Voyager au centre de la terre fertile

L’apprentissage et la patience sont au cœur du parcours de Stacey L’Écuyer et de Philippe Choinière, propriétaires de l’entreprise de produits de soins naturels Oneka.

Texte—Juliette Leblanc
Photos—Alma Kismic

 

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En chemin vers Frelighsburg, j’emprunte des routes de campagne sinueuses qui me transportent d’un verger à un autre. Les fruits seront bientôt prêts; l’été tire à sa fin, et c’est à ce moment que les jardins débordent. Je pense aux plantes que nous cultivons, à celles qui poussent librement, à leur hiérarchie inconsciente dans nos esprits et aux cycles continuels de l’ortie, du pissenlit et de la bardane, ces végétaux précieux et sous-estimés.

Pour parler d’herbes et de fleurs, je vais à la rencontre de Stacey L’Écuyer et de Philippe Choinière, fondateur·rice·s et propriétaires de la compagnie de produits de soins naturels Oneka. Leur bureau, situé dans une maison ancienne inondée de lumière, est niché en plein cœur du village de Frelighsburg. Le bâtiment abrite aussi des installations de transformation des plantes (qui seront très bientôt déplacées à la ferme, quelques kilomètres plus loin) et l’appartement qui loge la famille — le couple et ses deux enfants. Les planchers craquent, et le cèdre et la sauge embaument l’air.

Dès le début de l’entretien, le ton est donné: Philippe, exubérant, loquace, offre spontanément des images évocatrices pour expliquer sa vision des choses, alors que Stacey s’octroie des temps de réflexion, accompagnés d’une gestuelle feutrée et d’un regard affuté.

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Il n’en demeure pas moins que quand l’un·e parle, l’autre écoute attentivement. Il et elle prennent d’ailleurs toutes les décisions ensemble — les prochaines étapes pour l’entreprise, le stade de croissance auquel seront récoltées les plantes, et le choix des aromates pour les shampoings et les savons vendus partout en Amérique du Nord.

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Bien avant la fondation d’Oneka, Philippe et Stacey nourrissaient le désir d’avoir un effet positif sur l’environnement et la santé des gens. C’est après une rencontre fortuite avec un chimiste, dans l’Ouest canadien, que la forme exacte du projet est apparue. Oneka est donc née en 2008; quelques années plus tard, le couple a acheté la ferme où sont désormais cultivées une bonne partie des plantes vivaces et indigènes utilisées dans ses produits.

Malgré les valeurs fortes qui ont guidé sa création, il n’y a aucune prétention, ici, à se positionner comme une compagnie qui connait toutes les réponses. Voilà plutôt une équipe en tout temps consciente des paradoxes qui se cachent derrière l’industrie des produits naturels.

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La consommation de plastique, entre autres, suscite chez elle recher­ches et interrogations constantes. Car si certains détaillants offrent le remplissage des bouteilles, le problème de base demeure… La présence de l’entreprise sur les réseaux sociaux est également discrète; les propriétaires tentent d’éviter l’activisme de performance. La liste de leurs engagements — envers des organismes qui plantent des arbres ou militent pour l’accès à l’eau potable chez les peuples autochtones, par exemple — est pourtant longue, même si elle est peu connue du public.

À ce stade de l’entretien, les deux filles du couple, Camille et Rafaëlle, entrent dans la pièce. Notre conversation continue tout bonnement, entre un nez à moucher, une mèche de cheveux à replacer et une question à répondre. Une culture de bienveillance qui se répercute bien au-delà des enfants : chacune des 15 personnes de l’équipe, répartie entre la ferme et les bureaux, est vue, écoutée et considérée. Là-dessus, Stacey et Philippe sont sans équivoque : la compagnie n’existerait pas sans ce réseau d’êtres humains qui croient en leur projet.

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Philippe a grandi à Frelighsburg. L’école du village, la rivière, les rangs de campagne et les vergers luxu­riants incarnent pour lui des visions familières. Après sa carrière dans le hockey professionnel, ce n’est donc pas un exode rural qu’il a fait, mais bien un retour vers la terre mère. Le verger familial sur lequel il a grandi lui a appris très jeune le travail éthique, la résilience, la patience; il lui a aussi appris qu’une entreprise traditionnelle pouvait dépendre de beaucoup de facteurs extérieurs, à commencer par un marché qui carbure à la croissance écono­mique, ce qui favorise l’utilisation d’intrants chimiques.

À la recherche d’une manière différente de faire les choses, Philippe s’est embarqué avec Stacey dans un long voyage sans destination claire, selon ses propres mots. «Notre chemin d’apprentissage est différent. Au lieu de faire un MBA, on a fait des erreurs!»

