Les Jardins les plus nordiques du Québec

Parcourir les Jardins de Métis, c’est dialoguer avec la nordicité et l’exotisme, l’architecture et l’art contemporain, la botanique et la gastronomie, les savoir-faire des jardiniers et des concepteurs paysagers d’ici et d’ailleurs. Ce milieu de vie aux allures idylliques est bien réel, bien qu’il faille se pincer pour y croire.

Dans le cadre de

Texte & Photos — Catherine Bernier

À la croisée des territoires vallonnés de la Gaspésie et des paysages vernaculaires du Bas-Saint-Laurent se trouve l’œuvre d’une horticultrice pionnière des années 20: Elsie Reford. Les Jardins de Métis jouissent d’un écosystème particulier, au confluent de la rivière Mitis et du fleuve Saint-Laurent. Les conifères odorants forment une barrière bienveillante contre les vents dominants et l’air salin en été, alors que la neige abondante dans la région sert de couvert à la faune et la flore pendant l’hiver. 

Je me souviens des jardins lorsque j’étais petite. Chaque été, je m’y rendais depuis Sainte-Flavie, le village voisin où j’ai grandi. L’espace me semblait immense, comme si je voyageais dans un autre univers. Les jardins ont forgé mon imaginaire et mon gout de l’esthétisme. Mais plus que jamais, ils nourrissent mes sens et m’incitent à tisser de nouveaux liens avec ma région mère. 

Elsie Reford parmi les lys et les delphiniums de l’Allée royale, vers 1940. Reford, Robert Wilson. Collection Les Amis des Jardins de Métis

 

Elsie Reford: plus qu’une horticultrice

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Dans ses correspondances avec des hommes d’affaires influents, Elsie se confiait parfois: «Et si seulement je pouvais être un homme…», raconte l’archiviste Marjolaine Sylvestre, au milieu du jardin de la villa Estevan.

Pourtant, Elsie n’avait rien à envier à ses confrères. Elle pêchait le saumon sur la rivière Mitis, chassait le caribou lors d’expéditions hivernales, montait à cheval, jardinait, voyageait outre-mer, gérait un domaine et s’impliquait en politique dans des enjeux liés à la santé des femmes ou aux affaires étrangères.

Elsie Reford et une invitée en canot sur la rivière Mitis, 1923. Reford, Robert Wilson. Collection Les Amis des Jardins de Métis
Elsie Reford au retour d’une session de pêche sur la rivière Mitis, vers 1909. Reford, Robert Wilson. Collection Les Amis des Jardins de Métis

«Mon arrière-grand-mère était en guerre contre la superficialité du monde. Elle essayait de le changer, de le rendre plus progressiste, plus moderne», écrivait le directeur des Jardins de Métis, Alexander Reford, arrière-petit-fils d’Elsie, dans l’exposition permanente: Elsie vue par…

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La passionnée de pêche à la mouche a grandi à Montréal dans la grande bourgeoisie d’affaires anglophone. Elle passait tous ses étés à la villa Estevan, dont elle devient l’héritière en 1918. Elle a alors 46 ans. La villa, qui faisait office de camp de pêche, appartenait à son oncle George Stephen, l’homme derrière la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique.

Elsie se met au jardinage à l’âge de 54 ans, à la suite d’une recommandation de son médecin qui lui suggère de trouver une activité moins ardue physiquement que la pêche. Ne faisant rien à moitié, Elsie décide de transformer vingt acres de terrain, dont une partie de la forêt d’épinettes, en un jardin qui deviendra l’une des plus importantes collections de végétaux de l’époque. Pour y arriver, en 1926, elle engage des fermiers et des guides de pêche de la région en vue de mettre sur pied une équipe de jardiniers à la hauteur de ses ambitions. Plusieurs y dédient leur vie. Ensemble, ils créent les conditions favorables pour développer les jardins, notamment en dénichant des matériaux dans les champs avoisinants.

Elsie Reford, Allée royale, vers 1955. Reford, Bruce. Collection Les Amis des Jardins de Métis

«Elsie troquait du saumon frais contre des feuilles mortes pour créer son terreau spécial. Certains devaient la croire devenue folle», raconte Marjolaine. Et pourtant, c’est grâce à ce troc qu’elle a réussi à mettre au point un sol riche et vivant.

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Jardin historique: des archives vivantes

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C’est une Elsie déterminée qui introduit aux Jardins des azalées et des pavots bleus de l’Himalaya dans les années 20. Elle les faisait venir d’outre-mer par son mari.

Représentant au sein de l’entreprise d’exportation maritime familiale, Robert Reford transportait les semis de l’Himalaya jusqu’au quai de Pointe-au-Père! Le pavot bleu figure parmi les grandes réussites d’Elsie, qui aimait les plantes exotiques et les défis inhérents à la culture. Elle a prouvé que la plupart des plantes vivaces étaient capables de survivre en climat nordique. «Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les chutes abondantes de neige protègent les plantes exotiques des gels directs. L’hiver devient problématique, s’il n’y a pas assez de précipitations», explique Alexander.

