TEXTE Catherine Métayer

PHOTOS Daphné Caron

Le portrait
Le portrait

 

George Lenser

Chef
Militant pour les droits autochtones
Rockeur punk

 

A des racines nisga’a, squamish, wet’suwet’en,
allemandes et belges
Originaire de la Colombie-Britannique

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George Lenser a travaillé quelques années chez Joe Beef, à Montréal. Dans cet établissement renommé, il a contribué à réinventer les codes des cuisines française et québécoise, aux côtés du copropriétaire Fred Morin. C’est d’ailleurs sur les conseils de ce dernier qu’il a tourné le dos aux catégories classiques apprises à l’Institut culinaire, pour définir librement son propre style. Il a commencé à s’intéresser aux traditions des Nisga’a, des Wet’suwet’en et des Squamish de la Colombie-Britannique. Et, parce qu’il n’existe pas beaucoup de restaurants autochtones réputés dans le monde de la gastronomie, il s’est tourné vers l’héritage que lui ont transmis ses aïeules.

Certains souvenirs étaient profondément ancrés en lui. Mais Lenser a eu envie de fouiller davantage et de satisfaire sa curiosité en posant des questions à sa grand-mère maternelle. Or, il s’est rapidement rendu compte que les connaissances de cette dernière étaient limitées. Jeune, elle avait été placée dans un pensionnat autochtone; des politiques gouvernementales cruelles lui interdisaient en plus de parler sa langue maternelle en public. Cela avait contribué à creuser le fossé qui la séparait de ses parents, mais aussi de son patrimoine culinaire. Loin de décourager Lenser, ce constat l’a plutôt incité à pratiquer «une cuisine de la résistance qui raconte sans complexes les histoires de son peuple», selon les mots du chef Rich Francis.

À travers ses recettes, Lenser revendique ses racines culinaires et sa volonté de paver la voie à une cuisine militante.

« Je veux que ma cuisine soit le reflet de l’avenir de mon peuple. »

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Lisez les propos de George Lenser sur l’importance d’intégrer la culture autochtone à la cuisine contemporaine dans le numéro 04 de BESIDE.

La recette
La recettE

 

Gâteaux de saumon au caviar

par George Lenser

 

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Si le saumon et les gâteaux de crabe occupent une place de choix sur les menus des restaurants, il reste que les non-Autochtones ne connaissent pas grand-chose de la cuisine des Premières Nations. Ma recette de gâteaux de saumon au caviar, je l’ai créée en l’honneur de ma grand-mère maternelle. Les siens étaient croustillants, peut-être un peu secs, et contenaient beaucoup d’ognons et de pommes de terre. Il y avait des bouts trop cuits, d’autres pas assez cuits. Pourtant, j’en garde un souvenir impérissable.

Ma grand-mère a inventé cette recette parce qu’elle avait accès à une abondance de saumon frais. Elle le mettait en conserve, le séchait, le fumait ou le congelait. Mais d’autres raisons pourraient aussi être évoquées: ma grand-mère était une mère célibataire de sept enfants, qu’elle élevait avec l’aide de ses parents. Notre famille était loin d’être riche; nous avons grandi dans une réalité oppressive, créée par les structures et les systèmes coloniaux. Bref, nous nous débrouillions avec ce que nous avions sous la main. Comme ma grand-mère pouvait se procurer facilement du saumon, des pommes de terre, des ognons, du sel, du poivre et des œufs, elle s’est mise à cuisiner des gâteaux de saumon sans flafla. Elle ouvrait une conserve de saumon maison, mettait quelques pommes de terre à bouillir, faisait revenir des ognons et sortait un sac de farine. Elle mélangeait ensuite tous les ingrédients, puis formait des boulettes avec la pâte. Elle n’utilisait ni caviar ni crème fraiche, mais ce qu’elle offrait à manger à sa famille, par nécessité, était franchement savoureux. J’ai eu la chance de pouvoir suivre ma passion et de mener ma carrière sans trop me heurter aux préjugés, et sans avoir à composer avec des politiques gouvernementales restrictives. Cette chance, ma grand-mère et ma mère — en fait, tous ceux qui sont venus avant moi depuis la colonisation — ne l’ont pas eue. Je suis persuadé que de nombreux peuples autochtones sont aux prises avec des traumatismes intergénérationnels, mais j’ai bon espoir que ma génération représente le début du bonheur, du pouvoir et de l’épanouissement. Mon histoire, comme celle de mes confrères et consœurs, témoigne de la résilience des Premières Nations. Elle incarne aussi la remise en question de la domination eurocentrique.

Parce que je suis chef autochtone, on me pose souvent la même question: en quoi consiste la cuisine des Premières Nations? Ce que je réponds, c’est que la société occidentale s’est presque entièrement approprié les aliments autochtones: le saumon, les bleuets, les fraises, le maïs, les haricots, les courges, les algues, le sirop d’érable, la truite, le bison, le lapin, les canneberges. Comme les non-Autochtones consomment déjà ces aliments, ils peuvent avoir l’impression que la cuisine autochtone n’est pas très différente de la leur.

Vous vous demandez peut-être en quoi les plats que je prépare sont traditionnels. Je vous répondrai qu’ils viennent avec des histoires: des histoires de nouvelles expériences, des histoires du passé, des histoires qui démontrent notre puissance et notre résilience.

