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100 Wild Islands

Mobilisation d’une communauté pour sauver 7000 acres de terres vierges en Nouvelle-Écosse.

Les iles

Biodiversité

Les 100 Wild Islands, c’est:

  • 7 000 acres de terre (l’équivalent de 3 030 terrains de football).
  • Un archipel de 282 iles (dont seulement 100 font plus de 0,4 hectare, d’où leur nom) disséminées sur plus de 30 km le long de la côte entre Clam Harbour et Mushaboom Harbour.
  • Un concentré de tous les écosystèmes naturels de la côte Atlantique néoécossaise, et notamment des forêts boréales pluviales.
  • Un refuge pour plus de 120 espèces d’oiseaux, de l’aigle majestueux aux colonies d’oiseaux marins.
  • Des aires de repos et d’alimentation essentielles pour les oiseaux migrateurs.
  • Un habitat pour les cerfs de Virginie, qui nagent entre les iles pour manger le varech s’accumulant sur les plages.

Présence humaine

  • Avant l’arrivée des colons, les Micmacs ont exploité de façon non destructive les ressources marines et terrestres de l’archipel pendant 10 000 ans.
  • Plusieurs générations de pêcheurs ont utilisé les baies abritées pour saumurer et préparer leurs prises.
  • De nos jours, les Néoécossais qui possèdent des cabines sur les iles les visitent en famille durant la saison estivale, tandis que les kayakistes et les exploitants de bateaux ont commencé à développer l’écotourisme.
  • Parce qu’elles sont demeurées globalement intactes, ces iles offrent aux scientifiques des points de référence importants pour des comparaisons avec d’autres écosystèmes côtiers et forestiers.

Protection

  • Le Nature Trust a lancé la campagne 100 Wild Islands en 2014.
  • En s’associant avec des propriétaires et avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, il a réussi à protéger 85% de la superficie des iles.
  • L’organisme a recueilli 7 M$ pour financer la protection des 100 Wild Islands, et réussi à sensibiliser l’opinion publique locale et étrangère à la valeur des iles.
  • La prochaine phase de la Campagne des 100 Wild Islands concerne la gestion à long terme de l’archipel.

  –

La petite histoire

Le cœur sauvage

Un archipel pratiquement vierge sauvé par un mouvement populaire en Nouvelle-Écosse.

 

Par Mark Mann

 

La côte néoécossaise s’étend sur plus de 13 000 km. Pourtant, la plupart des gens qui débarquent à Halifax pour voir l’océan s’en tiennent à une mince bande de littoral située au sud-ouest de la ville, aux alentours de la baie de Fundy. Peut-être y tombent-ils—déjà!—sous le charme de la mer indomptée? Ou peut-être suivent-ils tout simplement les pas des autres vacanciers pèlerins à la recherche de la force brute de la nature?

Mes parents ont déménagé à Halifax quand j’ai quitté la maison pour aller à l’université. À chacune de mes visites, je prenais leur voiture pour me rendre sur la côte Sud, à l’instar de ces milliers de touristes. J’empruntais Ketch Harbour Road jusqu’à Crystal Crescent Beach, où je m’offrais une imprudente baignade en solitaire. Après un certain nombre de rituels destinés à me donner du courage, j’avançais en sautillant dans l’eau glaciale, jusqu’à ce que les vagues chamboulent complètement mon sens de la gravité. Je sentais même, de temps en temps, le ressac m’attirer violemment vers le large. Une fois la baignade terminée, je couvrais ma peau encore humide d’un coton ouaté et je reprenais la voiture jusqu’à Peggy’s Cove. Là-bas, je regardais les touristes ignorer les panneaux de mise en garde et s’avancer sur les rochers noirs et glissants. Une énorme vague emporte l’un d’eux, chaque année ou presque.

Mais la côte Sud offre aussi un paysage beaucoup moins brut: des pancartes «Privé» sont apparues sur des routes ou des plages autrefois publiques, des iles ont été déboisées pour permettre la construction d’hôtels et de propriétés, et des mesures ont été mises en place pour protéger les infrastructures et les développements immobiliers contre la montée des océans. Bien qu’il reste magnifique, le littoral a singulièrement changé au cours des 20 dernières années. La faute à la multiplication des investissements, ou au désir impétueux de l’humain de posséder la terre et de se rapprocher de l’océan.

