Comment aborder la technologie à la manière d’un amish

Les amishs ne détestent pas la technologie; ils sont seulement sélectifs. Une approche dont nous aurions tout avantage à nous inspirer.

Texte — Josiah Neufeld
Photos — Ashley Gilbertson

Il est facile de dépeindre les amishs, avec leurs boguets et leurs cols boutonnés, comme des dinosaures réfractaires à la nouveauté.

Pourtant, ces derniers sont beaucoup plus ouverts d’esprit qu’il n’y parait. Ils ne rejettent pas les nouvelles technologies d’emblée; au contraire, lorsqu’une innovation parvient jusqu’à eux, les conseils des anciens l’examinent attentivement. C’est ensuite la communauté qui vote, en fonction de certains principes directeurs. Au cours des cent dernières années, les amishs ont proscrit les téléphones personnels, les téléviseurs, les véhicules motorisés et l’internet, mais adopté volontiers l’éclairage au propane et les réfrigérateurs. Se cantonnant jadis à l’agriculture, ils fabriquent maintenant d’élégants meubles en bois franc dans des ateliers équipés d’outils pneumatiques alimentés par des compresseurs à essence.

Professeur agrégé de la School for the Future of Innovation in Society à l’Université d’État de l’Arizona, Jameson Wetmore étudie les amishs depuis 20 ans. Selon lui, ils s’adaptent mieux à la technologie que nous: ils ont trouvé une manière de concilier les valeurs de leur culture et les avantages des techniques de pointe.

Plutôt que de céder tout bonnement à la pression sociale et au marketing — qui joue souvent sur nos pulsions et nos peurs —, nous devrions prendre exemple sur les amishs quand vient le moment de choisir nos outils technologiques. Voici trois stratégies à leur emprunter, pour nous armer contre le prochain joujou numérique ou la dernière application virale qui tentera de gruger notre attention.

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Définir nos valeurs

 

Il est difficile, voire impossible, de dissocier la foi des amishs de leur philosophie à l’égard de la technologie, affirme Wetmore. Menno Simons, prêtre néerlandais du 16e siècle considéré comme le père spirituel des amishs et des mennonites, prescrivait à ses disciples «de louer une ferme, de traire des vaches, d’apprendre un métier si possible et de s’adonner au travail manuel». Ces impératifs simples définissent les principes fondamentaux de la communauté.

Quand ils considèrent une nouvelle technologie, les amishs se demandent si elle correspond à leurs valeurs, si elle préservera leur identité, et si elle renforcera ou affaiblira leurs liens sociaux.

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Rien ne nous empêche d’intégrer ces questionnements dans nos vies de non-amishs. Chaque fois qu’on nous propose un téléphone plus performant, un gadget intelligent, un nouveau système de sécurité résidentielle ou toute autre chose qui prétend améliorer notre «expérience utilisateur», nous devrions nous aussi évaluer ses répercussions sur ce qui est important pour nous: notre identité, nos liens sociaux, notre bonheur, etc.

Cette technologie enrichira-t-elle nos relations — avec les autres, nous-mêmes et la nature — ou risque-t-elle de les dégrader?

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Ralentir et réfléchir

 

Il est évidemment impensable d’imiter en tous points les amishs. Toutefois, à titre d’individus, de familles, d’entreprises et de groupes sociaux, nous pouvons nous inspirer de leur approche et prendre du recul par rapport à notre utilisation des téléphones intelligents, des véhicules et des médias sociaux. Jameson Wetmore nous prévient:

«On a instauré une culture qui carbure aux nouvelles technologies. On commence à en mesurer les couts sociaux et écologiques. Alors que nos outils nous tirent toujours vers l’avant, nous devons nous assurer de rester aux commandes.»

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Les technologies ne sont pas neutres. Elles renferment des valeurs et véhiculent des objectifs parfois difficiles à déceler. Les confessions récentes de cadres de Silicon Valley — dont celle du premier président de Facebook, Sean Parker — en ont témoigné: les plateformes sociales sont expressément conçues pour exploiter les vulnérabilités de l’esprit humain, en récompensant les réactions impulsives fondées sur la colère et la peur.

Nous donner le temps d’examiner les nouvelles technologies à la lumière de nos principes individuels et collectifs: voilà une façon de résister au rythme effréné qu’elles nous imposent.

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Imaginer d’autres avenues

La voiture à cheval est en elle-même un symbole clair: elle ralentit le rythme de la vie et favorise l’interdépendance. Malgré tout, il arrive que des familles amishs prennent l’autobus pour visiter leurs proches dans un autre État, ou même montent à bord du véhicule d’un non-amish pour aller à l’épicerie, raconte Wetmore. Ces exceptions sont permises puisqu’elles renforcent les liens communautaires, sans sacrifier l’identité des personnes en question. Les amishs croient aussi que l’adhésion à l’internet provoquerait ni plus ni moins l’effondrement de leur société, ajoute le professeur. Ils ne se privent pas pour autant du web; mais, au lieu d’y accéder par leurs propres moyens, ils embauchent des tiers pour la mise en marché et la vente en ligne de leurs meubles.

Selon Wetmore, les amishs observent notre société et voient comment les technologies nous transforment.

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«Ils sont extrêmement prudents et s’assurent que leurs outils technologiques concordent avec le monde dans lequel ils souhaitent vivre. À mon avis, la plupart d’entre nous ont du mal à en faire autant.»

Au final, les amishs ne détestent pas les nouvelles technologies, pas plus qu’ils ne les craignent. Ils sont seulement sélectifs dans leurs choix et leur manière de les intégrer. À l’instar d’eux, nous pourrions accueillir les technologies qui nous aident à vivre selon nos principes, rejeter celles qui les enfreignent et trouver des compromis pour les avancées utiles, mais problématiques. Ce sont nos relations avec les autres, notre rythme intérieur et notre rapport au monde naturel qui en bénéficieraient.

Josiah Neufeld est journaliste. Basé à Winnipeg, il s’intéresse à l’Afrique de l’Ouest, à la religion, au changement climatique, à la parentalité, notamment. Ses articles sont parus dans le Globe and Mail, le Walrus, Broadview et Utne Reader. Son reportage sur la montée des mers au Bangladesh lui a valu un prix d’Amnistie internationale Canada.

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