Ailleurs Dans la lentille
Renaitre de ses hivers
Dans un village où les fenêtres sont calfeutrées par des bancs de neige de quatre mètres, le photographe Fred Tougas capture un mois de mars particulièrement glacial.
Texte—Marie Charles Pelletier
Photos—Fred Tougas
Murdochville est une petite ville située au beau milieu de la péninsule gaspésienne, à une heure de route d’à peu près tout, dans un sens comme dans l’autre.
Pour s’y rendre, il faut suivre la route 132 balayée par le vent du fleuve, puis piquer vers l’intérieur des terres à L’Anse-Pleureuse. Quand la forêt laisse place à des buttes qui ne ressemblent à rien (sauf aux vestiges de montagnes qu’on a creusées autrefois), c’est signe qu’on arrive.


Cette municipalité se distingue de toutes celles sur le littoral. C’est notamment parce qu’elle a été édifiée en moins de dix ans par la compagnie minière Gaspé Copper Mines au début des années 50, après que les frères Miller y eurent déniché du minerai de cuivre. L’importance de l’activité minière y était telle qu’on a nommé la ville en reprenant le nom du président de la compagnie à l’époque, James Y. Murdoch.
Dans les années 70, Murdochville dépasse déjà les 5 000 âmes mais, en 1999, son moteur économique s’effondre: la mine ferme ses portes. Se tient alors un référendum sur l’avenir de la ville lors duquel 60% des citoyen·ne·s votent en faveur de sa fermeture, dans l’espoir de recevoir une indemnité pour refaire leur vie ailleurs. Le gouvernement Landry refuse, mais la ville se vide malgré elle.

Les vestiges de la mine et l’église dont les haut-parleurs continuaient d’émettre les chants chrétiens par intermittence jusqu’à ce que le bâtiment soit racheté par le Chic-Chac en 2020 et converti en Quartier Général.
Aujourd’hui, tel un irréductible village gaulois, Murdochville survit encore et toujours aux méandres du temps et aux tempêtes de neige. Les gens qui continuent d’y vivre refusent de la voir mourir.
Ces personnes et celles qui sont de passage y trouvent une quiétude rare et un accès inespéré à la nature. Les amateur·rice·s de hors-piste l’ont compris: l’hiver, la ville devient leur camp de base pour l’ascension de différents sommets. Les gens se réunissent dans ces petites maisons qui n’étaient pas destinées à accueillir autant de chaussons de bottes devant le poêle. Alors que le développement économique de la ville semblait voué à l’échec, il a lentement été relancé grâce au tourisme et à l’énergie éolienne.


Son isolement en fait un lieu particulier, avec un espace-temps différent. La végétation y est rare. La mine a transformé l’environnement en paysage lunaire. Lors des crépuscules sans nuages, le ciel devient orange. Et, quand l’hiver s’impose, l’ex-ville minière capitule devant la neige. Dans ce climat nordique, la présence humaine détonne d’ailleurs, comme si les conditions climatiques extrêmes mettaient en évidence cette insistance à vouloir s’implanter en terrain à priori hostile.

Une cabine téléphonique qui connait peu d’appels en hiver.
À Murdochville, les habitant·e·s ne se surprennent pas de trouver la fenêtre du salon entièrement obstruée après une tempête. Ils et elles ne se surprennent pas non plus d’en voir d’autres se déplacer en skis ou stationner leur motoneige devant l’épicerie.
L’hiver là-bas est une ode à la lenteur, malgré les rafales qui soufflent à 50 km/h. C’est aussi un aperçu de notre impuissance devant la nature. En marchant dans les rues, on peut entendre le froid grincer sous nos pas, dans les arbres et entre les maisons tissées serrées. Bientôt, la neige condamne les portes d’entrée et les voitures disparaissent encore pour réapparaitre au printemps. Pendant ce temps, les enfants construisent des forts dans les bancs de neige qui font trois fois leur hauteur.



Un Murdochvillois au cœur sur la main qui déneige la cour de ses voisin·e·s.
Encapsulée dans les montagnes, la ville conserve les vestiges d’une autre époque, comme une réminiscence de l’hiver tel que nos grands-parents l’ont connu.
Dans cette ville figée dans le temps et dans l’hiver, on se sent à l’abri. Et si Murdochville n’a jamais voulu disparaitre malgré les intempéries, c’est peut-être parce que les gens ont su s’adapter à la nature qui les entourait sans s’imposer davantage, mais surtout, en s’ouvrant à la beauté qu’on peut trouver au-delà de l’hostilité et de l’éloignement. Elle se cache parfois dans le son du vent qui souffle de loin.
Photographe oscillant entre Montréal et l’ailleurs, Fred Tougas se consacre à la recherche de moments de contemplation existentielle où les sens sont particulièrement en éveil. À travers sa démarche, il tente de capter l’essence d’un sujet ou d’un lieu, d’en déceler le caractère singulier ou paradoxal. Ses images évoquent un état, une émotion ou une représentation poétique et invitent à la réflexion.
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