Un garde-manger à portée de main

Introduction à cinq plantes sauvages comestibles, à cueillir au Québec, entre ville et forêt.

Dans le cadre de

Texte — Caroline R. Paquette
D’après une entrevue avec Ariane Paré-Le Gal, copropriétaire de Gourmet sauvage

Photos — Xavier Girard Lachaîne
Illustrations — Bess Callard

En 2015, Ariane Paré-Le Gal quittait son petit bout d’urbanité montréalaise et son métier de journaliste pour aller s’enraciner, avec sa famille, dans la terre laurentienne. La raison de son déménagement: elle allait tenir les rênes de Gourmet sauvage, l’entreprise de cueillette et de transformation de produits forestiers fondée par son père, Gérald, une vingtaine d’années plus tôt. Si elle a d’abord vécu le «choc de l’urbaine», Ariane prend désormais grand plaisir à s’imprégner de ce qu’il y a autour d’elle. À apprécier le vivant, sous toutes ses formes. Couleuvres. Poules. Insectes. Et plantes sauvages, bien sûr, qui constituent la base vitaminée de son garde-manger.

Mais cette vie d’abondance, justement, serait-elle réservée aux gens qui élisent domicile en forêt? «Ceux qui croient que la cueillette sauvage ne se passe qu’en milieu éloigné ont tout faux. C’est à portée de main en banlieue, en ville», souligne Ariane. Parfois, il suffit de donner un peu d’air à sa pelouse: «On a déjà recensé 35 plantes comestibles sur un gazon qu’on avait laissé pousser pour faire un test!»

Elle a donc choisi pour nous cinq plantes sauvages comestibles, faciles à identifier, qui poussent généreusement au Québec — un élément à considérer absolument pour la pratique d’une cueillette responsable. Préparez-vous à scruter vos platebandes (ou les forêts de vos vacances) comme jamais auparavant!

NOTE: Ariane propose des plantes comparables pour chacun de ses choix, question de vous donner des repères gustatifs. Cela dit, elle vous invite fortement à prendre les textures et les gouts pour ce qu’ils sont… et à explorer!

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La marguerite blanche

«C’est une plante que j’affectionne particulièrement parce qu’elle est abondante, et qu’on la reconnait sans même avoir à l’identifier. Elle fait partie de notre quotidien. La marguerite est une magnifique façon de faire ses premiers pas en cueillette sauvage.»

Où trouve-t-on cette plante?

Partout au Québec, entre le champ et la ville.

Quand et comment la cueille-t-on?

La marguerite blanche est une plante bisannuelle. La première année, elle fait une grosse rosette de feuilles que l’on peut cueillir au printemps, dans l’entièreté, en coupant simplement la racine. En main, ça ressemble à une pomme de laitue — et ça se nettoie facilement. La deuxième année, la marguerite fait ses fleurs. C’est en été que l’on pourra prélever les feuilles sur la hampe florale.

Qu’est-ce que ça goute?

Les feuilles sont très épicées, presque poivrées. «Je les comparerais à une roquette, sans le côté noisette.»

Comment peut-on l’apprêter?

«Sur une pizza maison, je vais en saupoudrer de bonnes poignées, passées à l’huile d’olive et au citron, pour les parfumer. Ça donne un petit piquant, un bel accent sur les plats. Évidemment, on peut aussi en faire des pestos. Sinon, juste en salade.»

Les fleurs ouvertes peuvent également être consommées, sur des gâteaux ou en tempura, par exemple.

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Les câpres de boutons de marguerite

«Mon père a créé ce produit il y a 17, 18 ans. C’était une erreur de parcours: il cherchait de petits pois sauvages à cuisiner à des amis. Il a plutôt cueilli des boutons de marguerite et, quand il les a servis, les invités se sont exclamés: “Des câpres!” C’est devenu un classique, qui est entré dans le quotidien. Pour s’en faire, il faut prendre le bouton de marguerite quand il est complètement fermé — si on voit les pétales qui commencent à se déployer, ça va s’ouvrir à la cuisson, et on va se retrouver avec une câpre un peu mollasse. Puis, on le blanchit et on le marine.» On servira les câpres avec du tartare ou du saumon fumé, par exemple.

