Nager pour changer le monde

Un explorateur des temps modernes repousse les limites de l’endurance humaine pour attirer l’attention sur l’état des océans.

Texte—Mark Mann

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Il serait normal de conclure, en regardant des images satellites de la Terre, qu’il n’y a plus grand-chose à explorer. Tous les recoins du monde ont été relativement bien cartographiés et mesurés. Les photos qu’on en a faites peuvent être agrandies presque à l’infini. Dans ce contexte, que reste-t-il aux véritables explorateurs, à ceux qui continuent d’être attirés par l’inconnu?

Benoît Lecomte est l’un de ces rares aventuriers qui sont incapables de faire autre chose de leur vie. Ce Français de 52 ans a toujours cherché à satisfaire son désir irrépressible d’explorer les limites de l’expérience humaine — puis de les dépasser. Et il a trouvé une solution remarquable au dilemme de l’explorateur contemporain : il parcourt les océans à la nage.

Tout a commencé à l’adolescence, quand il a entendu parler de Gérard d’Aboville et de sa traversée de l’Atlantique à la rame en solitaire. L’homme qu’il est aujourd’hui a encore du mal à expliquer pourquoi cet exploit l’a aussi profondément marqué. Ce qui est clair, toutefois, c’est qu’il lui a permis de trouver sa voie. En 1998, Lecomte est devenu la première personne à parcourir l’océan Atlantique à la nage, sans planche pour le soutenir. Depuis, il a sillonné à la force des bras les plus grandes étendues d’eau de la planète, pendant plusieurs mois d’affilée, à raison de huit heures par jour — comme s’il s’agissait d’un boulot ordinaire —, respirant dans un tuba et regardant droit dans l’abysse. Le nageur avait trouvé un sens à sa vie et un moyen de s’accomplir, mais quelle signification cela avait-il pour le reste du monde ?

Photo: @osleston

Nager dans le plastique

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Au fil des ans, Lecomte a commencé à chercher un moyen d’associer sa passion à une cause plus noble. Après les attentats du 11 septembre, il a parcouru le littoral américain à la nage au nom de la liberté, terminant à Staten Island, à New York. Puis, il a trouvé une mission qui lui correspond : il crawle maintenant pour sensibiliser la population mondiale au problème des plastiques dans l’océan.

C’est un phénomène qu’il observe depuis peu. «Quand je jouais sur la plage, petit, je ne trouvais jamais de plastique, se rappelle-t-il. Aujourd’hui, avec mes enfants, c’est immanquable.» C’est justement leur avenir qui le motive à agir. « La prochaine génération devra payer le prix de notre inconscience. »

En 2018, Lecomte s’est donné le défi d’atteindre San Francisco à la nage depuis Tokyo — un trajet de 10 186 km — en compagnie d’une équipe de chercheurs. L’objectif était double : d’une part, attirer l’attention sur la crise du plastique dans les océans, qui pour certains peut sembler abstraite et lointaine; d’autre part, recueillir de première main des données de qualité sur l’ampleur de la situation. Les scientifiques qui l’accompagnaient ont collecté toutes sortes d’échantillons : de gros morceaux de plastique flottant à la surface, de petits fragments en suspension dans la colonne d’eau, sans oublier des microfibres invisibles qui, à chaque lavage, se détachent de nos vêtements par centaines de milliers. Avec beaucoup d’à-propos, l’explorateur a nommé son défi «The Longest Swim», mais des problèmes d’équipement l’ont contraint d’écourter l’aventure après 165 jours en mer et 2 821 km de nage.

Au cours de la dernière année, Lecomte est retourné sur place pour poursuivre son projet, cette fois avec le financement et le soutien d’Icebreaker, un fabricant de vêtements de plein air qui utilise essentiellement des fibres naturelles. « Ben montre bien comment on peut utiliser ses forces pour inciter les autres à penser différemment », explique Carla Murphy, responsable principale marque et produit pour Icebreaker. Pour inciter le monde à changer, ajoute-t-elle, il faut plus de gens comme Lecomte, qui est à la fois personnellement investi dans le projet et qui a conscience de l’importance de recueillir des informations fiables.