 

Le chemin le moins fréquenté

Si vous prenez l’autre direction depuis Halifax, toutefois, vous découvrirez des paysages complètement différents. Par miracle, la côte Est a largement échappé à l’attention des touristes et des habitants du reste de la province. De la sortie de Dartmouth jusqu’au cap Breton s’étire un littoral picoté de baies protégées et de promontoires rocheux. Cette région historiquement délaissée abrite aussi un trésor dont la valeur commence tout juste à être reconnue: un groupe de 282 iles demeurées relativement intactes pendant 10 000 ans. Cet archipel grandiose—et parfois impitoyable—du nom de 100 Wild Islands offre un spectacle rare, soit celui d’un milieu naturel inaltéré, au croisement de la terre et de la mer. Malgré l’aspect hostile qu’il peut avoir vu de loin, ce territoire séduit aujourd’hui une nouvelle vague d’aventuriers, qui en apprécient l’incroyable diversité et la beauté subtile. Parmi ceux-là, Yvon Chouinard, l’un de ses plus ardents défenseurs.

Pendant longtemps, seuls quelques kayakistes motivés et les gens qui pouvaient les voir de la fenêtre de leur cuisine s’intéressaient aux iles. C’était avant que Paul Gauthier s’en mêle, il y a huit ans. Originaire du coin, Gauthier est rentré chez lui après avoir fait fortune dans la Silicon Valley, où il a fondé une startup dans les années 90. Il s’est mis à la recherche d’un terrain pour se construire une petite maison et a décidé, dans la foulée, de protéger des zones cruciales sur le plan écologique. Il s’est associé au Nova Scotia Nature Trust pour réaliser son projet. Ensemble, ils ont étudié les cartes de la province et ont été intrigués par les 100 Wild Islands.

Les scientifiques que Gauthier a dépêchés sur le terrain sont revenus extrêmement enthousiastes. «À première vue, il s’agit d’un assemblage plutôt chaotique d’iles», m’a dit Nick Hill, qui a participé à l’une de ces études.

La plupart d’entre nous n’ont aucune idée de ce à quoi ressemble la nature sauvage. Ce que nous voyons généralement lorsque nous observons la nature est le résultat de la plus récente perturbation humaine.

- Nick Hill, scientifique

Or, les 100 Wild Islands, elles, ont été façonnées par dix millénaires de pilonnage par les vagues de l’océan Atlantique—purement et simplement. C’est ce qui leur a donné leur apparence unique, brute et imparfaite. Hill explique: «Ce groupe d’iles n’a cessé de s’éroder et de se renouveler depuis la dernière ère glaciaire».

La plupart des arbres qui se trouvent sur les iles sont condamnés à être déracinés par un ouragan avant d’atteindre 100 ans—une espérance de vie plutôt courte en ce qui les concerne. Hill parle de «forêts primaires», c’est-à-dire de forêts qui se régénèrent naturellement, sans interruption, depuis des temps immémoriaux. La plaque continentale sur laquelle se sont formées les iles est ainsi recouverte d’épaisses couches de mousse, d’hépatiques et d’humus qui se sont accumulées au fil des siècles. De vastes réseaux de mycorhizes, sortes de champignons souterrains, acheminent les nutriments et les informations aux différentes plantes de l’écosystème et viennent s’entremêler aux racines des arbres dans ce sol extrêmement riche. «Imaginez la complexité de ce système, dit Hill. L’histoire biologique de ces iles est fascinante!»

Il y a plus encore que les forêts. Les 100 Wild Islands contiennent tous les écosystèmes naturels de la côte Atlantique néoécossaise: lacs intérieurs, lagons, marais salants, tourbières à camarines, marécages, zones humides, plages de sable et rivages rocheux sauvages, tous intacts. Ces habitats isolés sont des aires de repos et d’alimentation essentielles pour les oiseaux migrateurs. Plus loin vers le large, dans la zone intertidale, on retrouve des herbiers de zostère marine et des forêts de varech, des écosystèmes aussi productifs que ceux des forêts humides tropicales. Et parce que ces écosystèmes sont globalement intouchés, ils offrent aux scientifiques des points de référence importants lorsque vient le temps de mesurer les effets des perturbations humaines dans la province et dans le monde entier.

Fascinés par ces découvertes, Gauthier et le Nature Trust ont lancé le projet des 100 Wild Islands. L’objectif était d’acheter le plus grand nombre d’iles possible ou de convaincre leurs propriétaires, notamment le gouvernement provincial, de les protéger à l’aide de servitudes de conservation, par exemple. Ils sont intervenus juste à temps: des promoteurs avaient déjà mis le grappin sur certaines iles à l’est d’Halifax. Ils avaient même installé des infrastructures préliminaires sur l’une d’elles en vue d’y bâtir un hôtel. Le krach boursier de 2008 a cependant contrarié ces plans, ce qui a permis du même coup à Gauthier et au Nature Trust de mettre les leurs à exécution. Grâce à l’argent recueilli lors d’une importante collecte de fonds, ils ont réussi à protéger plus de 85% de la superficie des 100 Wild Islands, sauvant ainsi l’archipel de la destruction.