Aujourd’hui, on trouve plus de 3 500 variétés de plantes et d’espèces réparties dans une quinzaine de jardins: le jardin d’accueil, le jardin alpin, le jardin du ruisseau, la réserve de pavots bleus, le sous-bois et bien d’autres. Quand on les sillonne, on ne peut faire fi du travail des jardiniers et jardinières, complices de la beauté de la flore luxuriante.

La brise du fleuve se glisse immanquablement dans l’œuvre. Entre forêts et marées se dessinent des jardins de fleurs fragiles. Un tableau peu commun, marqueur de la résilience des êtres vivants.

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Jardin contemporain: un musée à ciel ouvert

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En 1961, le gouvernement prend possession des Jardins. Elsie avait fait don de son domaine à son fils Bruce, mais ce dernier n’ayant pas la même passion que sa mère pour le jardinage ni les mêmes moyens financiers pour l’entretenir a fait ce qui était inimaginable pour Elsie: vendre les jardins. L’intervention d’Henry Teuscher, conservateur du Jardin botanique de Montréal, a été déterminante pour convaincre le gouvernement de se porter acquéreur. Les Jardins deviennent alors un arrêt incontournable dans le circuit touristique de la Gaspésie.

Trente-quatre ans plus tard, Alexander est lui aussi appelé à la rescousse des Jardins. À titre d’historien, mais aussi par souci de responsabilité familiale, il se sentait interpelé par l’héritage de ses ancêtres. En 1995, il prend la direction des Jardins de Métis avec le désir de participer aux efforts collectifs du milieu pour assurer la survie du site. 

D’emblée, Alexander et son équipe ont décidé de jumeler les aspects historiques et contemporains dans le respect mutuel des deux parties. Animés par l’idée de développer de nouvelles façons de concevoir l’espace public et inspirés par le Festival contemporain des Jardins en France, Alexander et son équipe ont aussi lancé leur propre évènement de jardins contemporains, devenu le plus important en Amérique du Nord.

Chaque année, cinq concepteurs provenant de différents pays sont sélectionnés pour créer une œuvre éclectique en nature. Les projets vivent en moyenne de deux à trois ans, alors que d’autres vont durer plusieurs années, le temps que la nature s’imbrique dans le concept.

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Plusieurs défis s’imposent aux concepteurs: «Souvent le visiteur veut des jardins instantanés, mais un arbre prendra 15 ans avant d’atteindre une certaine maturité.» Les projets les mieux ficelés témoignent d’ailleurs de cette harmonie entre l’imaginaire et le réel. C’est le cas de l’œuvre Bois de biais et sa folie, réalisée par l’atelier Balto. Les concepteurs berlinois, en exploration des compétences québécoises, ont réussi à mettre la main sur des espèces de peupliers hybrides développés au Québec dans le but de stabiliser les pentes des terrains d’Hydro-Québec. Aujourd’hui, les arbres dépassent quasiment la tour, la rendant presque invisible, égale à son homonyme matérialisé. «Cette œuvre est intéressante, car on découvre quelque chose d’ici, par le regard des gens d’ailleurs.» 

Voyager dans le regard d’autrui nous permet d’apprécier la beauté du terroir, soudainement plus exotique que nous le pensions.

Gastronomie nordique aux jardins

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Parfois, pour apprécier pleinement la beauté d’un endroit, il faut le quitter. C’est un peu le parcours de Frédérick Boucher, chef exécutif aux Jardins de Métis. Originaire de Price, une petite municipalité à quelques minutes des Jardins, il a passé ses étés à pêcher et à côtoyer les producteurs de la région. Son parcours l’a mené à Montréal, puis à Paris et finalement à Lille où il a développé des réflexes qui ne le quittent plus: l’approvisionnement à la source et le commerce de proximité. 

Travailler la nordicité au gré des saisons ne restreint en rien la créativité de Frédérick et de sa brigade de cuisiniers. Ici, on peut boire les fleurs, croquer dans le fleuve à même les plantes iodées des berges et gouter à un éventail de petits fruits nordiques encore trop méconnus.

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Le défi pour Frédérick réside plutôt dans l’offre maraichère, qui est limitée: «Développer des relations durables avec les producteurs d’ici ne se fait pas en criant ciseaux. La première année, j’étais pressé, mais j’apprends à accepter que les choses prennent parfois du temps à se développer. Nous pouvons déjà compter sur de précieux collaborateurs, mais il y a encore du travail à faire. Il y a de la place pour de nouveaux maraichers dans la région.» 

