Retrouver son Nord

Notre collaboratrice Florence Rivest nous raconte un retour aux sources en Abitibi, à contempler les grands pins et à peindre des couleurs qui ne s’inventent pas.

Dans le cadre de

Texte — Florence Rivest

Chaque été, quand j’étais petite, mes parents mettaient leurs bagages — et leurs quatre enfants trop peu enthousiastes — dans la grosse Volkswagen familiale pour un pèlerinage vers Guyenne, en Abitibi. C’est là que mon père est né, dans le fin fond de la campagne qu’habitaient mes grands-parents.

Je me souviens des conifères encerclant le minuscule chalet, des grandes mains brunes de mon grand-père qui avaient bâti la maison où ses neuf enfants avaient grandi, des bleuets à l’infini dans les pits de sable, des terrifiants brochets que l’on pêchait, du sourire pétillant de ma grand-mère Madeleine et des couchers de soleil dont on aurait dit qu’ils duraient plus longtemps qu’ailleurs.

C’est là que s’arrêtent mes souvenirs de Guyenne, car je n’y suis jamais retournée, ou presque. J’ai refait le voyage une seule fois, il y a neuf ans, pour les funérailles de papi Bernard. Le tout petit cimetière de Guyenne l’accueillait, lui, l’un des pères fondateurs du village, pour sa dernière sieste. Il y avait dans l’air chaud le chant des grillons et du violon de mon cousin Guillaume. Après ça, les étés avaient filé à la vitesse grand V, ma passion pour le canot et les camps de vacances ont pris le dessus sur les visites à ma grand-mère. Ce n’était pas l’envie qui manquait, mais plutôt l’auto, le temps libre, le bon prétexte. Et puis cet été, la COVID aidant, je me suis retrouvée avec les trois.

J’ai réussi à convaincre mon copain de l’attrait du voyage en faisant miroiter des poissons énormes qui vivent dans les lacs du nord, et il a fini par me dire oui. On a donc convenu d’un programme double: visite à mamie et expédition de canot-camping. Un coup de fil passé au cousin Guillaume, guide plein air en Abitibi-Témiscamingue et auteur du manuel de canotage de BESIDE (quel adon!). En quelques minutes, on avait convenu d’un trajet qui nous mènerait à un lac où je pourrais me faire aller le pinceau à ma guise pendant que Geoffrey pêcherait à la mouche. À chacun son art.

***

Un beau matin du mois d’aout, nous avons traversé le majestueux parc de La Vérendrye, débouchant sur la vue surréelle des mines de Val-d’Or. Nous avons fait un crochet par le bord de la rivière Harricana pour finalement arriver au beau milieu de nulle part, c’est-à-dire à Guyenne. En voyant ma grand-maman, j’ai trouvé qu’elle n’avait pas changé d’une miette. Et la maison non plus, avec son fier toit en tôle bleue. Nous y avons passé deux journées douces à souhait à cueillir des bleuets jusqu’à en avoir les doigts mauves, et à tous nous baigner entre deux eskers; deux journées pendant lesquelles je me suis trouvée nulle de ne pas être venue plus souvent, et surtout: deux journées où j’ai pu peindre dehors.

Étrangement, je n’ai jamais vraiment dessiné de paysage avant l’âge de 20 ans. C’est étonnant pour une fille qui passe dorénavant des semaines complètes à peindre en nature. Ça ne m’intéressait tout simplement pas. Je trouvais ça trop difficile de dessiner des arbres, trop insignifiant d’illustrer des fleurs. Et les rochers, c’était mon pire cauchemar! Mais comme on dit: il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée.

La transformation s’est opérée sur une ile où je travaillais, au fil de longues journées estivales passées à ne rien faire d’autre qu’étudier le paysage, munie de mon carnet de croquis. Pour la première fois, j’ai pris le temps de m’assoir et d’essayer d’absorber le décor, de comprendre le relief des lieux, de noter la différence formelle entre un bouleau et un érable. Ça a été comme une petite révolution pour moi. Pour la première fois, j’ai pris plaisir à rester immobile dans l’observation — même à apprivoiser l’inconfort du non-résultat. J’ai eu l’impression de vivre une méditation profonde. Et cela a une valeur qui va bien au-delà du produit fini.

Après la visite chez mamie, nous avons repris la route pour d’autres aventures, armés seulement d’une coordonnée GPS. Une fois mis à l’eau, notre canot surchargé de cossins de pêche et de peinture s’est tranquillement mis en branle vers la destination du jour: un bijou de lac enfoncé dans un écrin de falaises (merci, Guillaume!) et accessible après un très court portage.

Trimbaler un chevalet, des toiles, des pinceaux, des carnets de croquis et une quinzaine de tubes d’acrylique ne correspond pas exactement à la définition de «voyage léger». Mais pour moi, le jeu en valait amplement la chandelle (même si un peu lourde à transporter).

Après tout, il y a des couleurs qu’on ne peut pas inventer si on ne les a pas vues de nos propres yeux, des arbres qui s’étirent vers le ciel dans une danse impossible à imaginer et de petits miracles de lumière qui ne se trouvent qu’au fond du bois.

