La classe verte

Ce que le nature nous apprend, au travail et en dehors.

TEXTE ET PHOTOS   BESIDE

En partenariat avec

Des bureaux verdis, pour diminuer l’anxiété. Des réunions sur la montagne, pour bouger et faire émerger les idées.

La nature doit faire intrinsèquement partie du monde du travail. Pour des raisons environnementales, certes, mais aussi parce qu’elle a une incidence positive de plus en plus documentée sur la santé. Plus encore, elle a beaucoup à nous apprendre sur le plan humain — et, donc, sur notre façon d’être au travail: elle encourage la collaboration, favorise la débrouillardise, fortifie l’humilité, développe l’empathie.

Les entrepreneurs, les chefs, les agriculteurs et les architectes qui ont présenté une conférence au Festival BESIDE entretiennent tous un lien fort avec la nature. Voici, en cinq enseignements, comment elle les inspire chaque jour — et comment elle peut nous inspirer à notre tour.

 

 

– 1 –

Valoriser le temps long

Ralentir, dialoguer, faire durer: trois actions inspirées de la nature à appliquer en architecture, mais pas que.

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@Atelier Pierre Thibault – Architecte
L’anecdote

Un client de l’architecte Pierre Thibault, par ailleurs vice-président d’une entreprise, insistait pour que sa maison soit prête pour l’anniversaire de son épouse, quelques semaines plus tard. Ça ne s’est pas passé comme ça, bien sûr. L’année d’après, quand la demeure a été terminée, il a remercié l’architecte de lui avoir enfin permis de prendre son temps. (Et il a, oui, quitté l’emploi qui le faisait courir.) En nature, explique Pierre Thibault, le temps se dilate…

@Atelier Pierre Thibault – Architecte
@Atelier Pierre Thibault – Architecte
La statistique

… et notre bienêtre augmente: selon une étude menée par l’Université de Chicago, le fait de vivre à proximité d’une dizaine d’arbres nous donnerait l’impression d’avoir 7 années de moins!

La petite histoire

C’est durant sa maitrise en design automobile, en Allemagne, que Louis-Philippe Pratte a commencé à définir les valeurs qui guideraient éventuellement son entreprise, À Hauteur d’homme. «J’avais besoin de faire quelque chose de durable, qui avait du sens, raconte-t-il. Tout de suite, le bois est arrivé comme la matière que je devais utiliser.» Là-bas, beaucoup lui parlaient de la nature canadienne. «Je me disais: “C’est vrai, pourquoi aucune marque ne la met de l’avant, ne l’utilise de façon responsable?” Ç’a été le point de départ.» Point de départ d’une réflexion qui évoluerait vers le mobilier en général, les matériaux écologiques, le cycle de vie des objets — ce n’est pas pour rien que Hh offre une garantie à vie sur ses produits. «On ne peut pas recommencer à chaque 15-20 ans. La qualité passe beaucoup dans la durabilité.»

@À HAUTEUR D'HOMME
Louis-Philippe Pratte @À HAUTEUR D'HOMME
La clé

Prendre le temps de se parler, de transmettre et de recevoir des connaissances, d’inviter des personnes de tous horizons autour de la table.

Kim Pariseau, fondatrice d’APPAREIL Architecture, se souvient de sa rencontre avec un ingénieur forestier, dans le cadre d’un projet de chalet. «Je n’aurais jamais pensé qu’il nous inspirerait à ce point. Sur le site, il a pointé des arbres qu’on voulait garder parce qu’on les trouvait magnifiques, en nous disant: «Mais non, celui-là va mourir dans les deux prochaines années!» Comme architecte, insiste-t-elle, on n’a pas la solution à tout.

– 2 –

Sublimer les poubelles

Valoriser ce qui est trop souvent rejeté: c’est la mission de LOOP, qui transforme les déchets alimentaires en jus, en bière, voire en gâteries pour chien. Une ligne de conduite qu’adoptent plusieurs chefs de restaurant — et que nous pouvons suivre aussi, en commençant par faire l’inventaire de notre frigo.

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David Côté @Jus Loop
La citation

 

«Avec l’ère industrielle, on a oublié que nos déchets avaient une valeur.»

– — David Côté (cofondateur, LOOP Mission)
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La statistique

58% des aliments produits au Canada seront jetés ou gaspillés, selon l’organisation Second Harvest.