 

Vivre de la terre et de la mer

Si le monde extérieur a récemment appris l’existence des 100 Wild Islands, les locaux, eux, exploitent leurs ressources depuis très longtemps. C’est le cas de Brian Murphy, qui tient avec sa femme un pittoresque camping à Murphy Cove, où son arrière-arrière-arrière-grand-père s’est installé en 1765. Je l’ai rencontré en octobre dernier, lors d’une visite sur les iles.

Aux commandes du bateau en bois qu’il utilise pour la pêche aux homards, Murphy me conduit ce jour-là dans une petite baie isolée appelée Lobster Cove. Deux modestes cabanes y sont perchées sur un affleurement rocheux, à proximité d’une eau transparente: c’est un lieu agréable, suffisamment grand pour faire sécher la morue salée. À différents endroits sur les iles, les premiers colons ont construit des cabanes comme celles-là. Ils pouvaient ainsi saumurer et préparer leurs prises sur place si les vents n’étaient pas assez forts pour les ramener sur la côte. Malgré l’effondrement de la pêche à la morue et le moratoire imposé en 1992, de nombreux locaux continuent de gagner leur vie en exploitant les produits de l’océan. Aujourd’hui, on pêche surtout le homard, et les affaires vont mieux que jamais.

Les pêcheurs et les pêcheuses de homards de la côte Est ont joué un rôle crucial dans le mouvement de protection des 100 Wild Islands. Les initiatives en matière de préservation de l’environnement n’ont cependant pas toujours été aussi bien accueillies. Dans les années 70, la population locale s’est battue bec et ongles pour empêcher la création d’un parc national. Cette mesure aurait permis d’assurer la protection des iles, mais elle aurait également bouleversé le mode de vie des gens du coin. Plus récemment, la communauté a fait front commun pour contrer une autre menace: celle de la salmoniculture en enclos ouverts, une activité très dommageable pour les écosystèmes du littoral. La forte pression qu’exercent le développement immobilier et l’aquaculture industrielle sur l’environnement semble avoir incité les locaux à apporter leur soutien à la protection des 100 Wild Islands—à la condition qu’ils puissent continuer de se rendre sur les iles et de pêcher dans les eaux avoisinantes.

Murphy m’amène ensuite à proximité d’une autre ile; il coupe le moteur et me tend une canne à pêche. À peine quelques minutes plus tard, je réussis à ferrer un maquereau. Je saisis fermement son corps mince et argenté et je tente de retirer l’hameçon ensanglanté de sa bouche pendant qu’il m’observe d’un air hébété. Instinctivement, je le remets à l’eau.

Murphy semble étonné de me voir rejeter un poisson parfaitement sain. Je pense qu’il aurait été heureux de le rapporter chez lui pour souper. La goberge, la petite morue, la plie et l’aiglefin sont couramment pêchés à proximité du rivage, et ils ont tous leur place dans l’assiette. C’est sans compter les moules que l’on détache des rochers et les palourdes que l’on récupère dans le sable. En plus des fruits de mer, les locaux cueillent des baies pour en faire des desserts ou des conserves. En saison, ils chassent les canards de mer et les cerfs de Virginie qui, même en hiver, nagent entre les iles pour manger le varech qui s’accumule sur les plages.

Tirer des leçons du passé

En apercevant des chasseurs équipés de bottes de caoutchouc et d’armes d’épaule, je me demande si la nature sauvage des iles a réellement été préservée. Les humains ont-ils vraiment leur place dans de tels systèmes? Ceux qui cherchent à protéger l’archipel estiment qu’il faut encourager le maintien et le développement d’activités qui ne perturbent pas ses processus naturels. C’est donc dire que les locaux pourront conserver leur mode de vie traditionnel, et les kayakistes, continuer d’aller camper de l’autre côté des iles. Le Nature Trust emploie aujourd’hui des gardiens bénévoles qui s’assurent qu’aucune intervention humaine dommageable ne passe inaperçue dans les 100 Wild Islands.

