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Le grand écart climatique

Quand les bonnes intentions ne suffisent plus.

La majorité des comportements supposément écoresponsables que mes semblables et moi avons adoptés au cours des deux dernières décennies — recycler nos déchets, utiliser des appareils moins énergivores, faire nos courses dans les marchés de producteurs fermiers, amener nos sacs réutilisables à l’épicerie — ont eu un effet très limité, voire contreproductif, sur la protection de l’environnement.

 

En fait, leur fonction principale a été de soulager la conscience de ceux qui ont le plus à se reprocher, tout en aggravant, dans certains cas, les problèmes sous-jacents. Pour les gens que l’avenir inquiète, la question existentielle est généralement la suivante : avons-nous, en tant qu’espèce, la volonté d’investir rapidement et massivement dans les éoliennes, les panneaux solaires et les bornes de recharge pour les voitures électriques ? Or, ce que nous devrions plutôt nous demander, c’est si nous avons la volonté de renoncer aux combustibles fossiles enfouis dans le sol. Chaque jour, par nos gestes, nous répondons majoritairement « non » à cette question — pourtant cela ne nous empêche pas de décrier sur Facebook les idéologues complaisants qui détiennent le pouvoir aux États-Unis. Les voyageurs n’ont jamais autant pris l’avion; les camions légers restent les véhicules de passagers les plus vendus en Amérique du Nord; et il suffit de faire ses emplettes dans des magasins « différents » pour donner l’impression de pratiquer un militantisme réfléchi.

Il n’est jamais facile de se priver des conforts de la vie moderne, même pour les écolos les plus endurcis. De nos jours, même les Nord-Américains qui touchent le revenu médian vivent plus somptueusement que la majorité des plus riches personnalités de l’histoire (le roi Crésus n’avait pas de toilette à chasse d’eau ni d’antibiotiques, et ne bénéficiait d’aucun programme de fidélité pour voyageur fréquent, entre autres privations). Les luxes d’hier sont les besoins d’aujourd’hui. Où sont passés les millions de téléviseurs à écran cathodique qui faisaient notre bonheur avant l’apparition des écrans plats à haute définition ? On n’en voit même plus dans les chambres des motels bon marché. Ont-ils tous fini au dépotoir, avec les téléphones intelligents que nous jetons alors qu’ils sont encore en bon état ?

L’une des difficultés réside dans le fait que l’impact climatique des émissions de dioxyde de carbone est cumulatif, contrairement à celui des réductions individuelles. Lorsque j’allume l’ampoule à incandescence de 75 W de ma lampe de bureau, je fais ce qui peut être considéré comme un ajout permanent à la concentration mondiale de CO2. L’électricité qui alimente la lampe vient en effet d’une centrale qui brule du gaz naturel; le dioxyde de carbone ainsi rejeté dans l’atmosphère ne peut être éliminé. Si je remplace mon ampoule de 75 W par une DEL de 9 W, j’ai l’impression d’avoir posé un geste écologique, puisque cette dernière consomme moins d’énergie, pour une luminosité semblable.

Mais, comme chaque fois qu’il y a un gain d’efficience, il faut voir où va l’énergie économisée; c’est cela, plus que tout, qui déterminera l’impact environnemental de mes actions. Si je l’utilise pour justifier la pratique d’une autre activité énergivore — conduire ma voiture, commander des trucs sur Amazon Prime, voyager en Europe avec ma conjointe, oublier d’éteindre les lumières —, je n’aurai pas du tout réduit mon empreinte carbone : j’en aurai simplement changé la forme. Hélas, c’est souvent ce qui se produit. Plus problématique encore, nous n’utilisons pas notre capacité à fabriquer des machines moins énergivores pour diminuer notre consommation, bien au contraire. Les climatiseurs d’aujourd’hui nécessitent beaucoup moins d’électricité que les appareils disponibles sur le marché quand j’étais jeune. Mais, comme ils ne coutent pas grand-chose à produire et à alimenter, ils ont cessé depuis longtemps d’être des objets rares. Résultat : les Américains consomment maintenant plus d’électricité pour la climatisation qu’ils en consommaient pour satisfaire tous leurs besoins dans les années 50, époque à laquelle mes parents se sont procuré leur premier appareil à prix fort.

 

L’expression «Green Gap», ou «écart vert», désigne le fossé qui existe entre les bonnes intentions et les actions utiles. C’est là que les comportements de la plupart d’entre nous se situent.

