L’appel appalachien

C’est encore l’histoire de quelqu’un qui a quitté la ville pour aller vivre à la campagne. Mais c’est aussi l’histoire d’un musicien, Pilou, qui s’est trouvé à solidifier la fondation de toute une communauté à coups de deux par quatre.

Texte — Marie Charles Pelletier
Photos — Eliane Cadieux

Il y a neuf ans, le musicien Pierre-Philippe Côté, rebaptisé Pilou par sa mère puis par l’UDA au complet, quittait Montréal pour s’installer à Saint-Adrien, un hameau quelque part entre Montréal et Québec. Il avait alors 25 ans et était encore un brin naïf. Ce dont il était certain par contre, c’est qu’il ne voulait pas s’enraciner à Montréal plus longtemps.

«J’ai acheté ici pour avoir mon studio dans le fond du bois et trouver la paix. À l’époque, je n’avais vraiment pas réalisé le potentiel de ce village-là.»

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C’est à force d’y vivre qu’il a eu envie de s’impliquer, de repenser les choses et de rassembler les gens du coin. Pilou a grandi à 20 minutes de Saint-Adrien. À 13 ans, il est devenu DJ le vendredi soir au bar l’Éponge — qui a aujourd’hui cédé sa place à la Microbrasserie Moulin 7, au grand dam des amateurs de Laurentide. La fin de semaine, il montait à Saint-Adrien en quatre-roues avec ses amis pour faire des donuts ou entrer par effraction dans l’église du village, question de se réchauffer un peu sur le bord du calorifère.

Il y a deux ans, Pilou a fondé le Projet 1606 et a racheté l’église de Saint-Adrien pour en faire un studio d’enregistrement et un hub créatif autour duquel gravitent maintenant bon nombre de musiciens et artisans de l’audiovisuel venus d’ici et d’ailleurs. Le calorifère du sous-sol, quant à lui, a été remplacé par des serveurs de bitcoins.

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Incursion dans les Appalaches

Tout est blanc sur la route qui mène à Saint-Adrien: le ciel, les vallées, l’horizon. On sait que l’on s’approche quand on distingue le clocher de l’église au loin — blanc lui aussi — qui se dresse bien droit au milieu du village. À notre arrivée, Pilou est en grande discussion dans la sacristie, qui depuis a été transformée en espace de coworking.

Avec Valléry Rousseau, son bras droit (potentiellement son bras gauche aussi), ils brassent des idées. En même temps, Pilou se magasine une assurance vie au téléphone, ses investisseurs étant préoccupés par l’éventualité d’un trépas subit.

Ça donne le ton.

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Le déclic

C’était en 2010. Pilou avait passé trois semaines en Chine pour l’Exposition universelle. Il logeait au 33e étage du Sofitel en plein cœur de Shanghai. Un microcosme d’abondance. Un flot incessant de lumières et de gens.

En atterrissant à Montréal, il s’est engouffré dans un taxi. Il était 2h30 du matin. Il ne fallait pas qu’il manque le last-call de ce bar du Plateau où ses amis l’attendaient. En roulant dans cette ville qu’il connaissait par cœur, il a eu l’impression d’être devenu spectateur de sa propre vie. «Ce soir-là, j’ai compris que ça ne pouvait pas être ici que j’allais m’enraciner.»

Les histoires d’exil et de retour aux sources sont communes. Bien qu’elles ne se ressemblent pas toujours, elles partagent toutes un désir de simplicité. C’est un peu comme si l’essor de la technologie entrainait malgré lui une quête de reconnexion à soi. Comme si, à une ère où tellement de choses sont intangibles — mêmes si sauvegardées dans le cloud —, il fallait s’ancrer les pieds dans la terre, quelque part où il y a de la brume le matin et où la forêt sent le cèdre.

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Le «mal du siècle» réfère à l’ennui, au désenchantement et à la mélancolie vécus principalement par les jeunes adultes du début du 19e siècle en Europe. C’est la prise de conscience d’une inadaptation fondamentale de l’être sensible à son environnement social.— Le Petit Larousse

Le mal du siècle 2.0, c’est peut-être celui qui nous fait perdre le nord et qui nous donne envie de le retrouver quelque part ailleurs.

Comme Montréal n’avait pas besoin d’un studio de plus, Pilou et sa douce Geneviève ont commencé à chercher leur Nord. Ils imaginaient une maison avec une grange qu’ils pourraient reconvertir en studio, mais n’en trouvaient aucune qui faisait l’affaire. Un soir de feu de camp près d’Asbestos, un ami lui vend Saint-Adrien, entre deux tisons. Quelques semaines plus tard, le couple Côté-Boivin-Roussy achetait un terrain de 16 acres. Avec l’aide de son père, Pilou a bâti leur maison et le studio Le Nid au bout de l’allée, avec un atelier de peinture entre les deux. Entourées de grands arbres, les trois bâtisses sont faites en bois, avec un toit de tôle, des murs en chaux et dans chacune d’elle, un feu qui crépite dans le poêle.

«Au début, je transportais des arbres en raquettes avec mon harnais. Mais à un moment donné, j’ai arrêté de m’acharner et j’ai engagé des bucherons. Les gars sont débarqués avec leurs chainsaws et leurs chevaux. Ils ont mis les arbres à terre. Une fois chargés, les chevaux allaient et venaient dans le bois tout seuls. Ils connaissaient la trail

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Les idées nouvelles

L’implication de Pilou au sein du village s’est faite naturellement. Au fil du temps et des rencontres, il a été l’instigateur de nombreuses idées qui se sont concrétisées avec l’aide de ceux et celles dont il s’entoure.

