La vie après la viande

Le journaliste et animateur radio Matthieu Dugal raconte comment il a surmonté son amour indéfectible pour le steak de thon et les côtelettes d’agneau, afin de devenir un végane assumé.

TEXTE  Matthieu Dugal

ILLUSTRATION  Kane Tchir

Très sincèrement, je ne pensais jamais écrire ça. D’ailleurs, c’est pas facile de le faire considérant la manière dont on juge ce choix de vie dans toutes les couches de la société — tant à gauche qu’à droite, tant en haut qu’en bas. Bref, je ne récolterai ni likes, ni amis, ni gratitude avec cette confession. Et promis, je ne vous en parle plus après.

Longue histoire courte: il y a un an, ma blonde a commencé son «Défi végane 21 jours». Je dis «son», parce que si j’ai commencé par dire «OK, je vais le faire avec toi» (principalement pour des raisons logistiques—eille, deux menus par repas quand t’es deux dans la maison, ça va faire), je visualisais déjà le glorieux retour des omelettes, des côtelettes d’agneau au romarin, des ossobucos extra persil, du tendre tilapia et des bonnes saucisses aux mille saveurs. Parce que j’aime la viande. En malade.

Et je mange tout. J’ai déjà habité en Uruguay, patrie de l’asado avec l’Argentine, là où on mange les bêtes au complet, de la tête à la queue, et des fois aux queues. Des yeux, d’la cervelle, d’la panse, d’la langue, des schnolles, en veux-tu en v’là. J’ai même adoré le haggis quand je suis allé à Édimbourg — c’est dire —. et j’ai toujours été pas mal sensible aux arguments du chef Martin Picard, pour ne nommer que celui-là. J’aime la viande! Pas mal un gros fan de poisson aussi. Morue noire sauce au beurre? Steak de thon réduction de balsamique? Pavé de saumon noyé dans le jus de citron? Emmènes-en, c’pas d’l’onguent. Et les fromages… Partez-moi pas là-dessus. Dattes farcies au bleu. Miam. 

Je vais être bien franc avec vous (et avec elle), même si j’aime beaucoup Élise Désaulnier (et depuis longtemps) et que je trouve que sa présence en ligne est vraiment top, je ne m’étais vraiment pas arrêté à essayer de comprendre les raisons de son véganisme. En fait, ça me faisait toujours un peu suer (juste un peu quand même) de voir ses publications, cet acharnement. Je me disais qu’anyway, ça fait des milliers de générations qu’on mange de la viande; c’est, évolutivement parlant, plus que normal. Pis franchement, on est au sommet de la chaine alimentaire, on est des prédateurs comme y en a des milliers d’autres dans le monde animal. La souffrance de ces êtres inférieurs à nous? Fuck that. Cage aux sports!

En quelques mots, je trouvais les véganes un peu too much avec leur lot quasi religieux d’interdictions et leur refus du plaisir de manger du bon manger.

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Vous devez commencer à voir que la science est un des grands principes qui guident mon passage sur cette roche. Après ces trois semaines de documentation, donc, j’ai fait le constat suivant: au-delà du comportement de certains véganes, qui frisent le ridicule avec un prosélytisme digne d’un jésuite venu révéler aux populations autochtones l’existence d’un dieu meilleur que les leurs, le véganisme a beaucoup plus de sens que l’alimentation carnée. Et par une très, très, très grosse marge.

D’un strict point de vue thermodynamique, l’alimentation carnée, c’est un peu comme si on chauffait encore nos maisons au charbon. La quantité d’énergie et d’eau qu’il faut pour produire un kilo de viande, de lait ou de beurre est tout simplement insoutenable si nous voulons pouvoir nourrir les dix milliards d’habitants qui peupleront bientôt la Terre. Il y a 70 milliards de bêtes d’élevage dans le monde; leur merde, de même que la nourriture, les engrais et les médicaments qu’on leur donne, représentent une catastrophe environnementale au même titre que l’obstination de Trump à vouloir ouvrir des zones de forage pétrolier comme si c’était des McDo. Les zones qui sont mortes dans les rivières et les océans à cause des engrais utilisés dans l’agriculture industrielle (principalement pour nourrir du bétail) asphyxient les écosystèmes, et les meilleurs d’entre eux.

Si tout le monde mangeait sans viande, on diviserait par 20 le nombre de terres nécessaires pour se nourrir, et on sait qu’on a besoin de plus de forêts.