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Je me suis toujours définie par l’art et le plein air, mais ce n’est que depuis peu que je m’adonne à ces deux passions en même temps. Avant, je partais en rando, je prenais des photos et ce n’est qu’une fois rentrée chez moi que j’essayais d’illustrer des clichés, gracieusetés d’iPhone 5. Sans grande surprise, le résultat était souvent très moyen. Dorénavant, je traine mes cahiers avec moi.

Avez-vous déjà essayé, le souffle coupé devant les couleurs d’un couché de soleil, de prendre une photo qui leur rend justice? Avez-vous comme moi abandonné parce que le résultat avait plus l’air d’une tapisserie délavée que de l’explosion colorée que vous aviez dans les prunelles? Avez-vous pensé que pour rendre sa majesté à l’aurore, il vous aurait fallu un cours de Photoshop? Je vous assure, c’est en fait beaucoup plus facile de rendre aux couleurs ce qu’il leur revient quand on se tient là, devant elles. Leur beauté nous transporte. Il est là pour moi l’attrait, Madame-Monsieur, de dessiner dehors.

Nous avons passé trois jours dans les alentours. Trois superbes journées passées à écumer les moindres recoins des lacs, à taquiner le brochet au travers des flaques de nénufars, à découvrir des formations géologiques surprenantes et à nous pincer devant tant de beauté. De mon côté, j’ai examiné en profondeur les délicates teintes de la chlorophylle des végétaux et l’aquarelle des reflets de la forêt sur l’eau. En résumé: canot, baignade, dessin, café… encore et encore.

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Pour jouer en nature, il faut cependant accepter de nous soumettre à ses humeurs. La dernière journée de notre expédition, il a plu des cordes. J’avais gardé en réserve une toile pour notre dernier emplacement de camping, une ile magnifique ornée de pins. L’humidité a eu raison de mon entêtement. J’ai fini par ranger mes pinceaux.

Pas grave, parce que je n’attendrai pas neuf ans pour revenir, cette fois.

Quelques conseils pour dessiner au grand air

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Voici des trucs qui rendront vos expérimentations de dessin en nature plus faciles et plus agréables:

  1. Tout d’abord, procurez-vous un carnet de dessin dont le papier est assez épais pour pouvoir absorber la peinture et résister à l’humidité ambiante si le facteur humidex est dans le tapis (forestier). Ce cahier doit aussi avoir une couverture rigide pour que vous puissiez le déposer sur vos genoux en vue de dessiner une roche, un ami, alouette!
  1. Le ruban adhésif est votre meilleur ami. Pour vous aider à tracer une ligne droite en peinturant ou pour tenir votre livre ouvert pendant que vous essayez de vous débarrasser des satanées mouches à chevreuil, le ruban adhésif (du bon vieux masking tape) peut s’avérer bien utile.

Truc de pro: Pour éviter que le ruban ne déchire le papier quand vous le retirez, tamponnez-le d’abord sur vos vêtements pour lui enlever un peu d’adhésivité.

  1. Les médiums secs (crayons de bois, de cire, à l’encre) sont l’option la plus simple et permettent de limiter de nombre de choses à apporter pour un voyage plus léger. Ils supposent également moins de gestion de déchets. Il existe aussi sur le marché des crayons-feutres qui ont un rendu très «aquarelle», mais sans le chichi du kit de peinture.
  1. Pour la peinture, les petits contenants étanches ou rechargeables sont l’idéal. On trouve principalement de l’aquarelle et de la gouache dans ces formats, et ça tombe bien parce que ce sont deux médiums qui sont plus faciles à trouver en version écologique. Certaines entreprises offrent même des peintures entièrement biodégradables, faites de pigments 100% naturels.
  1. Le pot Mason est plus que parfait pour contenir l’eau de rinçage de pinceaux (dont vous pourrez disposer au retour de votre sortie en plein air). Pour une option moins fragile, les bouteilles de type Nalgene sont une bonne solution. Il faut seulement s’assurer de ne pas mêler ses gourdes!
  1. Y a-t-il des amateurs de yaourt dans la salle? Ou de fromage cottage? Ou de ricotta? Bonne nouvelle! Vos couvercles de pots de plastique sont la solution la plus légère et la plus facile à trimbaler pour une palette de mélange à peinture. Plusieurs compagnies fabriquent aussi de petits étuis à peinture en métal avec une section qui peut servir à mélanger les couleurs.
  1. Tout dépendant de l’endroit où vous dessinerez en nature, le filet à mouches peut soudainement s’avérer plus séduisant que d’habitude. Des vêtements confortables et un mini tapis en mousse font aussi une énorme différence niveau confort.
  1. Avant de vous lancer dans le paysage qui a attiré votre œil, je vous suggère fortement de faire un microcroquis dans un coin de votre page. Ce sketch d’environ un pouce de large vous permettra de trouver la meilleure composition et le plus beau cadrage des lieux. Ça aide aussi à calculer visuellement l’espace disponible dans votre carnet pour ne pas avoir de mauvaise surprise arrivé.e au trois quarts de votre dessin!
  1. Et surtout, prenez plus de temps pour regarder le paysage que votre feuille! 

Florence Rivest est illustratrice. Elle vit et travaille à Montréal, mais elle tente de sortir de la ville le plus souvent possible. Elle aime le grand air, les couleurs vives et les remises en question. florencerivest.com

Numéro 08

Florence Rivest signe les illustrations du numéro 08 du magazine BESIDE

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