L’église du village était à vendre pour la modique somme de 1 $. Pour sauver le bâtiment, il fallait changer sa vocation, mais aussi trouver une façon d’en maximiser l’utilisation. Avec le Projet 1606, Pilou a restauré la bâtisse pour en faire un deuxième studio, mais aussi pour offrir des espaces de travail à toute la communauté. Dès l’arrivée du premier hiver, il a vite réalisé que l’église était glaciale et qu’elle lui couterait annuellement 50 000 $ à chauffer. Pour remédier au problème, il a modifié l’entrée électrique du bâtiment paroissial pour stocker les serveurs de cryptomonnaie d’un ami dans le sous-sol et bénéficier de la chaleur qui en émane, au grand désarroi d’Hydro-Québec.

Le musicien avoue ne pas s’intéresser outre mesure aux cryptomonnaies. «J’ai un wallet de bitcoins et je sais même pas comment ça marche», confie-t-il en riant. C’est peut-être l’avantage du néophyte. Pilou a su tirer profit du défaut de cette technologie, en la mettant au service de son église énergivore.

Pilou fait aussi rayonner la culture, notamment en accueillant dans son église des artistes en résidence, de même qu’en organisant des concerts, dont ceux de Philippe Brach et de Michel Rivard, sur le plancher craquant de La Meunerie, une salle de spectacle qui fait face à l’église.

Dans ce petit village entouré de champs et soucieux de son avenir, l’ouverture d’une épicerie en vrac zéro déchet allait aussi de soi. Pilou voulait soutenir le projet. Il a donc donné un coup de main à Conrad, l’un de ses pairs, à mettre en place le St-Vrac

Au départ, Pilou n’avait pas songé à la possibilité que Saint-Adrien devienne une communauté autosuffisante. Il voulait réfléchir autrement avec les autres. Mais à la lumière de toutes les initiatives mises sur pied dans son village, il souhaite dorénavant en inspirer d’autres à en faire autant.

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Vivre ensemble

Assis sur une chaise de bois, après le souper, il résume sa vision des choses: «Il faut travailler à abolir la méfiance parce que c’est ce qui donne naissance à toutes les guerres: la peur de manquer de bouffe ou d’argent, la peur de l’autre, la peur des religions, la peur de tout ce qu’on ne connait pas et de tout ce qui est différent. Des gens se battent parce qu’ils ne se comprennent pas et ne se parlent pas, alors qu’ils vivent sur le même territoire.»

C’est dans cet esprit-là que Pilou a demandé au bedeau de Saint-Adrien de débarrer toutes les portes de l’édifice quand il a acheté l’église. Le bon vieux Midas a essayé de l’en dissuader en lui disant que les jeunes du village viendraient voler. «Ça le fatiguait ben gros», raconte Pilou.

Et à voir l’église en pleine métamorphose, l’ouverture du St-Vrac, le jardin pédagogique communautaire qui hiberne sous la neige, à voir le line up d’artistes qui passent par La Meunerie, ce petit village coincé entre le mont Ham et le petit mont Ham semble atteindre un idéal commun de plus en plus tangible.

 

D’ailleurs, les jeunes qui, selon Midas, viendraient piller des pieds de micro, mettent la main à la pâte aujourd’hui. Ils participent au jardin communautaire, aident à l’entretien de l’église et s’achètent des bonbons avec leur paye. Comme quoi.

Cet après-midi-là, une vieille dame visitait le St-Vrac pour la première fois. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne saisissait pas tout à fait le concept, comme en témoignait son air désemparé sous son petit bonnet en feutre. Vu son âge, personne ne peut lui en vouloir. Pourtant, elle avait décidé ce jour-là qu’elle adopterait l’épicerie sans emballage et sans caisse enregistreuse. Elle avait même cousu de petits sacs de tissu pour l’occasion. «Faut bien occuper ses après-midis en hiver, puis je me suis dit que ça vous servirait», a-t-elle dit.

Pour Pilou, utiliser le territoire à son plein potentiel en mettant à contribution les forces respectives des résidents est essentiel:

«Il faut que tout le monde s’implique, que les jeunes aident les personnes âgées à faire leur épicerie au St-Vrac et qu’à leur tour, eux viennent faire un tour dans le jardin pédagogique pour montrer aux jeunes comment prendre soin de leurs patates.»

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Le futur simple

La veille de notre départ, lors du conseil de Ville, les citoyens passaient au vote pour que l’école primaire soit convertie en «école communautaire entrepreneuriale consciente». À travers ce modèle développé par Rino Lévesque, on apprend aux jeunes à devenir autonomes et à développer des projets responsables sur les plans social et environnemental.

Saint-Adrien n’est pas une nouvelle communauté qui se forme; c’en est plutôt une qui se transforme. Toujours contemplatif de l’endroit où il vit, Pilou arrête son char à batterie (comme il aime l’appeler) sur une rue qui surplombe le village: «D’ici, on peut faire des choses extraordinaires», a-t-il alors pensé tout haut en admirant le paysage.

 

Lors de notre passage, nous avons appris que la demande de crème glacée est particulièrement forte à Saint-Adrien. Les Boisvert-Côté ne fournissent plus avec leur plaque à crème glacée thaïlandaise extrêmement frette sur laquelle ils déposent de la crème fraiche, des noix et du sirop d’érable avant de mettre le tout dans un cornet. Pour ceux et celles qui cherchent une raison de s’exiler, la compétition est grande, mais la demande est criante.

Marie Charles est chargée de projet chez BESIDE Cabins et BESIDE Média. Elle emploie le reste de son temps à se perdre (en forêt ou dans ses pensées). Marie Charles aime les paradoxes et les phởs pour déjeuner. Elle est sensible à son environnement qu’elle prend plaisir à observer longuement — tant en nature que depuis son balcon de la rue Chambord.

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