«À mon avis, c’est quand les humains n’ont aucun contrôle sur un lieu qu’on peut le considérer comme ’’sauvage’’», dit l’écologiste Martin Willison, conseiller scientifique pour le Nature Trust aussi impliqué dans le projet. «Si le monde entier était dominé par l’humain, il ne pourrait jamais fonctionner. Nous ne sommes pas assez intelligents pour créer des systèmes intrinsèquement fonctionnels à long terme.»

Les Micmacs l’ont pourtant fait avant d’être chassés de la côte Est par les premiers colonisateurs. Il reste aujourd’hui peu de traces de ces habitants autochtones, mais, selon Daniel Paul, historien et ainé micmac, ses ancêtres étaient de très bons marins, et ils se rendaient souvent sur les iles situées au large.

Pendant 10 000 ans, les Micmacs ont tiré ce dont ils avaient besoin de la terre et de la mer de façon non destructrice.

- Daniel Paul, historien et ainé micmac

«C’était toute une responsabilité de savoir que l’avenir des prochaines générations dépendait de la façon dont vous traitiez l’environnement», explique Paul. Peut-être adopterons-nous de nouveau cette approche un jour, mais, d’ici là, Willison cherche surtout à recréer une sorte d’arche de Noé. «On peut supposer que les êtres humains continueront d’éliminer des espèces et de saper des paysages. Notre rôle, c’est d’en protéger suffisamment pour qu’il reste quelque chose quand ils finiront par se comporter de façon raisonnable, dit-il. Les animaux et les plantes qui vivent sur ces iles protégées pourront alors repeupler la terre. En gros, je vois ça comme une stratégie de survie.»

Heureusement, cette stratégie n’exclut pas les humains, qu’ils veuillent pagayer au milieu des phoques et des marsouins, pêcher le homard pour assurer leur subsistance ou simplement admirer la mer lorsqu’elle se déchaine. Bien au contraire: ils font partie intégrante de la deuxième phase du projet des 100 Wild Islands, comme l’indique la directrice générale du Nature Trust, Bonnie Sutherland. Si la première avait pour but de prémunir les iles contre le développement («Ce n’est pas terminé», me rappelle-t-elle; 15% des iles ne sont pas encore protégées), la suivante consiste à encadrer les liens qu’entretiennent les humains avec le territoire. Par exemple, en permettant à la population locale de maintenir son mode de vie et en attirant d’autres habitants, de la Nouvelle-Écosse ou d’ailleurs. L’idée, en bref, c’est de faire de l’archipel une destination écotouristique.

Pour se préparer à l’afflux imminent de passionnés de la nature, le Nature Trust a décidé d’adopter l’approche pragmatique utilisée au départ pour sauver les iles. Il a ainsi organisé des consultations locales et des rencontres communautaires; il a également embauché des scientifiques pour continuer de dresser l’inventaire des caractéristiques écologiques des iles, et mener des études sur l’écotourisme—dans quelle mesure cette pratique est-elle viable dans les 100 Wild Islands? Le travail doit évidemment être effectué de manière consciencieuse pour éviter de causer des dommages involontaires, tout comme le plaisir doit demeurer au cœur de la relation entre l’humain et le milieu naturel que l’on souhaite préserver. Après tout, il fallait bien s’attendre à ce que les 100 Wild Islands attirent un jour l’attention du monde. Maintenant, pour les protéger, faisons en sorte que les gens tombent amoureux de leurs côtes accidentées. Cela ne devrait pas être trop difficile.

Les protagonistes

Bonnie Sutherland

Directrice générale de Nova Scotia Nature Trust

Bonnie est la directrice générale de Nova Scotia Nature Trust; c’est elle qui a mis en œuvre le projet de conservation et de protection des 100 Wild Islands. Bien avant le lancement de la campagne, elle fréquentait le lieu un coup de rame à la fois pour le contempler en silence. Animée d’une passion pour la nature sauvage, Bonnie déploie sa conscience sociale et son expertise environnementale au service des mandats qu’elle réalise, au quotidien, avec son équipe.

«Les gens se demandent si la protection de cette zone leur fera perdre leur mode de vie traditionnel ou restreindra leur accès à des endroits qui ont toujours fait partie de leur vie. Nous avons eu des rencontres publiques avec des leaders locaux issus des secteurs de la pêche, de l’écotourisme et des affaires. Nous leur avons demandé ce qu’ils voulaient voir se produire sur ces iles. Ce que nous avons entendu est compatible avec notre initiative. Après tout, nous ne voulons pas les exproprier ou leur imposer des limites: nous souhaitons simplement qu’ils puissent continuer de profiter de ces iles comme ils l’ont toujours fait.»