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Le sapin baumier

«C’est pour moi la quintessence de la démocratisation de la cueillette. On trouve le sapin baumier partout. Et c’est un arbre symbolique au Québec: on l’a dans nos salons tous les hivers, on en connait l’odeur. Mais on est intime avec lui seulement deux-trois semaines avant Noël, alors que c’est une très belle ressource de saveurs.»

Où trouve-t-on cette plante?

En milieu urbain, en banlieue, en forêt, sur tout le territoire québécois.

Quand et comment la cueille-t-on?

Les jeunes pousses printanières — «ma préférence!» — sont d’un vert lime très vibrant, facile à identifier. Elles demeurent tendres pendant une quinzaine de jours, après quoi elles vont durcir. C’est à ce moment-là qu’il faut les prélever.

Les aiguilles matures, elles, peuvent être cueillies à tout moment de l’année. 

Qu’est-ce que ça goute?

Les pousses printanières ont un gout d’agrumes, acidulé et légèrement amer. Une fois séchées, elles changent complètement d’arôme: «On tombe dans la cerise, la barbe à papa, le bonbon. C’est délirant.» Les aiguilles matures ont un gout plus résineux.

Comment peut-on l’apprêter?

On mange les pousses printanières fraiches et hachées, comme un condiment. «On traite le sapin comme on traiterait le romarin: on ne mangerait pas une branche de romarin au complet!» On peut ajouter les pousses à une sauce tartare, à une vinaigrette, à une salade. Quant au sapin séché, on l’utilise notamment pour parfumer la pâtisserie. «Moi, y a pas un gâteau au citron dans lequel je mets pas une cuillère à soupe de poudre de pousses de sapin. J’en mets aussi dans les muffins, les crêpes.» Les aiguilles matures servent à aromatiser différents plats. Un classique chez Ariane: le sapin burger.

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Bon à savoir: Tous les conifères se consomment au pays, sauf l’if du Canada.
Bon à savoir (bis): Avant de gouter à son sapin de Noël, on s’assure qu’il n’a pas été traité!

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-3-
Le chénopode blanc (ou chou gras)

 

«C’est une “mauvaise herbe” qui pousse souvent au potager, entre les rangs de tomates. Les gens l’arrachent, sans se douter qu’ils ont là une source extraordinaire de nutriments. De fait, le chénopode blanc fait partie des plantes les plus nutritives au monde, ni plus ni moins.»

Où trouve-t-on cette plante?

Partout où on ne l’attendait pas! C’est une plante envahissante, que l’on peut trouver dans le potager comme dans les craques du trottoir, aux quatre coins du Québec.

Quand et comment la cueille-t-on?

Quand elle est jeune, au printemps, on la cueille au complet. Plus tard dans l’été, on prélève seulement les feuilles.

Qu’est-ce que ça goute?

C’est une verdure dont le gout rappelle celui de l’épinard.

Comment peut-on l’apprêter?

«C’est une plante qui se mange bien crue en salade. Si on la cuit, elle réduit comme peau de chagrin. Quand je la chauffe, je l’ajoute toujours à la dernière minute.» On peut l’intégrer à des sautés ou à des soupes, par exemple.

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À garder en tête

Le chénopode blanc contient des éléments toxiques, dont la plupart disparaissent à la cuisson. Si on le mange cru, on s’assure de bien le rincer. Cuit, on en mange autant qu’on veut! C’est bourré de vitamine A et C, de calcium et de potassium, notamment.

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La monarde fistuleuse

«La monarde fistuleuse fait des fleurs mauves en pompons. On y trouve toujours des abeilles, des bourdons et, surtout, des colibris. C’est vraiment un chouchou à cueillir en nature, puis à amener au jardin. Elle est rustique, robuste, un peu envahissante — mais il n’y a pas de problème quand c’est bon à manger! C’est une plante que j’utilise presque tous les jours; mon épice sauvage tout-aller.»

Où trouve-t-on cette plante?

Dans des milieux semi-urbains, au sud et dans l’ouest du Québec. On l’aperçoit souvent sur le bord des autoroutes (mais ce n’est pas là qu’il faut la cueillir, évidemment).