Le chef profite de cette saison pour le moins particulière pour renforcer l’identité du restaurant de la villa Estevan et du Bufton, le bistrot-buvette situé à l’entrée des jardins et au cœur de la forêt. Il rêve aussi à un plus grand potager nourricier et à un réseau de fermes à proximité pour s’approvisionner, à la manière dont Elsie le faisait autrefois.

Design et architecture en fleurs 

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Reconnu pour sa démarche conceptuelle qui place en interaction constante l’être humain et le territoire, l’architecte Pierre Thibault collabore présentement à la revalorisation d’un bâtiment qui sera repensé en maison de l’innovation. Étudiants, chercheurs, artistes, entrepreneurs et conférenciers se partageront l’espace pour s’éduquer, réseauter et se ressourcer.

L’architecte a également été interpelé pour l’ajout d’un nouvel atelier qui servira de laboratoire, où ébénistes et designers pourront travailler de pair à la création de meubles. Kim Pariseau, architecte et fondatrice d’APPAREIL Architecture, conceptualisera une ligne de mobilier exclusive pour les jardins. Son esthétisme nordique, qui lui a valu des prix au Québec et à l’international, s’inscrit dans une démarche enracinée de principes durables, aussi préconisés par les Jardins. D’ailleurs, son installation: Le dernier petit cochon fait partie des œuvres du festival international des Jardins. La cheminée de briques dans laquelle nous sommes invités à entrer fait référence au patrimoine québécois en maçonnerie, tout en interpelant l’imaginaire ludique du conte des trois petits cochons.

Pour Alexander, investir dans l’architecture et le design est un legs durable pour la communauté. La Maison des stagiaires, une réalisation de Pierre Thibault et d’Émilie Gagné-Loranger, en est la preuve. Pendant la période estivale, la maison constituée de deux volumes rectangulaires en cèdre permet d’abriter une dizaine de concepteurs d’ici et d’ailleurs. Durant la saison morte, c’est le retour au calme. Située le long de la route 132, avec vue sur la forêt, la maison devient un lieu inspirant pour les artistes solitaires qui s’installeront en résidence pendant l’hiver. La maison est aussi offerte en location pour les rencontres de travail, les retraites et les moments en famille.

En plus de faire office de musée sur les énergies vertes pendant l’été, la maison écologique ERE132, située à même les Jardins, se transformera en espace de coworking

«L’idée est d’offrir la possibilité aux travailleurs autonomes, aux étudiants et aux entrepreneurs du coin de bénéficier de la synergie des lieux pour travailler en nature. L’espace sera réaménagé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour soutenir sa double vocation», explique Amélie Desrochers, directrice marketing et communications aux Jardins.

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Les jardins comme milieu de vie

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Bien implantés dans leur communauté, les Jardins de Métis sont un pôle socioéconomique incontournable dans la région. Gérés par une corporation à but non lucratif, les Jardins sont des partenaires importants du développement de la région et collaborent avec plusieurs organisations. Ils participent activement à la promotion du tourisme, au développement économique et durable et à la création d’emplois dans la région, en plus de jouer un rôle important dans la préservation de l’écosystème. 

Déterminés, les administrateurs des Jardins souhaitent créer les jardins les plus verts du monde, un objectif qui prend forme dans leurs choix quotidiens: engrais utilisés, énergie renouvelable, récupération des eaux de pluie sur leurs nombreux bâtiments, corvées environnementales, démarches d’écoconception et projets d’amélioration de leurs pratiques en développement durable.

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À l’aube de leur 100e anniversaire (en 2026), les Jardins prennent une tournure de hub avant-gardiste pour la communauté, même s’ils ont toujours eu cette vocation: «Parfois on pense que nous sommes innovants, mais le domaine a toujours été un lieu incubateur de projets. On revient tout simplement à ce qu’il était auparavant», souligne Alexander. 

Les Jardins de Métis sont néanmoins devenus un phare et une inspiration pour la communauté locale — et pour les créatifs à travers le monde. En plus de donner envie à de nombreux visiteurs (et à une certaine Flavienne d’origine) de ne plus jamais les quitter. 

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Cet été, le restaurant de la villa Estevan sera fermé, mais un bistrot-buvette et une épicerie éphémère seront ouverts. Vous y trouverez des produits dérivés des jardins, du pain, des mets pour emporter et des paniers gastronomiques. En plus, bières et vins locaux peuvent être consommés sur place — le plan piquenique parfait, donc.

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Rédactrice et photographe indépendante, aussi diplômée en psychologie de l’orientation et professeure de méditation, Catherine Bernier use de sa créativité pour éveiller les gens à la conscience personnelle, collective et environnementale. Originaire de Sainte-Flavie, porte de la Gaspésie, elle entretient une relation significative avec la mer et les vastes territoires sauvages, qui teinte sa démarche photographique. Son havre de paix, une cabine off the grid en Nouvelle-Écosse, lui permet d’arrimer ses valeurs à sa passion: le surf!

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