Et on ne parle même pas de la surpêche: de plus en plus d’études indiquent que nous sommes en voie de vider les océans de leur vie, littéralement. Pour un kilo de poisson pêché, on tue cinq kilos de biomasse marine. Selon plusieurs experts, à moins de pêcher deux-trois truites une fois de temps en temps dans un lac des Laurentides, le concept de pêche responsable n’est qu’une pieuse technique de greenwashing.

Depuis Darwin, nous nous rendons aussi compte que nous ne sommes qu’une branche de l’évolution de la vie sur Terre, et que ce qui nous semblait exclusif, la conscience, est probablement beaucoup plus répandu que nous ne le croyions. En fait, les neurosciences sont catégoriques: nos animaux d’élevages industriels sont dotés de conscience et souffrent. Je pense à ça quand je croise, sur l’autoroute, des camions de cochons qui s’en vont à l’abattoir, et qu’il pleut et qu’il fait cinq degrés. Ce n’est pas de la sensiblerie; c’est scientifiquement prouvé. Qu’on mange de la viande ou pas, faut juste le savoir.

La viande bio, les vaches dans les champs, les poules en liberté? C’est super, mais la quantité de terres requise pour répondre à notre demande est tout simplement impossible à atteindre.À l’instar de plusieurs experts, j’en suis venu à la conclusion que l’industrie de la viande est scientifiquement et écologiquement non viable.

Tout ce gâchis écologique juste pour avoir un bon gout sur la langue? Je n’achète plus ça.

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Est-ce qu’on a besoin de viande et de lait et de poisson pour vivre? Pas du tout. C’est loin d’être indispensable. Est-ce que le véganisme est à la portée de toutes et de tous? Pour un paquet de raisons — de santé, d’accessibilité —, non. J’ai la chance d’avoir un bon salaire (mais tsé, ça coute cher en simonac, la viande…), de vivre dans un endroit où l’offre est énorme. J’ai choisi de ne pas avoir d’enfants, je n’ai donc pas à composer avec la pression de l’école et celle de leurs amies et amis.

J’ai aussi la chance d’aimer pas mal la bouffe, toute la bouffe (en fait, à part les bananes pis les $%&*&?% de panais, j’mange pas mal de tout). J’ai la chance d’avoir une blonde en or avec qui j’ai le plaisir de cuisiner de la vraie gastronomie, pas des substituts fades à une alimentation que j’adore à la base, je le répète.

On sait qu’on ne mange collectivement pas assez de fruits et de légumes. Nous sommes des populations en carence de fibres, et cela occasionne un paquet de troubles de santé qu’il serait trop long de nommer ici. Est-ce qu’on peut mieux vivre en ne mangeant pas de viande? Oh que oui.

 

Dans la vie en général, il m’arrive d’être en tournage et de devoir suivre l’équipe au resto. Est-ce que je vais faire c.…? Non. Tu m’invites chez vous (tu vas m’inviter encore, hein)? Ça se pourrait que je te vole une tranche de saucisson à l’apéro. Et oui, je mange des huitres (jusqu’à preuve du contraire, une huitre n’a pas de conscience et son élevage ne met pas en danger les océans). Est-ce que je me trouve saint? Pantoute. Je suis moi aussi pétri de contradictions, que j’assume, et je suis bien évidemment ouvert à en parler.

J’aimerais vraiment remercier Marianne, ma blonde adorée, qui m’a permis de réaliser ces choses en prenant l’initiative de ce changement beaucoup moins difficile qu’il n’y parait. Est-ce que mon choix est un jugement à propos de mes collègues, amis et amies qui ont décidé de faire autrement? Pas du tout. Je vais pas m’insurger contre une chose que j’ai pratiquée pendant des décennies.

Vous pouvez me juger secrètement, ou pas. Mais j’espère que vous allez me parler pareil. Je vais continuer à rire des jokes de véganes (souvent excellentes), je vous aime ben gros, je vous souhaite une ben belle année qui que vous soyez et où que vous soyez.

Pis une chance que la bière, c’est végane.

MATTHIEU DUGAL est journaliste, animateur et chroniqueur depuis 20 ans. Il a notamment collaboré avec Le Devoir, La Presse, Voir et ICI Radio-Canada Première, où il anime l’émission Moteur de recherche, qui conjugue science, environnement, santé et technologies.

KANE TCHIR est le fondateur du studio d’art et d’illustration multidimensionnel NICE NOTHINGS, basé à Vancouver. 

 

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