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De fluo à lilas

Après 12 années de travail et de sacrifices, Josiane Lanthier commence tout juste à vivre de sa peinture. Portrait chatoyant d’une artiste (de plus en plus) apaisée.

Le bas du ciel
A des couleurs
Qui te voudront.

— Guillevic

 

Septembre à Charlevoix. Sur la route, même le paysage est en chemin. Les verts s’essoufflent. Le ciel répartit les couleurs — myriade de jaunes, d’oranges, de rouges. Une lumière dorée s’offre comme une joue. Le chant des outardes passe au-dessus des montagnes. Je fais le vœu de garder cette beauté sous mes paupières. Je pense à Josiane Lanthier. J’ai hâte de l’entendre me parler de son art et de sa façon de recueillir les paysages avec ses sens.

Josiane a 30 ans et est peintre depuis qu’elle en a 18. Si la Montréalaise se trouve à Baie-Saint-Paul, c’est qu’elle fait une résidence d’artiste d’un mois à la Maison Mère — l’ancien couvent des Petites Franciscaines de Marie, transformé en milieu de travail et de création depuis 2017.

Ce samedi d’automne, elle m’accueille avec un regard en fleurs, un coton ouaté noir et des pantalons pastel recouverts de taches de peinture. Elle m’invite à visiter la Maison Mère avant que nous nous rendions à l’étage près du ciel, là où elle travaille. Nous arpentons la chapelle, les couloirs décorés d’œuvres d’art et de photographies de religieuses, et le toit, pour la vue. L’atelier prêté à Josiane, lui, est une pièce blanche au plafond très haut et munie de deux fenêtres — des hublots devant lesquels passent les oies, les nuages, le soleil, les idées. Des fleurs sauvages sèchent, têtes vers le sol, près de la porte. Sur une table se trouvent des pots et des canettes de peinture, des pinceaux, des cahiers d’esquisses, un étui iridescent, des palettes. Une dizaine de tableaux sont en chantier. Certains presque achevés, d’autres naissants.

Tout un contraste avec son atelier en ville, aménagé dans son sous-sol. Face aux prix en hausse fulgurante, Josiane a récemment renoncé à la location d’un espace de travail. Elle cherche à économiser le plus possible afin de se consacrer à la peinture. Une étape importante a d’ailleurs été franchie en avril dernier : celle qui a notamment été livreuse d’œuvres d’art et barmaid a cessé de cumuler les boulots « à côté ».

À Baie-Saint-Paul, l’artiste fait des promenades d’observation. En fin de journée, elle rentre pour peindre. « C’est important de voir du territoire. Je suis allée au parc des Grands-Jardins faire du hiking. Il y avait du lichen pistache, du lichen gris lilas, de petites plantes bourgogne. C’était beau ! » Son courant artistique favori est l’impressionnisme. Je l’avais deviné. Josiane est amoureuse de la lumière, de la couleur, des paysages. « Je pense que j’ai choisi la nature parce que je viens de Sainte-Anne-des-Plaines et du lac des Cornes, dans le nord. La construction des arbres dans l’espace, la brillance des vagues dans l’eau, et les trous de ciel dans les branches et les feuilles… Il y a quelque chose à retirer de ces formes-là. »

Pourquoi ne pas retourner en campagne, alors ? Le projet mijote dans sa tête. « Je rêve d’avoir un immense cabanon jaune de 2 000 p2 et une maison blanche et bleue, confie-t-elle. Il me faudrait juste un peu plus de courage — ou d’argent — pour faire le saut. »

Du courage, elle en a pourtant à revendre. Choisir de devenir peintre demande beaucoup de cran et de persévérance : « J’ai tout sacrifié! Cette année, c’est la première fois que je n’ai plus de dettes sur ma carte de crédit. J’ai genre 7 000 $ dans mon compte, je n’ai jamais eu ça de ma vie. Je me suis déjà endormie en ayant faim — je capotais !

« Quand t’as pas de sous, t’angoisses et tu te demandes si tu fais bien de faire ce métier-là. J’ai eu 12 crises existentielles. »

Je fais quelque chose qui n’appartient même pas à ma classe sociale… Si je voulais, je pourrais même pas m’acheter. » Dans les moments difficiles, Josiane élaborait des plans B : devenir coiffeuse, massothérapeute, infirmière. Mais l’idée de peindre revenait en boucle dans sa tête. «Parce que j’aime tellement faire ça ! »

Josiane Lanthier a développé son intérêt pour la peinture au cégep, et elle a poursuivi des études en arts à l’université. Douze ans plus tard, elle arrive enfin à vivre de ses tableaux, qui trouvent preneurs grâce au bouche-à-oreille, ou encore par le biais d’Instagram. Par exemple, Marc Séguin a découvert son travail, l’a contactée et lui a acheté trois œuvres. « Que Marc Séguin achète mes tableaux, c’est comme si, pour les gens qui ne connaissent pas la peinture, ça certifie que c’est bon ce que je fais. »

 

En créant, Josiane est la plupart du temps silencieuse. Il lui arrive d’oublier de respirer tant elle est absorbée par son travail. Parfois, elle marche d’un bout à l’autre de l’atelier, en regardant ses tableaux. « Ils s’aident. Un tableau peut me donner la réponse pour un autre tableau. J’en ai toujours quelques-uns en chantier. Ils sont tous en train de se parler. » L’artiste s’est souvent demandé si son mode de vie — incertain et solitaire, mais aussi foncièrement passionnel — lui permettrait quand même de fonder une famille. De nombreuses fois, elle a songé à y renoncer, pour la peinture. C’était avant de rencontrer la peintre Françoise Sullivan : « Depuis que je l’ai croisée à son vernissage à la Galerie Simon Blais, je suis rassurée. Elle a 96 ans et 4 enfants. Je constate que c’est possible de concilier famille et travail dans mon domaine. »

Même si elle ne les côtoie pas sur une base quotidienne, Josiane se nourrit de sa relation avec ses collègues artistes. Qui la rendent plus solide, malgré la nature résolument individuelle de sa pratique : « Je suis entourée des peintres et de tous les amis avec qui j’ai étudié. On est toujours en train de travailler seuls, mais quand il y a des vernissages, on se retrouve et on est vraiment contents de se voir. J’ai été chanceuse de partager des ateliers avec certains d’entre eux. »

Josiane Lanthier se voit peindre pour toujours. Bien qu’elle souhaite se diriger vers l’art abstrait, elle affirme avoir besoin de temps avant de s’y mettre : « Je ne suis pas prête mentalement. Je sais sur quoi m’aligner, mais ma réflexion est encore trop jeune. » Elle espère vieillir comme Françoise Sullivan : pleine de fougue, en créant.

«Présentement, mes tableaux sont plus lilas qu’orange fluo. C’est de même que je me sens. J’ai l’air orange fluo, mais dans le fond, je suis pas mal lilas. Je me sens bien, je me sens calme. Dans la longévité du travail, j’ai confiance.»

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