L’enjeu de la pollution des océans a été abordé plus directement lors de cette deuxième aventure. Cette fois, Lecomte a complété 648 km dans le «continent de plastique» du Pacifique Nord, qu’on appelle aussi le «Vortex». Il s’agit en réalité d’un tourbillon — formé par les différents courants océaniques — qui attire des débris provenant des quatre coins de la planète. S’il existe cinq tourbillons du genre dans le monde, celui qui se trouve entre l’archipel d’Hawaï et la Californie est assurément le plus grand et le plus pollué. Il couvre 1,6 million de km2 d’océan et contient environ 80 000 tonnes de plastique. Le nageur a judicieusement décidé de donner à cette nouvelle aventure le nom de «Vortex Swim».

Photo: @Sea.marshall

Une soupe de débris

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Les gens qui lisent au sujet de ce continent de plastique ont tendance à s’imaginer une ile de déchets flottants. En fait, il s’agit plutôt d’une soupe. On peut très bien ne pas se rendre compte qu’on le traverse si le bateau à bord duquel on se trouve se déplace rapidement. Quand on est dans l’eau, toutefois, c’est une autre histoire. Pendant trois mois, Lecomte n’a pas pu détourner le regard. Si de nombreux chercheurs travaillent à résoudre le problème, aucun ne l’a examiné d’aussi près que lui.

De gros débris flottaient parfois autour du nageur, mais celui-ci a surtout été marqué par le dense brouillard de microplastiques qui l’enveloppait — et s’étirait sur plusieurs mètres sous la surface. « Quand la lumière du soleil se reflétait sur les petits fragments, dit-il, j’avais l’impression de regarder un ciel floconneux la nuit. » Au départ, en fait, Lecomte croyait avec émerveillement qu’il nageait au beau milieu de microorganismes. Un jour, il a décidé de tirer les choses au clair. Et il a été horrifié par ce qu’il a découvert.

La nage en eau libre et la collecte de données offraient une combinaison efficace d’outils pour étudier le problème des déchets plastiques dans l’océan. Pour des chercheurs comme Sarah-Jeanne Royer, de l’Université de San Diego, principale conseillère scientifique du projet, cette initiative constituait une occasion unique. Contraints d’avancer aussi lentement que le nageur, les scientifiques pouvaient multiplier les observations méthodiques à partir du bateau et prélever un plus grand nombre d’échantillons. Pendant ce temps, Lecomte faisait du repérage sous l’eau, prenant peu à peu conscience de l’ampleur insoupçonnée du phénomène.

Chaque jour, Tyral Dalitz, le chef d’expédition, désignait les membres de l’équipage responsables d’appliquer les protocoles scientifiques et de collecter les données. Ces tâches étaient effectuées en alternance. Ils se relayaient aussi pour accompagner Lecomte en Zodiac, afin de l’aider à garder le cap, de même que pour assurer la maintenance du bateau de soutien. Chaque jour, ceux qui avaient été désignés pour récolter des données remplissaient un seau d’eau, le passaient au tamis et comptaient un par un les morceaux de plastique recueillis. Cela pouvait prendre des heures, car les microparticules ne mesurent parfois que quelques millimètres.

Quelle quantité de plastique y a-t-il réellement dans les océans?

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D’après une étude souvent citée et publiée en 2015, environ huit millions de tonnes métriques de débris plastiques sont rejetés chaque année dans l’océan, soit l’équivalent d’un camion d’ordures par minute. Ce chiffre ne tient cependant pas compte des répercussions mondiales de l’industrie de la pêche, qui, selon les recherches, serait un pollueur majeur, ni des microfibres de plastique provenant de textiles comme le lycra, le nylon ou le polyester. Soixante pour cent des vêtements d’aujourd’hui sont en effet fabriqués à base de plastique.

Ces microfibres sont invisibles à l’œil nu, mais elles représentent une quantité importante de déchets et sont particulièrement difficiles à recueillir. Une seule brassée de vêtements de polyester libère jusqu’à 700 000 microfibres, qui sont ensuite rejetées dans l’eau. « C’est une source importante de pollution dans l’environnement », explique Royer. La Fondation Ellen MacArthur estime que si nous ne faisons rien pour limiter l’usage de ces textiles, il y aura 22 millions de tonnes métriques de microfibres de plastique dans l’océan d’ici 2050.

Photo: @joshmunoz
Photo: @osleston

Un régime mortel 

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Pendant leur séjour sur l’océan, les membres de l’équipe passaient également une partie de la journée à compter les gros débris de plastique qui flottaient autour du nageur : des brosses à dents, des bouchons de bouteille et toutes sortes d’autres produits de consommation. C’était une tâche abrutissante, digne de Sisyphe, explique Dalitz, mais les interactions qu’ils avaient parfois avec la faune leur rappelaient l’importance de leur mission.