- Bonnie

Brian Murphy

Capitaine et propriétaire de camping

Brian exploite un pittoresque site de camping à Murphy Cove, où son arrière-arrière arrière-grand-père s’est installé en 1765. Tout le monde le connait; s’il reçoit tant d’éloges depuis 1960, c’est sans doute parce qu’il accueille les campeurs comme chez lui. Chaque soir, il leur sert ses fameuses moules fumantes, cuites sur la braise d’un feu de camp, en échange de leurs histoires rocambolesques—qu’il racontera à son tour lors du prochain rassemblement.

«Cet endroit fait pratiquement partie de la famille et je sens que j’ai la responsabilité de le protéger. Nos racines se trouvent sur ces iles. Pendant toute ma vie, je suis venu ici avec mon père. J’ai appris à nager ici et lui aussi. Aujourd’hui, nous y venons avec nos familles, nos amis, et nous amenons les touristes. Je suis heureux de pouvoir partager ça avec d’autres.»

- Brian

Dr. Scott Cunningham

Biologiste, auteur et kayakiste

En kayak, Scott se fraie un chemin sur les eaux côtières de la Nouvelle-Écosse comme on retourne à la maison. Il a d’ailleurs été le premier à faire le tour de la province maritime, en 1980. Aujourd’hui, il partage sa philosophie et son savoir-faire à titre d’instructeur et de formateur. L’entreprise dont il est propriétaire avec sa femme Gayle, Coastal Adventures, en est à sa 38e année d’excursions en kayak autour des 100 Wild Islands.

Jeannie et Mike Hubley

Pêcheurs de homards

Les Hubley ont choisi de faire de la pêche aux homards leur moyen de subsistance. Forts de l’expérience de l’un et de la résilience de l’autre, Mike et Jeannie hissent leurs bouées saison après saison, malgré les aléas des règlementations environnementales, la menace des fermes de saumon et l’accélération du changement climatique. Ils sont prêts à tout pour protéger leur milieu de vie, et ainsi laisser à leur fille un gagne-pain et un avenir prospère.

«Je pêche le homard depuis 38 ans. J’avais 12 ans quand j’ai eu mon permis.»

- Jeannie

«La pêche aux homards est le principal moyen de subsistance de la région. Il n’y a rien d’autre pour nous ici. Les fermes salmonicoles qu’ils veulent installer seraient néfastes pour la région. Ils ne tiennent pas compte des dommages qu’elles risquent de causer au littoral. Ces fermes risquent de nous anéantir.»

- Jeannie

Barry Gerrard

Pêcheur de homards et poissonnier

Au port de Popes Harbour, le respect que portent les pêcheurs au capitaine Barry est indéniable: la simple évocation de son nom en témoigne. Si l’entrepreneur semble d’abord être un dur à cuire, il dévoile rapidement son cœur tendre.

Il suffit de l’écouter parler de ses produits de pêche, qu’il entrepose avec soin dans de grands barils à quelques mètres de la rive avant de les saler, de les fumer et de les mettre en conserve.

 

Le mouvement

100 Wild Islands

Un documentaire qui explore la mobilisation citoyenne d’une communauté pour sauver 9 000 acres de terres vierges en Nouvelle-Écosse.

 

100 Wild Islands est une initiative de conservation portée par le Nova Scotia Nature Trust, sur les côtes de la Nouvelle-Écosse. De nombreux résidents soutiennent la protection de cet unique archipel d’iles sauvages autour duquel ils ont construit leur mode de vie. BESIDE est allé à leur rencontre.

Nous faisons une sortie en bateau avec le capitaine et propriétaire de camping Brian Murphy, qui souhaite voir l’écotourisme prospérer dans la région. Nous nous entretenons avec Jeannie et Mike Hubley, un couple de pêcheurs de homards qui fait campagne contre l’implantation de fermes industrielles d’élevage de saumon à enclos ouverts. Nous discutons enfin de conservation avec Bonnie Sutherland, directrice générale de Nova Scotia Nature Trust et instigatrice du mouvement, qui travaille de près avec les propriétaires terriens, les résidents et le gouvernement.

Ces habitants partagent tous un objectif commun: garder leurs iles à l’état sauvage, et ce, pour toujours.

La pêche durable

Homards de subsistance

Les pêcheurs Jeannie et Mike Hubley militent pour préserver leur milieu de vie, entre la complexité des mesures gouvernementales et l’accélération du changement climatique.

