Catherine Bernier

La photo pour se reconnecter à soi-même, aux autres et à l’océan.

PHOTOS Catherine Bernier

Rédactrice et photographe indépendante, Catherine Bernier use de sa créativité pour reconnecter les gens à eux-mêmes, aux autres et à la nature. Diplômée en psychologie de l’orientation et professeure de méditation, elle est fascinée par les interactions entre l’humain et son environnement. Originaire de la Gaspésie, elle entretient une étroite relation avec la mer et les vastes territoires sauvages. Si elle n’est pas quelque part en Amérique latine pour le surf, elle refait le plein d’iode à sa cabine en Nouvelle-Écosse.

 

À quand remonte ta passion pour la photographie?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attirée par les différentes formes d’expression. Dans les arts, tout est une question de perception, d’interprétation et de choix. Pour moi, la photographie est une manière efficace d’exprimer sa singularité, de connecter son monde intérieur au monde extérieur et vice versa. C’est une passion de longue date, et mes parents y sont aussi pour quelque chose: durant mon enfance, ma mère prenait énormément de photos de mes soeurs et moi avec son appareil 35mm, alors que mon père traînait sa caméra à l’épaule partout où on allait. Ces images avaient comme seul objectif de préserver des petits bouts de bonheur en famille. La photographie a donc une connotation positive pour moi. J’imagine que ça fait partie de ma personne, comme un réflexe naturel, même si j’ai découvert l’aspect technique beaucoup plus tard, à l’âge adulte.

Comment ta pratique du surf influence-t-elle ta photographie, ou vice versa?

D’une manière purement géographique, le surf influence pratiquement toutes mes destinations de voyages, à l’exception d’une mission socioéconomique au Groenland… quoique je n’ai pas pu m’empêcher de faire des recherches sur de potentielles vagues dans l’Arctique. Même si mes photos ne sont pas toujours orientées vers le surf, la pratique de cette passion est un pont extraordinaire pour plonger dans une culture, s’immerger dans une nouvelle communauté. J’ai fait des rencontres mémorables de cette façon. Le surf me connecte également à la chose qui me fascine le plus : l’eau et la chaine de vies qui en dépend. En surfant, je me sens comme un élément de cet écosystème. Cela m’amène à mieux le comprendre.

 

La vague de Chicama est la plus longue gauche au monde. L’endroit est aussi reconnu pour ses forts courants marins, ce qui oblige le surfeur à nager constamment pour garder une bonne position. Depuis quelques années, il est possible de se payer un chauffeur qui fait des allers et retours en bateau à moteur. Toutefois, d’une certaine manière, le va-et-vient des embarcations dénature le sport et discrimine une partie des surfeurs. La plupart des locaux n'ont pas la chance de se payer des « rides » de bateau.
La pêche est la principale activité d’une bonne partie du littoral péruvien et elle est fondamentale pour l’économie du pays. Elle est aussi ancrée dans le mode de vie des communautés locales. Malheureusement, au-delà de la surpêche et de la pêche illégale, le réchauffement des eaux est un enjeu de taille qui menace la survie de plusieurs espèces d’eau froide, dont l’anchois péruvien (Engraulis ringens), le poisson le plus pêché au monde. Ce réchauffement est généralement associé au phénomène El Niño, qui frappe régulièrement le Pérou, mais voilà que le changement climatique aggrave la situation.

Quel(le) reportage, lieu ou communauté t’a particulièrement marquée?

L’endroit qui m’a marquée cette année se trouve à plus de 3 000 mètres d’altitude, bien loin de ma zone de confort se situant habituellement au niveau zéro. La manière dont les communautés vivent en montagne me captive, plus particulièrement à Huamachuco, là où les forêts d’eucalyptus côtoient les mines d’or à ciel ouvert, là où les troupeaux de moutons traversent les terrains de basketball, là où les ruines pré-incas de Marcahuamachuco nous rappellent l’histoire oubliée d’un peuple pionnier. Bien que le Machu Picchu soit pittoresque, je préfère les lieux moins fréquentés, voire encore bruts. À Huamachuco, on perçoit un fort contraste entre le désir de se moderniser et celui de préserver les traditions. Bon nombre de femmes portent encore la jupe et le chapeau traditionnels. Ces dernières filent la laine de lama tout en marchant, alors que les hommes mâchent les feuilles de coca pour se donner de l’énergie. Là-bas, j’avais souvent l’impression de reculer dans le temps, de vivre à une autre époque, mais les cellulaires et les énormes camions transportant le minerai me ramenaient vite à la réalité. Enfin, c’est cet équilibre fragile, dans lequel le peuple est amené à évoluer, qui me fascine le plus.