Le geste qui compte

Le chef John Winter Russell, du Candide, lutte également contre le gaspillage et met de l’avant les aliments locaux. Ainsi, des producteurs terre-neuviens Peter et Robin, il achète les cristaux de sel résiduels — ceux qui ne passent pas le test pour la fleur de sel, car ils sont trop fins, par exemple. Et il les utilise dans son restaurant.

La référence

En matière de gastronomie sociale, John Winter Russell cite le chef italien Massimo Bottura, qui cuisine des festins à partir d’aliments jetés. Festins destinés non seulement à réduire le gaspillage, mais aussi à nourrir des personnes dans le besoin et à leur redonner une dignité.

À visionner: le documentaire Theater of Life, qui porte sur la fabuleuse soupe populaire élaborée par Bottura — en collaboration avec d’autres chefs de renommée internationale — à partir des déchets de l’Exposition universelle de Milan, en 2015. Nommé Refettorio, ce concept de restaurant a fait des petits, notamment à Rio de Janeiro (avec les déchets des Jeux olympiques) et à Paris.

Festival BESIDE @BESIDE

– 3 –

Redéfinir le think big

Les architectes, les chefs, les agriculteurs s’entendent là-dessus: créer beaucoup avec peu, ça ne veut surtout pas dire d’aplanir ses ambitions. Ni ses convictions.

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La clé

Reconnaitre que l’émerveillement est à notre portée.

La nouveauté nous entoure sans que nous le sachions, soutient John Winter Russell. «Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez gouté du melon d’eau? Vous vous disiez: “Mais quelle est cette glorieuse et juteuse merveille?”, n’est-ce pas?» Une partie de son travail consiste à réactiver cet étonnement, chez lui-même et les autres. Or, la plupart des découvertes alimentaires que nous faisons en vieillissant proviennent d’autres cultures, d’autres pays — alors qu’il y a plein de choses ici même que nous pourrions connaitre et savourer.

Restaurant Candide @Édouard Plante-Fréchette
John Winter Russel - Restaurant Candide @Benedicte Brocard

 

La simplicité augmentée, en trois métiers:

1) «On n’a pas besoin d’une friteuse et de six grills. On peut cuisiner de la bonne bouffe avec moins d’équipement», estime le chef du Candide, qui tient aussi à la simplicité des ingrédient. «On peut prendre quelque chose comme des carottes, et en faire un plat savoureux.»

2) Une philosophie partagée par l’architecte Pierre Thibault, qui voit trop de «listes d’épicerie» dans sa pratique. Son inspiration? Le Japon, où des lieux à priori modestes peuvent sembler beaucoup plus vastes. C’est comme si on y «faisait naitre de l’espace», grâce à de judicieuses stratégies — l’utilisation de panneaux coulissants, par exemple. La question à se poser: a-t-on vraiment besoin de vivre dans plus grand?

3) À La Fermette, où l’on pratique le maraichage bio-intensif (donc sur une petite surface), on cherche aussi à maximiser l’espace — une «contrainte qui est une opportunité», disent les agricultrices Justine Chouinard et Annie-Claude Lauzon. Choix stratégique de cultures, peu de machinerie, design optimal de la ferme: l’idée, c’est de «se donner une rentabilité au mètre carré». De faire beaucoup avec peu, vous l’aurez deviné.

– 4 –

Se faire des tonnes d’amis

Que ce soit pour cultiver des légumes ou sa confiance, le lien avec les autres, c’est ce qui fait toute la différence.

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La petite histoire

Le modèle d’affaires de La Fermette se fonde sur la collaboration et l’échange. Tout d’abord, il y a le partenariat original avec deux restaurants, le Café Parvis et la Buvette chez Simone. Ces derniers ne font pas que servir les légumes qui poussent dans le jardin d’Hemmingford: ils participent également à la planification de la production. «C’est leur ferme à eux aussi. On l’a pensée et imaginée ensemble», précisent les agricultrices.

Puis, il y a la vente directe, notamment lors de marchés fermiers, où elles peuvent présenter aux clients leurs variétés de produits. Outre le bonheur de la rencontre, «ça nous permet de sortir du modèle de l’épicerie, où il faut un gros volume et des légumes qui se conservent. Ça définit ce qu’on fait.»

Annie & Justine - La Fermette @Alex Chabot
La clé

Réhabiliter le plaisir, ensemble.

«C’est drôle de tomber. Ça n’a pas le choix de l’être. C’est drôle de commencer et d’expérimenter toutes les étapes», croit Pascale Vézina Rioux, directrice des Chèvres de montagne. L’organisme crée des évènements en plein air qui permettent aux femmes de pratiquer des sports de façon autonome et sécuritaire. Peu importe la température. «Il pleut? Ben on est dehors. On est les 15 seules sur la montagne, pis on est vraiment fières à la fin. L’idée, c’est de retrouver le plaisir à travers chacune des activités.» Et de le faire les unes avec les autres.