 

TEXTE ET PHOTOS Catherine Bernier

 

Le soleil se lève hâtivement sur les eaux néoécossaises de Spry Bay. À bord du Miss Michelle K., l’odeur des appâts compose une trame de fond peu subtile, les casiers virevoltent avec une précision remarquable, le capitaine porte son plus franc sourire. Parmi ces centaines d’iles sauvages, Jeannie et Mike Hubley font ce qu’ils font depuis toujours : pêcher le homard de l’Atlantique.

 

C’est l’avant-dernier jour de pêche autorisée pour les zones 32 et 31b, soit l’est de la Nouvelle-Écosse. Au-delà des cadastres et des chiffres, la région du Eastern Shore — dont les citadins et les touristes méconnaissent la beauté sauvage — abrite des générations de pêcheurs qui poursuivent la tradition. Trente-huit années d’expérience, affirme fièrement Mike, qui a repris le permis de pêche familial à l’âge de 12 ans. «Je pêchais après les classes, car mon père n’était plus autorisé à le faire. On le trouvait parfois inconscient dans le fond du bateau, à cause de son diabète.» Après avoir quitté son emploi comme infirmière en raison de problèmes de dos, Jeannie a rejoint le Miss Michelle K., qui porte le nom de leur fille, pour travailler avec son mari. Visiblement, la pêche professionnelle n’est pas de tout repos — Jeannie et Mike hissent, vident et appâtent jusqu’à 250 casiers à homards par jour —, mais l’appel de l’océan s’avère plus fort que tout.

Le duo préconise l’approche écosensible, tout comme l’ensemble des pêcheurs de homard canadiens : de simples casiers attachés à des lignes, signalés par des bouées, puis remontés un à la fois. Cette méthode de pêche traditionnelle a peu d’effets sur le fond marin et évite les capturesaccidentelles de poissons. Mais elle est exigeante physiquement, explique Mike: «Encore cette année, quelqu’un a acheté un permis et l’a revendu quelques mois après. Ce n’est pas fait pour tout le monde. C’est énormément de travail sur le bateau, mais aussi à l’extérieur.» Quand le couple touche terre, les tâches se succèdent : mettre les prises au frais, couper le poisson qui servira d’appât, préparer le bateau pour le lendemain. «Parfois je vais sur l’eau à 3 h du matin et j’y retourne à 3 h de l’après-midi et ainsi de suite», ajoute-t-il. Il préfère tout donner durant la saison, ne sachant pas ce que les suivantes lui réservent.

Les pêcheurs doivent composer avec les intempéries, les règlements, la fluctuation des prix et l’amortissement de leurs pertes. «Les risques font partie du métier», de dire Mike, mais il faut le reconnaitre: articuler son mode de vie autour d’une ressource naturelle gérée par une instance gouvernementale, et cela dans le contexte du changement climatique, exige davantage qu’une bonne capa­cité d’adaptation.

(…)

Photo: Maxime Messier

« L’industrie du homard est vraiment importante ici, c’est l’employeur principal dans la région. »

confie Jeannie.

L’archipel du Eastern Shore, avec ses 250 km de rivage largement intouché et sa richesse biologique unique en Amérique du Nord, a fini par attirer les investisseurs de toutes sortes, incluant des entreprises hôtelières et minières. Depuis une dizaine d’années, une nouvelle ruée vers l’or s’est enclenchée. Des compagnies comme Atlantic Gold promettent la création d’emplois. Ce développement sème l’inquiétude, entre autres à cause des explosions nécessaires à l’extraction de l’or, qui menacent de rejeter dans l’eau de grandes quantités d’azote — gaz potentiellement mortel pour les populations de poissons. Plus récemment, c’est le vaste projet immobilier et hôtelier d’un investisseur qui a incité l’organisme Nova Scotia Nature Trust à mobiliser population et donateurs privés pour lancer la campagne des 100 Wild Islands. Cette action collective a mené à la protection de 80 % du territoire des iles de l’archipel.

Ce succès ne garantit cependant pas la préservation des eaux du littoral, que l’industrie du saumon d’élevage a à l’œil. Puisque 90 % des bancs de saumons de l’Atlantique ont disparu, notamment à cause de la surpêche, cette dernière déploie des moyens alternatifs pour répondre à la consommation grandissante dudit poisson, telles les fermes d’élevage installées dans les eaux côtières. Une pratique qui n’est pas sans conséqences…

Fin de l'extrait

L’article intégral se retrouve dans notre dernier numéro.

Magazine 03