 

Ingrédients

Pour 12 gâteaux

 

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ÉTAPE PAR ÉTAPE

 

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Étape 1 : Préparez les ingrédients.

Faites blanchir les pommes de terre rattes jusqu’à ce qu’elles soient tendres. Laissez-les refroidir et coupez-les en tranches minces. Salez et poivrez. Découpez le saumon en cubes de 1 pouce. Salez et poivrez. Hachez la première botte de ciboulette aussi finement que possible et la seconde, en tronçons de 1 pouce. Dans un petit bol, mélangez la crème fraiche et la fumée liquide. Chauffez les ognons perlés coupés en deux dans une poêle en fonte. Ajoutez-y un filet d’huile de maïs et saisissez-les du côté tranché jusqu’à ce qu’ils noircissent. Retirez-les du feu et réservez-les au frigo dans un contenant étanche pour qu’ils cuisent à la vapeur tout en refroidissant.

Étape 2 : Faites la purée de pommes de terre.

Coupez les pommes de terre Yukon Gold en gros cubes et placez-les dans une casserole remplie d’eau froide salée. Portez à ébullition, puis baissez le feu et laissez mijoter jusqu’à ce qu’elles soient bien cuites. Écrasez-les ensuite en ajoutant en alternance le beurre froid et le lait. Laissez refroidir à la température ambiante.

Étape 3 : Préparez la pâte à choux.

Dans une poêle à fond épais, faites chauffer l’eau, le sel, le sucre, la feuille de laurier et le beurre. Portez à ébullition, puis retirez la feuille de laurier et ajoutez la farine. Mélangez le tout à l’aide d’une cuillère en bois. Baissez le feu à « doux » en continuant de mélanger jusqu’à l’obtention d’une préparation homogène. Une fois la farine incorporée au mélange, transférez celui-ci dans un bol et continuez à battre jusqu’à ce qu’il soit à la température ambiante (si vous avez un batteur sur socle, utilisez le fouet plat. Sinon, une cuillère en bois convient parfaitement, même s’il faut compter un peu plus de temps). Une fois le tout refroidi, ajoutez les œufs un à la fois en mélangeant, et ce, jusqu’à ce que la préparation soit homogène.

Étape 4 : Préparez le mélange à pommes dauphines.

Une fois que tous les œufs ont été incorporés à la pâte à choux, ajoutez lentement la purée de pommes de terre à la température ambiante. Ajoutez ensuite la ciboulette finement hachée et mélangez bien. Placez le mélange dans un contenant étanche et laissez-le refroidir au frigo.

 

Étape 5 : Faites cuire les gâteaux de saumon.

Préchauffez le four à 400 °F. Remplissez du mélange de pomme de terre une grande poche à douille munie d’un large embout. Enduisez une plaque à cuisson d’huile de maïs, puis placez une couche de papier parchemin par-dessus. À l’aide de la poche à douille, formez 12 gâteaux de la forme souhaitée (vous pouvez faire des gâteaux circulaires, en forme d’éclair ou de beigne — les possibilités sont à peu près infinies). Pressez quelques dés de saumon ainsi que quelques fines tranches de pommes de terre rattes sur chacun des gâteaux. Enfournez la poêle au four — si vous utilisez un four à convection, réglez le ventilateur à la vitesse élevée — et laissez cuire pendant dix minutes. Évitez d’ouvrir la porte du four pendant la cuisson.

Étape 6 : Montez les assiettes.

Dans un petit bol, mélangez le persil, le cerfeuil, la ciboulette, les ognons perlés, le jus de citron et l’huile d’olive. Salez et poivrez. Versez une grosse cuillerée de crème fraiche au centre d’une assiette et déposez le gâteau par-dessus. Garnissez avec le mélange d’herbes et d’ognons perlés, la crème fraiche et le caviar.

Postface

Dans les mois à venir, je créerai un restaurant pop-up en collaboration avec l’équipe du McKiernan Luncheonette, le nouveau projet des propriétaires de Joe Beef et de Maison publique. J’y inaugurerai un plat, que j’ai nommé le « gâteau de la résistance ». Pendant mes études à l’Université Concordia, j’ai suivi un cours intitulé « First Peoples and Education »; il portait sur les expériences des Autochtones dans les pensionnats, et sur la façon dont le gouvernement et les religieux catholiques ont travaillé de concert pour commettre un génocide culturel et littéral. Dans le cadre de ce cours, j’ai vu un documentaire d’Al Jazeera intitulé Canada’s Dark Secret, dans lequel une vieille dame évoque l’époque où elle et ses camarades mangeaient chaque jour un gruau insipide. Le jour de l’Action de grâces, on leur a servi la même chose, alors que les enseignants et les prêtres avaient droit à un délicieux repas de dinde accompagnée de purée de pommes de terre et de sauce brune. Ils avaient même un gâteau pour eux tout seuls. Cette dame se souvient très clairement de ce repas, même s’il a eu lieu il y a peut-être 50 ans. Elle se rappelle qu’un évènement a subitement eu lieu et que tous les enseignants ont quitté en trombe la salle à manger en demandant aux enfants de les suivre. Profitant du chaos, elle s’est dirigée vers le gâteau, encore intact, et a plongé le doigt dans le glaçage avant de le lécher avec gourmandise. Et elle ne s’est jamais fait prendre. Quand elle évoque ce souvenir, on voit qu’elle l’associe à une profonde satisfaction, même après toutes ces années. Pour elle, c’était un acte de résistance.

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