choix auprès des adeptes du houblon. Guillaume Savard, anciennement animateur de radio, réorienté en brasseur, a poussé sa passion à l’excellence. Il est aujourd’hui reconnu par les expert·e·s du milieu pour ses bières spécialisées, notamment des sures aux fruits et des NEIPA d’inspiration de la Nouvelle-Angleterre qui valent le détour.


Le Ketch, c’est une histoire de famille élargie. «Nous impliquons nos 45 employé·e·s dans les processus décisionnels. On les met en mouvement, en favorisant la hiérarchie horizontale, un peu comme une coopérative», mentionne Jean-François.
Les employé·e·s sont aussi formée·s pour bien accueillir les gens de passage et leur recommander d’autres commerces de la région. «Qu’ils ou elles aillent manger au Capitaine Homard, au Centre d’Art Marcel Gagnon ou au Gaspésiana… au final, on est content que les gens restent à Sainte-Flavie. L’entraide entre entreprises est synonyme de synergie locale et d’un développement régional sain», renchérit Jean-François.

Carboneutralité pour 2022
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«Les épisodes de grandes marées nous ont amené·e·s à repenser notre territoire», confie Jean-François Fortin.
Sainte-Flavie a décidé de faire de sa condition fragile un levier de mobilisation, en plaçant l’environnement au cœur de ses décisions. Le village allie politique familiale renforcée, carboneutralité et sécurité communautaire. Sainte-Flavie sera l’une des premières municipalités dites «carboneutres» au Québec.
Des études réalisées avec la Chaire de recherche en érosion côtière de l’UQAR ont permis de cibler les secteurs les plus à risque d’érosion et d’immersion côtière. «Les changements climatiques, on les observe à échelle humaine. Par exemple, la fonte des glaces arrive plus tard et repart plus tôt, des bouts de terrain se dissipent à chaque tempête… Enfin, on n’a pas le temps d’attendre que des actions se prennent en haut.» Jean-François et son équipe valorisent la démocratie participative au sein de la communauté.
«Quand on implique les gens au lieu de leur imposer une vision, le moteur de changement est plus rapide, dit Jean-François Fortin. Avec un peu moins de 1000 habitant·e·s, ça prend des gens convaincus qui portent les projets à bout de bras», renchérit le maire.
Parmi les initiatives à souligner, mentionnons la participation de Saint-Flavie à un projet-pilote du ministère de la Sécurité publique qui permet aux résident·e·s à risque de bénéficier d’une indemnisation pour déplacer leur maison dans une zone sécuritaire sur leur propre terrain ou de la localiser ailleurs dans le territoire. Lorsque cela n’est pas possible, les propriétaires peuvent toucher une indemnisation de départ et céder la maison à la municipalité, qui la mettra à l’encan afin qu’elle soit déplacée aux frais de l’acheteur·euse. «On ne souhaite pas démolir les maisons, cela ne s’inscrit pas dans notre vision durable», dit Jean-François. La nouvelle vitalité de Sainte-Flavie vibre à des kilomètres et attire une nouvelle génération de personnes à la fibre entrepreneuriale qui viennent agrandir la famille au village, pour le plus grand bonheur des citoyen·ne·s et des touristes. Ainsi, on voit de petites fermes biologiques émerger aux côtés des plus traditionnelles. «On sent une réelle effervescence dans la MRC de La Mitis. Des organismes comme le Mitis Lab soutiennent l’innovation en région et créent des ponts entre les entrepreneur·euse·s d’expérience et les novices. Ensemble, ils et elles contribuent à enrichir le terreau régional, voire même à montrer l’exemple au reste du Québec.»
D’ici quelques années, Sainte-Flavie perdra sans doute sa géomorphologie originale et des habitant·e·s seront forcé·e·s de partir, mais l’identité du territoire ne s’effritera pas pour autant.

La résilience des citoyen·ne·s, la mobilisation des élu·e·s du village et l’avènement d’une nouvelle vague de gens d’ici et d’ailleurs continueront de nourrir le champ des possibles.
Rédactrice et photographe indépendante, directrice de la programmation au Mitis Lab, Catherine Bernier est aussi diplômée en psychologie de l’orientation et en méditation. Originaire de Sainte-Flavie, en Gaspésie, elle cultive un lien privilégié avec l’océan et les territoires sauvages.
Tourisme Gaspésie est un organisme de promotion et de développement touristique. Il vise à positionner la Gaspésie comme destination d’envergure à l’échelle du Québec. Représentant près de 700 entreprises, l’organisme constitue une référence — et un outil — incontournable en matière de planification de séjours sur la péninsule.
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