Ce ne sont pas les décisions d’achat des gens riches qui sont à l’origine de la hausse des températures mondiales, c’est la richesse elle-même. Il y a fort à parier que ma facture d’électricité en dit moins sur mon impact environnemental que ma déclaration de revenus. Voilà pourquoi les récessions sont particulièrement efficaces pour réduire les émissions de CO2 : quand l’économie ralentit, les usines polluantes ferment leurs portes, les travailleurs inquiets cessent de chauffer leur piscine et les chômeurs tentent d’économiser par tous les moyens. Mais lorsqu’elle reprend de la vigueur, les vieilles habitudes rappliquent. Ce qu’il faut surveiller, ce n’est pas le nombre de commandes de la Tesla Model 3, mais plutôt la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère — et elle continue de grimper. Pour faire infléchir la tendance, nous devons trouver le moyen de reproduire les effets bénéfiques de la récession à l’échelle mondiale sans faire souffrir davantage les plus démunis. Remplacer nos ampoules incandescentes ne suffira pas.

Dans une conférence donnée il y a quelques années, je soutenais que le trafic a une valeur environnementale parce qu’il dissuade les gens d’utiliser leurs voitures. Celles-ci consomment directement de l’énergie, évidemment, mais elles sont surtout dommageables pour l’environnement parce qu’elles encouragent l’étalement urbain et la construction d’infrastructures civiles superflues. Grâce aux automobiles, les gens peuvent facilement vivre loin de leur lieu de travail, dans des maisons surdimensionnées donnant sur des cours surdimensionnées. J’affirmais qu’une stratégie plus verte consisterait à rendre l’utilisation de la voiture particulièrement désagréable, notamment en rétrécissant les routes existantes et en aggravant, donc, les embouteillages.

Après la conférence, un homme est venu me voir pour me dire qu’il n’était pas du tout d’accord avec moi. Il m’a expliqué qu’il vivait à San Francisco et qu’il aimait beaucoup aller randonner la fin de semaine dans les montagnes au nord de la ville, mais que le trafic était devenu si dense qu’il lui fallait parfois deux heures pour se rendre. Il estimait que ce désagrément était un problème environ-nemental : le fait qu’il ne puisse pas consacrer autant de temps qu’il le souhaitait à communier avec la nature n’était pas une mauvaise chose seulement pour lui, mais pour le monde entier.

Cette vision individualiste a été subtilement encouragée par plusieurs grands groupes de défense de l’environnement, peut-être parce qu’elle cadre bien avec les préférences récréatives de leurs principaux sympathisants. L’argument généralement invoqué s’appuie sur l’idée qu’il est impossible d’apprécier la nature à moins d’y pratiquer des activités. S’il y a une part de vérité là-dedans, il est aussi vrai que l’intimité de l’homme avec les espaces sauvages est et a toujours été la principale cause de leur destruction — un autre exemple de la tendance de l’humain à aimer à mort, littéralement. Cette relation de proximité n’est pas viable à l’échelle d’une population de neuf ou dix milliards de personnes.

Habiter une maison LEED Platine sans électricité et faire pousser des légumes bios à côté d’un torrent de montagne, ce n’est pas un mode de vie écoresponsable : c’est un luxe.

L’usage de plus en plus édulcoré du terme durable témoigne par ailleurs de cet individualisme environnemental. Pour la plupart des gens (et des publicitaires) qui l’emploient, adopter un mode de vie durable veut dire, en gros, « continuer de vivre comme je le fais actuellement, mais peut-être avec une voiture différente ». Une bonne façon de remettre les pendules à l’heure consiste à nous demander : nos vies seraient-elles si différentes si le changement climatique anthropique n’existait pas ? Les maisons, les voitures et les pickup seraient-ils encore plus gros ? L’essence serait-elle encore moins chère ? Les aéroports seraient-ils encore plus achalandés ? Nous aurions certes moins d’éoliennes et de panneaux solaires, mais ils ne sont déjà pas très nombreux…

Pour pouvoir espérer un avenir meilleur, nous devons cesser de considérer la progression de la consommation — qu’on appelle aussi la croissance économique — comme le principal indicateur de l’épanouissement humain. Ce n’est pas une tâche facile, même pour les personnes qui possèdent déjà tellement de commodités qu’elles ne savent plus quoi en faire. Dans le cas de celles qui n’ont rien du tout, c’est carrément impossible. (Des centaines de millions de gens pourraient bénéficier de l’électricité que je gaspille quand j’oublie d’éteindre la lumière de la salle de bain. Juste ça.) Nous n’avons jamais été très bons pour « vivre avec moins »; or nous allons devoir nous y mettre sérieusement, et pas seulement en posant des gestes individuels, mais en agissant collectivement. Sans attendre. ■

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David Owen est journaliste au New Yorker. Il est aussi l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont les plus récents sont : The Conundrum: How Scientific Innovation, Increased Efficiency, and Good Intentions Can Make Our Energy and Climate Problems Worse et Where the Water Goes: Life and Death Along the Colorado River.

Nous avons créé un dossier spécial sur les écarts climatiques avec des créatifs de partout en Amérique du Nord.

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