Quel élément essentiel cherches-tu à saisir dans tes photos?

L’humain en interaction avec l’environnement m’interpelle d’emblée, alors que la nature est ma muse en tout temps. Je privilégie les moments capturés sur le vif pour une plus grande authenticité, et j’adore jouer avec les formes, les textures et les contrastes dans ma démarche artistique.

 

Une mère et sa fille, les bras chargés de sacs et d’une volaille, s’en vont troquer l’animal au marché de Huamachuco. Derrière, une jeune femme texte en marchant. À mes yeux, cette scène captée sur le vif révèle le chevauchement qui s’opère actuellement entre la modernité et la tradition.

Que retiens-tu du Pérou?

C’est un pays rempli de richesses, de la terre à la mer, notamment en raison de ses différents paliers d’altitude. On y trouve autant de sortes de pommes de terre que de jours dans une année. Un important travail est fait pour préserver les espèces indigènes. Au Pérou, tout peut pousser, tout peut être pêché, mais l’abus des ressources naturelles est certainement un enjeu de taille pour la nation… comme partout ailleurs, me direz-vous! Toutefois, je suis optimiste. Je sens un profond enracinement du peuple dans leur culture et leur savoir-faire. J’ai le sentiment que, malgré l’abus, le peuple est outillé pour évoluer d’une manière plus écoresponsable. Pourvu qu’il soit conscient que leur savoir-faire, singulier d’une communauté à une autre, est une richesse inestimable. Nous avons d’ailleurs beaucoup à apprendre des Péruviens à commencer par leurs connaissances sur les plantes médicinales, leurs techniques de pêche locale, leur façon de tisser et de teindre les vêtements… et je terminerais par leurs compétences culinaires. On mange divinement bien au Pérou!

Une fleuriste au marché de Trujillo nourrit son enfant, tout en assemblant ses bouquets de fleurs fraîches. Au Pérou, il est tout à fait normal de voir les femmes s’occuper de leurs enfants au travail, faute de pouvoir se payer une gardienne. Cela fait néanmoins partie de leur culture.

Choisis-tu d’abord tes destinations voyage en fonction de ce que tu pourrais y photographier ou des histoires à raconter?

Ça ne m’est jamais arrivé! Je priorise une approche plus organique. À mon avis, c’est à nous de repérer les bonnes histoires et d’aller à leur rencontre. Pour moi, une brouette remplie de poissons tirée par un pêcheur péruvien qui porte un tee-shirt où il est inscrit USA en grosses lettres m’interpelle autant qu’une plage emblématique, car la scène révèle un mode de vie, un contraste, une réalité controversée. En ce sens, peu importe où je vais, l’humain en interaction avec son environnement ne cesse de me surprendre. Selon moi, la magie est partout là où on veut bien la voir!

 

À Huamachuco, le temps semble s’être arrêté pour préserver les savoir-faire ancestraux. En montagne, il est encore coutume pour les femmes de porter le chapeau traditionnel, de teindre les vêtements à partir de teintures végétales ou minérales, et de filer la laine d'alpaga ou de lama, tout en s’occupant d’un troupeau d'animaux de pâturage.

Que fais-tu quand tu es en manque d’inspiration?

Je médite. Cela me permet de libérer des tensions pour créer de l’espace dans mon corps et dans ma tête. Prendre du recul est la clé, sinon on demeure prisonnier de ses pensées. Le cerveau a aussi besoin d’expériences variées pour construire de nouvelles idées, propices à l’émergence de la créativité. Rencontrer des gens, découvrir les œuvres d’un artiste émergent, habiter dans un autre pays, essayer une nouvelle recette, faire de la photo et surfer sont certes des moyens efficaces que j’ai trouvés pour me garder inspirée. Et j’ajouterais : vivre chaque moment de manière plus consciente.

Quels sont les trois comptes Instagram qui t’inspirent le plus?

J’aime beaucoup @anapaula__a pour ses photos et ses propos sentis. Elle capture l’immensité comme elle collecte les petits moments.

L’artiste @jeremylechatelier pour son art sur le surf et le vagabondage en mer.

L’artiste @filippaedghill pour son art et ses photos qui mettent de l’avant la féminité et la liberté.

 

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