En se dégradant, le plastique se défait en petits morceaux. D’après Royer, de nombreux organismes marins en ingèrent : «Ces bouts de plastique remplissent leur estomac. Ils se sentent rassasiés, mais ils n’ont pas les nutriments dont ils ont besoin et risquent de mourir de faim.»

Lecomte et son équipe ont ainsi croisé des dauphins joueurs, des bancs de mahi-mahis et quelques requins curieux. Des albatros s’intéressaient aussi régulièrement aux activités des chercheurs. Leur rencontre la plus marquante ? Probablement celle qu’ils ont vécue avec des cachalots, dont un adulte de 49 pi de long. « C’était surréaliste de voir ces masses imposantes, se rappelle Lecomte. Un cachalot m’a regardé dans les yeux et s’est tourné sur le dos en nageant vers moi. Puis, il a plongé et disparu dans les profondeurs. »

Ces moments magiques prenaient cependant un gout amer quand l’équipe relevait des quantités inhabituellement élevées de microplastiques dans le seau d’eau quotidien. Portés par les courants, ces derniers étaient parfois concentrés au même endroit que le zooplancton. Les cétacés n’avaient alors d’autre choix que d’avaler simultanément un volume important des deux types de particules.

Photo: @sea.marshall

Dépasser ses limites

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Le plastique est permanent inaltérable. Il se dégrade, certes, mais il ne disparait jamais complètement. L’organisation sans but lucratif The Ocean Cleanup, fondée en 2013 aux Pays-Bas, a beaucoup fait parler d’elle : le dispositif qu’elle a réussi à mettre en place recueille les débris qui flottent à la surface du continent de plastique du Pacifique. Par contre, il ne permet pas de nettoyer la colonne d’eau, qui constitue le garde-manger de nombreuses espèces marines. «On doit trouver une solution, dit Royer. Il faut débarrasser les mers du plastique pour qu’il cesse de nuire à la faune.»

Photo: @osleston

Que la science parvienne ou non à trouver une solution au problème, il est urgent d’agir à la source. Si on ne fait rien, il y aura, en 2050, deux fois plus de plastique dans l’environnement qu’aujourd’hui. Les entreprises comme Icebreaker ont un rôle à jouer pour stopper le déversement de matières plastiques dans l’océan. «Il faut travailler avec des organisations qui en incitent d’autres à adopter des pratiques plus durables», explique Dalitz.

Et puis il y a Lecomte, qui, année après année, replonge pour s’assurer que le problème n’est pas oublié. Les milliers de kilomètres qu’il a parcourus en eau libre lui ont appris le pouvoir de la détermination. «Notre esprit nous joue des tours», affirme-t-il. Au lieu de se laisser envahir par les sentiments négatifs, il se concentre sur des objectifs atteignables — un autre jour, une autre heure —, ce qui, finalement, lui permet de réussir l’impossible.

Photo: @icebreakernz

Créée en 1995, Icebreaker fabrique des vêtements de plein air techniques avec des fibres naturelles comme la laine de mérinos, offrant ainsi des solutions de rechange durables aux vêtements en synthétique. La laine de mérinos a une empreinte environnementale plus faible que celle des autres tissus, parce qu’elle est naturellement biodégradable et qu’elle ne retient pas les odeurs; il n’est donc pas nécessaire de la laver aussi souvent. Les lavages moins fréquents permettent de limiter la quantité de microfibres libérées dans les cours d’eau. Chez Icebreaker, ce sont 84 % des vêtements qui sont fabriqués avec des fibres naturelles. Outre le mérinos, on utilise notamment le Tencel, obtenu à partir de plants d’eucalyptus durables.

De nos jours, 64 % des nouveaux vêtements contiennent des matières synthétiques dérivées de produits pétrochimiques comme le polyester, le nylon et le lycra. Les centaines de milliers de microfibres de plastique qu’elles libèrent à chaque lavage finissent bien souvent dans nos océans et nos cours d’eau, où elles sont finalement ingérées par des animaux marins. Afin de sensibiliser la population à ce problème et de permettre à des scientifiques de mener des recherches cruciales, Icebreaker s’est associée en 2019 à «The Vortex Swim» et à Ben Lecomte pour la traversée à la nage du centre du «continent de plastique».

Rendez-vous sur le site de la campagne « Move to Natural » pour en savoir plus sur les microfibres de plastique et sur les raisons écologiques qui justifient l’utilisation de tissus naturels.

→ movetonatural.com

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Cet article a été publié dans le numéro 07.

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