Trouver l’essentiel en Gaspésie

Ils sont arrivés d’ailleurs. Quelque part entre la mer et les fous de Bassan, ils se sont établis. Et ne sont jamais repartis.

Dans le cadre de

Texte—Mélanie Gagné
Photos—Catherine Bernier

En partenariat avec

Le ciel me prend par la main
Le vent m’appelle par mon prénom

— Marie-Pierre Arthur

 

Est-ce nous qui choisissons la Gaspésie? Ou est-ce la Gaspésie qui décèle en nous le désir d’une vie apaisante, et qui fait en sorte de nous enraciner sur son territoire? Chose certaine, ils sont de plus en plus nombreux, les gens à avoir eu l’impulsion de quitter leur milieu d’origine — ville, banlieue ou campagne — pour s’offrir un quotidien flambant neuf dans la péninsule. Et les regrets sont rares. Rencontre avec deux Gaspésien·ne·s de cœur, très attachés à leur nouveau coin de pays.

Envoutés par la mer, le rocher et les oiseaux
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En 1994, Guylaine Dubois et son amoureux, Éric Noiseux, ont visité l’ile Bonaventure. Ils ont été profondément émus par la singularité de ce coin de la Gaspésie — au point où, lors d’une randonnée, ils ont formulé le souhait de vivre un jour près de la mer, du rocher Percé et des fous de Bassan. Le sentiment de ne faire qu’un avec ce territoire rustique a durablement pris racine dans leur cœur; ils ne l’ont, de fait, jamais oublié. En 2016, soit plus de 20 ans après le coup de foudre initial, la famille de Guylaine a quitté Dunham, dans les Cantons-de-l’Est, pour s’installer dans une jolie maison mauve à Percé, avec vue sur l’horizon bleu.

L’appel de la mer devait être fort, parce qu’il ne s’agissait pas d’une petite entreprise: mère de six enfants alors âgés de 8 à 25 ans, Guylaine avait aussi une compagnie et… 25 ânes, qu’il a fallu déplacer de près de 1 000 km. «Je lève mon chapeau à mon mari. C’est lui qui nous a déménagés avec notre remorque. En un an, il a fait 20 voyages avec le véhicule plein à ras bord, parfois de nuit. Toute une aventure!» L’une de ses filles est finalement restée à Dunham, mais les cinq autres enfants ont suivi. 

«On est contents d’être ici. Le rythme est différent, plus zen, plus doux. Avant, les client·e·s de ma boutique étaient souvent pressés: ils devaient traverser le pont avant que le trafic commence. En Gaspésie, on prend le temps de vivre.»

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À la base, Guylaine a appris à fabriquer du savon pour soulager les problèmes dermatologiques de l’un de ses enfants. Puis, elle a découvert qu’elle avait du talent, et elle a décidé de fonder une savonnerie. Elle crée maintenant une gamme de produits pour le corps à base de lait frais d’ânesse. «C’est le lait de Cléopâtre! Il est très bien toléré par tous les types d’épiderme. Je dis toujours: “Ce que tu mets sur ta peau, tu devrais pouvoir le mettre dans ta bouche”.» La savonnerie et asinerie Poussière d’Étoile a aujourd’hui 15 ans.

Guylaine travaille avec deux de ses filles Élisabeth est savonnière à temps plein et Camille gère la boutique au cœur de Percé. Elle s’imprègne chaque jour de la beauté sauvage de la Gaspésie, s’en inspire: «Je collabore souvent avec des entreprises de la région. J’utilise l’huile de chanvre de la Coop du Cap, le sapin baumier de Gaspésie sauvage, la rhubarbe et les pépins de fraise de la Ferme Bourdages, les amélanches du Domaine St-Maxime. Il y a tellement de richesses ici.» Guylaine confectionne en outre un savon au gin Les herbes folles pour la distillerie La Société secrète de Cap-d’Espoir, et compte bien intégrer la bière des microbrasseries du coin (Cap Gaspé, Pit Caribou, Auval, Brett & Sauvage) dans ses futures créations. 

Le changement de vie de la famille Dubois-Noiseux fait le bonheur de chacun·e. «On aurait dû foncer avant! C’est le plus bel endroit du monde. Ici, on est si près de la nature qu’on peut toucher les étoiles.»

Le 25 aout 2018, Guylaine et Éric ont renouvelé leurs vœux de mariage sur un bateau-passeur, devant le rocher Percé, les phoques, les baleines et les fous de Bassan. Pour honorer leur amour, bien sûr, mais aussi cette belle folie qui les a amenés à s’attacher à un nouveau territoire, ainsi qu’aux gens qui l’habitent.