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Les dernières années ont effectivement été jalonnées d’embuches, entre les petites et grandes victoires. « S’il n’y a plus de défis, c’est trop facile, estime Stacey. C’est une manière d’apprendre, de check-in, c’est la vie qui nous demande : toujours là ? »

De son côté, Stacey a passé son enfance à Thunder Bay, en Ontario, et ses étés en famille à Lake on the Woods, près de Nestor Falls. Elle explique simplement : « Au sud, nous devions traverser le lac pour atteindre la communauté la plus proche, et par la terre, c’était plusieurs heures de voiture. Nous habi­tions une sorte de bulle, entouré·e·s de nature. » Un lieu figé dans le temps dont les odeurs, les couleurs, les textures et les sons ont sans nul doute façonné la femme qui se tient devant moi.

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La ferme d’Oneka se dévoile au sommet d’une vallée balayée par le vent. Mais plutôt que des plantations de soja, si communes dans les campagnes québécoises, ce sont des allées de calendula, de sauge, d’échinacée, d’églantiers, d’avoine, de mélisse ou encore de monarde qui se balancent doucement.

Adjacent au terrain de la ferme, le verger familial sera bientôt entièrement la propriété de Gabriel — le frère cadet de Philippe —, qui y dirige l’entreprise de cidres Choinière. La fratrie partage un entrepôt : une partie est réservée à la production de cidre, l’autre abrite des installations de séchage et de transformation de plantes. Ensemble, ils parlent de récupérer les pommes déclassées et de les transformer en vinaigre de cidre, qu’ils pourraient commercialiser en tant que produit corporel. Quatorze ans plus tard, le verger familial et l’entreprise de produits naturels convergent enfin. Philippe parle de boucler la boucle, mais réellement, il s’agit d’une autre voie empruntée par le même train.

L’énergie pour nourrir un projet ne peut exister que si on prend soin de soi-même — on l’aura entendue, celle-là. Mais force est de constater que le même principe s’applique à la vision de l’agriculture prônée par les propriétaires d’Oneka: travailler avec le sol plutôt que de l’exploiter.

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Si Philippe et Stacey suivent les principes de la permaculture, le projet va bien au-delà d’une étiquette. Leur exploration du terrain de 170 acres, dont la majeure partie est intentionnellement constituée de parcelles en friche où la nature reprend ses droits, leur permet de bien lire la faune et la flore, et d’implanter leurs zones de culture en conséquence. Pas question de siphonner le territoire : le couple travaille avec le cycle naturel des plantes et du sol. Certain·e·s s’étonneront de voir des pissenlits soigneusement semés près des fleurs de calendula, mais ici, toutes les plantes sont nobles — et chacune a un rôle à jouer dans l’écosystème.

Lorsque questionnée sur la manière dont le projet l’a changée au fil des années, Stacey prend le temps de réfléchir. « On ne peut rien forcer : ça mène nécessairement à un gaspillage d’énergie ou de ressources. J’ai appris à célébrer les plantes locales et indigènes, à écouter la nature et à l’observer sous toutes ses facettes. » Vivre le temps qui passe, sans le subir. Et se recentrer sur le fameux « voyage » d’origine, même quand le projet grandit et se développe.

Juliette Leblanc a quitté Montréal pour s’installer à la campagne, où elle passe le plus clair de son temps à converser avec son chien, ses poules et ses plantes. Au-delà de son travail de rédaction et de recherche, elle est éducatrice à la petite enfance, où elle apprend quotidiennement à cultiver sa capacité d’émerveillement. Elle se passionne pour les récits humains.

 

Fondée en 2008 à Frelighsburg, en Estrie, Oneka est une entreprise de produits de soins personnels entièrement naturels. Certifiée B Corp, elle met tout en œuvre pour faire des affaires de manière durable et avoir une portée positive sur la société et l’environnement. Elle vise à réduire l’utilisation des contenants à usage unique, en promouvant notamment des solutions de remplissage. Depuis le 1er janvier 2021, pour chaque produit vendu, Oneka s’engage aussi à retirer l’équivalent de trois bouteilles de plastique sur les littoraux de pays côtiers comme Haïti et l’Indonésie, en partenariat avec Plastic Bank. L’entreprise travaille également avec des organismes de plantation d’arbres, comme Taking Root et Arbre-évolution, pour compenser plus de 100% de ses émissions de CO2.

Des temps nouveaux

Cet article est tiré de notre plus récent numéro.

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