Quand et comment la cueille-t-on?

On peut prélever les feuilles dès leur apparition. Et les fleurs, dès la floraison!

Qu’est-ce que ça goute?

Les fleurs et les feuilles sont très aromatiques — quelque part entre le thym, l’origan et le citron. Les feuilles ont un gout puissant, surtout si l’on cueille la plante tard en saison.

Comment peut-on l’apprêter?

Les feuilles se mangent crues, cuites ou séchées. Elles peuvent être intégrées à une panoplie de plats: potages, mijotés, riz, omelettes, pâtes…

Les fleurs aussi se mangent crues, en salade. On peut également les déposer dans des cubes d’huile d’olive, puis les congeler pour utilisation ultérieure — «c’est joli dans les potages et ça va chercher d’autres notes.»

Une autre possibilité? Sécher les fleurs et les feuilles, puis les boire en tisane, avec du sapin et du myrique baumier. «Ça donne une tisane d’hiver, riche, puissante… qu’on peut refroidir avec du sirop d’érable et du citron pour se faire un thé glacé!»

-5-
La quenouille

«La quenouille est un garde-manger sauvage en elle-même. C’est le dépanneur du coin: elle offre sept éléments différents que l’on peut manger tout au long de l’année. Mal pris, on pourrait même aller chercher le rhizome en plein hiver, en cassant la glace du marécage. Mais le plus intéressant demeure le cœur de quenouille, sur lequel on se concentrera aujourd’hui.»

Où trouve-t-on cette plante?

Dans toutes les régions du Québec. Elle pousse dans les marécages, les lacs, les fossés. Attention: c’est une plante filtrante. «Si on est dans un lieu pollué, la quenouille va aussi être contaminée. On s’assure donc de la propreté du milieu. Il faut la cueillir en amont — et non en aval — d’une ville, d’un village ou d’une décharge.» 

Quand et comment la cueille-t-on?

On la cueille en grande eau. «C’est là que le fun commence. On met de vieux runnings ou on reste nu-pieds, et on assume qu’on est dans la vase. Cette cueillette nous amène dans un milieu que nous fréquentons rarement, et qui nous permet d’établir une connexion avec la nature: les marécages, qui sont les pouponnières de nos forêts.»

On prélève le cœur entre la mi-juin et la fin juin, environ, dans la partie immergée de la quenouille, à sa base. Comment? «On donne un coup sec sur le plant, à un angle de 45 degrés, pour ne pas arracher le rhizome. La partie blanche, en bas, est celle qui nous intéresse: c’est la plus tendre. On enlève ensuite les couches extérieures, fibreuses, un peu comme celles du poireau, pour garder seulement le cœur.»

Fait intéressant: quand on prélève la quenouille, on signale au rhizome de produire une pousse. La cueillette assure donc la régénération de la ressource.

Qu’est-ce que ça goute?

Le cœur a un gout très délicat. On peut le manger cru; il a alors des notes poivrées. Si on le marine, ce côté-là disparait, et on tombe vraiment dans le cœur de palmier.

Comment peut-on l’apprêter?

On mange le cœur en salade, ou en tout cas d’une manière assez simple pour le mettre en valeur — car il n’a pas un gout très fort. On peut aussi s’en faire des conserves.

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À garder en tête

Attention à ne pas confondre la quenouille avec l’iris, qui est toxique. La quenouille est ronde à sa base; l’iris, lui, est plat.

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Gourmet sauvage se spécialise dans la cueillette et la transformation de produits forestiers. Fondée en 1993 par Gérald Le Gal, véritable pionnier dans son domaine, l’entreprise des Laurentides est passée aux mains de sa fille, Ariane, et de son gendre, Pascal, il y a cinq ans. Gourmet sauvage poursuit également un objectif de transmission du savoir: chaque année, elle initie des centaines de personnes à la cueillette responsable en forêt (pandémie oblige, les ateliers ont lieu virtuellement cet été). La publication du livre Forêt: identifier, cueillir, cuisiner, coécrit par Ariane et Gérald, s’inscrit dans cette même volonté de faire connaitre le terroir sauvage du Québec au plus grand nombre. À consulter sans modération.

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