Apprendre à aimer le temps long

Texte & Photos — Marie Charles Pelletier

Dimanche après-midi. Rue Chambord. Installée sur ma terrasse qui fait face à l’Ouest, le soleil de mars plombe. Je jase avec mon voisin — qui s’adonne à être aussi mon grand ami — et dont le balcon est situé à deux mètres du mien.

On discute du temps qui s’écoule lentement pendant notre isolement, de notre nouvelle manière de vivre, des chiens qui défilent dans la rue, et de nos points de vue sur les films Men in Black 1 et Call Me By Your Name.

À seize heures moins quart, je reçois un message attentionné du chum de mon oncle qui veut prendre le pouls de ma situation. Je lui réponds que je suis en plein remake des Belles-sœurs de Michel Tremblay, que je fais du people watching avec mon voisin en écoutant la trame sonore des Triplettes de Belleville. Quand je lui renvoie la question, il me répond que de son côté, il finalise la construction d’une ruche pendant que mon oncle, lui, travaille sur une maquette dans son atelier.

Bon, une autre affaire. Je réalise soudain que contrairement à eux, moi, je perds mon temps. Moi qui pensais qu’on s’était passé le mot pour relaxer toute la gang. Semble-t-il que non. Il faut faire des choses « utiles ». Encore. Pas moyen de s’arrêter deux secondes. Il faut maximiser notre temps, en faire bon usage. Entreprendre un projet. Publier une photo. Partir une mode. Ils sont très proactifs mes oncles et oui, je les admire beaucoup. Cela dit, moi, je n’ai toujours pas bougé de mon balcon.

Je relance la conversation avec mon voisin, qui lui aussi, est toujours au poste. Je l’informe d’un fait divers dont j’ai eu vent au petit matin: les Américains auraient dévalisé les magasins d’armes à feu et de munitions alors que nous, Québécois, nous étions garoché sur les tapis de yoga et les altères. C’est plus louable le training dans le salon que l’achat compulsif d’un glock chromé, j’en conviens. Mais quand même, je me dis: «Les amis. S’il vous plaît, là. Y’a tu moyen qu’on décante deux secondes avant de commencer à faire de l’escalade dans sa cuisine?»

Même quand la Terre entière nous impose un repos forcé, notre premier réflexe est de se dépêcher d’aller acheter des affaires par survivalisme. Tout pour ne pas se retrouver à rien faire sur son balcon.

En rentrant dans la maison (mon plus gros déplacement de la journée), je vois qu’un autre ami, localisé lui à environ 130 km plus au nord m’a envoyé une réflexion.

Moi, je trouve qu’on est pas mal privilégié.e.s

De vivre une petite pause comme ça.

Pour une fois écouter les oiseaux et prendre le temps de se dire bonjour.

Mais encore là, on performe au travers nos cellulaires.

Si être, respirer et réfléchir sont devenus synonyme de détresse

On a sûrement manqué la courbe de l’essentiel

Au profit de celle de la croissance.

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Évidemment, il sous-entend ici qu’on est privilégié.e.s dans les circonstances. L’intention n’est pas de minimiser les répercussions sociales, économiques et psychologiques majeures qui vont découler de la crise et perdureront pour plusieurs d’entre nous, mais plutôt de tenter de trouver des petites fenêtres de bien-être et de relativisme au travers de cette tempête.

Devant une humanité aussi fragile que la nature est puissante, la crise actuelle offre des pistes de réflexion pour repenser notre manière de vivre et de consommer. À tout le moins pour apprendre à ralentir.

Notre rapport au temps est tellement faussé qu’on a toujours l’impression de le perdre. Et si nos doutes et nos angoisses liées à la COVID-19 nous indiquaient ce qui est vraiment essentiel? Et si on apprenait à mieux utiliser le temps et à reconnaitre sa valeur? Comme celle d’un après-midi passé chez un grand-parent dur d’oreille ou à refaire le monde avec son voisin.

Vous savez dans les pays chauds… les gens qui sont toujours assis dehors sur des chaises en plastique délavées par le soleil et qui regardent le monde passer en jouant aux cartes… Certains diront qu’ils flânent. Moi, je trouve qu’ils profitent très bien de leurs beaux jours. Je me suis souvent passé la réflexion d’ailleurs que ces locaux-là, assis à la même place, à chaque jour, avec le même monde, à regarder les uns et les autres papillonner autour d’eux ont probablement compris quelque chose de fondamental. Trouver du contentement et de la joie dans l’environnement qui nous entoure, dans les journées qui se succèdent et qui se ressemblent toutes un peu. Être sensible aux détails, ralentir le rythme et apprécier en douceur la vie. C’est un bonheur simple que nous, les adeptes de la performance et de la consommation, avons toujours beaucoup de mal à saisir, et à atteindre surtout.

L’essentiel, pour moi, c’est la connexion humaine: la famille, les amis, les voisins. Nous avons besoin les uns des autres et ces relations sont ce que nous avons de plus cher. Levons les yeux un peu. Soyons le vieil homme sur son perron qui passe sa journée à réfléchir et à saluer les passants. De toute façon, ça nous aura pris moins d’une semaine pour constater que l’individualisme échoue à tout coup. ■

N.B. L’accomplissement d’un dimanche en quarantaine peut être simple. Il peut être de construire une ruche oui, mais il peut aussi être de piquer une conversation de deux heures au téléphone avec son père, même s’il est d’un naturel peu loquace. Il peut aussi se trouver dans l’élaboration d’une pizza hawaïenne faite avec la canne d’ananas qui trainait dans la pantry depuis 2 ans ou encore dans les trois siestes d’affilées qu’on se clanche pour évacuer la fatigue accumulée. Ce n’est pas grave ce que tu fais de ton temps. Personne n’a vraiment besoin de savoir à quoi tu t’occupes non plus. C’est le tien et il t’appartient.

Marie Charles est chargée de projet chez BESIDE Cabins et BESIDE Média. Elle emploie le reste de son temps à se perdre (en forêt ou dans ses pensées). Marie Charles aime les paradoxes et les phởs pour déjeuner. Elle est sensible à son environnement qu’elle prend plaisir à observer longuement — tant en nature que depuis son balcon de la rue Chambord.

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