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Un jardin sous l’eau
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Le Breton d’origine Antoine Nicolas a déposé ses valises à Grande-Rivière le 28 aout 2011, pour effectuer un stage de maitrise à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec. «Je rêvais depuis l’adolescence d’avoir mon propre élevage de coquillages. Je voulais aussi faire de l’aquaculture responsable de là le projet d’aller chercher un cours technique au Québec. Je me suis rapidement senti dans mon élément en Gaspésie. Pour aller plonger, je n’avais qu’à descendre le cap en face de chez nous.» Il n’est jamais reparti. 

À Grande-Rivière, Antoine a commencé à récolter des algues à la demande d’un professeur qui menait un projet de recherche. Il était le candidat tout indiqué pour le faire, notamment parce qu’il pratiquait la plongée depuis l’âge de cinq ans. Il a ensuite cueilli des algues pour l’entreprise Gaspésie Sauvage. Puis, en 2013, il a décidé de le faire pour lui-même. 

À Cap-aux-Os, Antoine a fondé Un océan de saveurs, une compagnie de cueillette et de transformation d’algues. Il a d’ailleurs obtenu la certification biologique — une première au Québec pour un producteur d’algues alimentaires. Il récolte 15 espèces d’algues (vertes, rouges et brunes) dans deux secteurs: Cap-aux-Os, ainsi que de Cap-des-Rosiers à Grande-Vallée.

Les résident·e·s du village ont l’habitude de voir Antoine rouler sur la 132 ou se rendre au dépanneur vêtu d’un wetsuit sur mesure. C’est que la récolte des algues se fait à l’année — été comme hiver — dans le golfe du Saint-Laurent. Une fois à la plage, il attache des sacs-filets à son petit radeau pneumatique. Un couteau est fixé à sa jambe, et il porte des palmes aux pieds. Dans l’eau, il enfile son masque. Il avance ensuite jusqu’à ce qu’il y ait deux à trois mètres de profondeur. Il plonge, cueille les algues une à une en les coupant à la base, et remonte pour les déposer dans ses filets. Une journée de cueillette peut durer de 13 à 14 heures, tout dépendant de la lumière.

«Travailler dans la nature, plonger, ce n’est pas la voie la plus facile, mais j’ai choisi de réaliser mes rêves. J’ai un côté anticonformiste. Ça m’a permis de bâtir mon entreprise dans un domaine qui n’existait pas.»

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Antoine a l’impression de vivre dans une carte postale. Son métier, à la fois intellectuel et physique, lui permet de saisir toute la magnificence du territoire gaspésien. Le monde sous-marin lui offre chaque jour des spectacles différents. Il côtoie les baleines, les poissons, les phoques, certains oiseaux. «J’ai déjà compté jusqu’à 12 phoques autour de moi. Ils sont timides, mais curieux. Des bébés viennent parfois mordiller le bout de mes palmes», raconte-t-il.

Une fois les algues récoltées, elles sont placées dans des glacières qui les conservent à la température de leur habitat naturel. Antoine est méticuleux; il tient à offrir un produit d’une grande fraicheur. «L’objectif est de garder l’algue vivante le plus longtemps possible. Si je la rince, c’est à l’eau de mer. Sinon, j’opère un tri manuel pour retirer les coquillages et crustacés. Je fais le moins de manipulations possible.»

Au départ, il vendait principalement des algues fraiches aux propriétaires de restaurants. Puis, il a bonifié son offre de produits de longue conservation: les algues séchées et congelées. Elles sont vendues dans un nombre croissant d’épiceries et de poissonneries, de même que sur la boutique en ligne d’Antoine. Le plongeur-cueilleur se fait aussi un devoir de transmettre ses connaissances, en participant entre autres à des salons; il veut amener les Québécois·e·s à intégrer ces légumes de mer dans leur quotidien.

Fier entrepreneur et papa d’une petite fille de cinq ans qui a des branchies comme lui, Antoine Nicolas ne quittera pas de sitôt son jardin sous la mer, en Gaspésie.

Vivre en Gaspésie est une stratégie régionale qui positionne la Gaspésie comme milieu de vie. Ses actions visent principalement la valorisation du territoire, l’attraction de nouvelles personnes ainsi que leur accueil et leur intégration. Pour en connaitre davantage sur la vie en Gaspésie: vivreengaspesie.com

 

Mélanie Gagné est créatrice de contenu et enseignante. Le fleuve Saint-Laurent, toujours là dans son histoire depuis l’enfance, l’impressionne, l’émerveille, l’apaise, l’inspire. Elle aime la vie en région avec sa famille, les randonnées sur la grève et en montagne, les marchés publics, la poésie et les cafés.

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