Le mythe démonté

Ce n’est pas vrai que le plein air s’est démocratisé, qu’on y voit autant de femmes que d’hommes, réfute Pascale Vézina Rioux. «Notre but, c’est d’intégrer tout le monde. De donner l’impression que c’est accessible — et ce l’est. Mais si t’as pas le réseau social autour de toi, ça semble complètement absurde et inconnu.»

La philosophie

Mon travail, c’est de parler à mes amis, résume le chef John Winter Russell, après avoir présenté quatre des producteurs avec qui il «fait affaire». Pourquoi les guillemets? Parce qu’il préfère parler de collaboration. Ensemble, «nous avons développé des produits, des idées, des façons de penser qui nous ont tous rendu la vie plus facile. Et meilleure». Candide repose littéralement sur ces amitiés-là. Pas étonnant que John compare son restaurant à une maison.

– 5 –

Contribuer à la suite du monde

Parce que la planète est notre maison à toutes et à tous.

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La responsabilité sociale, en trois citations:

«Nous n’avons jamais eu autant accès à l’information. Jamais été si connectés, si facilement inspirés par des gens de partout sur le globe. Il y a tellement d’occasions de comprendre comment nos voix, nos votes, nos dollars ont un effet sur le monde. Nous pouvons nous servir de la connaissance pour agir.»

– — Charles Post (écologiste et réalisateur)
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«J’essaie de travailler l’architecture comme une valeur ajoutée, et non pas comme un élément perturbateur. On doit toujours se demander si ce qu’on va laisser va être un plus pour la collectivité.»

– — Pierre Thibault (architecte)
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«Tous les profits [de la coopérative] sont remis dans le développement, dans des projets sociaux. C’est ma fierté. Je trouverai un autre moyen d’accumuler des REER! […] Le but n’est pas d’atteindre une fatigue professionnelle parce qu’on a de trop grands idéaux. Mais c’est hyper important de mettre l’épaule à la roue.»

– — Étienne Beaumont (directeur adjoint, coopérative Vallée Bras-du-Nord)
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La clé

Raconter des histoires pour fabriquer du sens.

«Comment pouvons-nous amener les gens à se préoccuper [des différents écosystèmes] s’ils ne savent pas qu’ils existent?», soulève Charles Post. «Je pense que le storytelling est une partie de la réponse. Tu peux éveiller l’empathie, l’intérêt en racontant des histoires de façon percutante.» Ce qu’il fait par l’intermédiaire d’Instagram, par exemple, où il est suivi par 105 000 personnes.

L’initiative

Mise sur pied par la coopérative de la Vallée Bras-du-Nord, l’initiative En marche vise la réinsertion sociale et professionnelle de jeunes marginalisés. Comment? «On se sert de la nature et de l’aventure comme outils d’intervention», explique Étienne Beaumont. Pendant six mois, les jeunes bâtissent et entretiennent les sentiers, et se réapproprient du même coup le territoire, portent un regard nouveau sur lui, acquièrent de nouvelles compétences. Un projet qui s’inscrit dans la dimension sociale de la coop, selon son directeur adjoint: «Oui, développer un territoire, que ça devienne un levier de développement durable pour une région, une ville. Mais que ça permette aussi de développer de saines habitudes de vie.»

Festival BESIDE @BESIDE

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Inspiré de conférences présentées
au Festival BESIDE,
en collaboration avec
Desjardins.

Les entreprises de demain

Émilia Tamko (animatrice), David Côté (cofondateur, LOOP Mission), Étienne Beaumont (directeur adjoint, coopérative Vallée Bras-du-Nord), Pascale Vézina Rioux (directrice, les Chèvres de montagne)

La cuisine de la gastronomie sociale

John Winter Russell (chef, restaurant Candide)

L’influence de la nature sur l’architecture

Marc-André Carignan (animateur), Pierre Thibault (architecte), Kim Pariseau (architecte et fondatrice, APPAREIL architecture), Louis-Philippe Pratte (designer et fondateur, À Hauteur d’homme)

Les nouvelles pratiques d’agriculture
Justine Chouinard et Annie-Claude Lauzon (agricultrices et fondatrices, La Fermette)

La conservation par l’image

Charles Post (écologiste et réalisateur)

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