Rouler à l’instinct

BESIDE x OAKLEY

Article apparaissant dans le Numéro 04 – En collaboration avec

Chas Christiansen est un artiste, un entrepreneur et un coureur cycliste charismatique, au style instinctif — une qualité qu’il a développée à titre de coursier à vélo à San Francisco. Des trajets urbains aux excursions dans la jungle, il s’est fait l’ambassadeur du vélo à pignon fixe et d’un mode de vie simple, nourri par l’authenticité et l’adrénaline.

 

Quelle est la leçon la plus importante que tu as apprise en travaillant comme coursier à vélo ?

J’ai appris à demeurer alerte. Je dois faire attention à ce que je transporte, à mon dispatcheur, aux hommes d’affaires qui surgissent entre deux voitures, l’oreille collée sur leur téléphone. Il faut être constamment sur le qui-vive si on veut respecter les délais de livraison — et rester assez longtemps en vie pour savourer une bière en fin de journée. Quand j’ai commencé à faire de la compétition, cette capacité à prendre des décisions en un quart de seconde m’a propulsé aux premiers rangs. Je n’étais pas le plus fort ni celui qui manœuvrait son vélo avec le plus de souplesse, mais je savais quand me lancer pour dépasser mes concurrents.

Photos : Mike Marsh

Quelle est la région la plus sauvage que tu as parcourue à vélo ?

Certains voyages vous conduisent hors des sentiers battus, et d’autres vous mènent là où il n’y a pas de sentier du tout. Une fois, avec le cinéaste Lucas Brunelle et deux autres amis, j’ai traversé l’un des lieux les plus inaccessibles de la planète : le bouchon de Darién, une bande de jungle, de montagnes et de marais de 160 km qui sépare l’Amérique centrale de l’Amérique du Sud. Après des mois de planification, nous avons quitté le Panama pour nous rendre à une course urbaine qui se tenait trois semaines plus tard à Bogotá, en Colombie. Rien n’aurait pu nous préparer à ce qui nous attendait : deux semaines où nous étions coupés du monde, nous frayant un chemin à travers la jungle avec nos vélos et nos machettes, et remontant le fleuve en bateau pendant plusieurs jours. Quand nous sommes arrivés en Colombie, nous étions techniquement des fugitifs, car il n’y a ni poste-frontière ni vérification des passeports dans les profondeurs de la jungle. Une semaine durant, nous avons évité les contrôles de police, jusqu’à notre arrivée à Medellín, où il nous a fallu faire un don considérable à un commissariat local pour qu’on accepte de tamponner nos passeports. Nous avons finalement atteint Bogotá juste à temps pour l’une des plus grandes alleycats (courses urbaines de nuit) jamais organisées dans cette ville.

Photo : Angel Perez

Que penses-tu du débat sur l’impact environnemental des vélos ?

Pour moi, vélo et nature vont de pair : c’est manifeste quand j’emprunte des raccourcis de terre dans le cadre de mon travail, ça l’est autant quand je dévale un sentier isolé pour gagner une course. Pour rouler de façon respon­sable, il faut tout de même respecter certaines règles, comme ne pas passer dans certains sentiers après de fortes pluies. Cette responsabilité augmente à mesure que l’on s’aventure plus loin dans la nature. Ça peut être très déchirant parfois : si tu fais accidentellement tomber ton tube de gel énergétique au bout de 130 km d’un gravel éprouvant, par exemple, est-ce que tu t’arrêtes pour le ramasser, sachant que ces quelques minutes perdues te voleront peut-être le podium ? Personne n’est parfait. Cela dit, il faut faire de son mieux pour laisser les parcours dans le meilleur état possible — au bénéfice des autres cyclistes et des animaux.

Comment prépares-tu tes itinéraires ?

Quand j’ai commencé à faire des courses urbaines, je n’avais jamais le temps de regarder une carte sur mon téléphone. J’ai donc dû apprendre à me créer des cartes mentales avec des repères facilement identifiables. Maintenant que je franchis de plus longues distances, je suis obligé de préparer mon itinéraire. Des courses comme la Transcontinentale, qui implique de parcourir 3 800 km en autonomie à travers l’Europe, nécessitent beaucoup de planification. Je conserve mes habitudes de coureur urbain : je prépare mes étapes l’une après l’autre en laissant un peu de place à l’improvisation. Ça n’est peut-être pas toujours une stratégie gagnante, mais ça me permet de garder le sens du plaisir et de l’aventure.

Photos : Mike Marsh

Qu’est-ce qui t’anime quand tu improvises un chemin au milieu de la circulation urbaine ou hors des sentiers battus ?

Ma pratique du vélo est particulière. Je mise moins sur la précision que sur la fluidité dans l’instant présent — à l’inverse de plusieurs de mes concurrents, qui misent sur l’importance de savoir rapidement analyser toutes les options dans une situation donnée. Moi, j’aime me fier à mon instinct; c’est ce qui fait que je choisirai de me faufiler entre les voitures ou de dévaler une pente. C’est vraiment ce sentiment de liberté qui m’anime, même si ça peut être effrayant. Il faut avoir confiance et se dire que la voie qu’on prend nous mènera à bon port. Évidemment, ça ne finit pas toujours comme on l’aurait voulu, mais l’inconnu fait partie du jeu. C’est en ayant des accidents qu’on apprend à ne pas en avoir ! ■

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Cet article a été publié dans le numéro 04.

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