Lettre à mon fils

«Tout ce qu’il te faut, c’est deux parents aimants et attentifs à tes besoins. Nous sommes seuls, ensemble, pour te bercer et te faire découvrir un monde étouffé par des masques colorés, à l’allure postapocalyptique.»

Texte & Photos — Nicolas Gouin

Attendre l’arrivée d’un nouveau-né, c’est s’apprêter à vivre l’ultime déconfinement de celui qui a passé neuf mois en isolement non volontaire.

Or, dès ta naissance, j’ai dû te faire comprendre que tes premiers jours ne seraient pas rythmés par des rencontres mémorables. Que les amis et la famille ne feraient pas partie des premières pages de ton album photos. Le deuil était là.

Peu importe les mesures que nous avons mises en place pour t’accueillir, rien ne pouvait nous préparer à ça. Mais toi, tu n’as aucune attente: tout ce qu’il te faut, c’est deux parents aimants et attentifs à tes besoins. Nous sommes seuls, ensemble, pour te bercer et te faire découvrir un monde étouffé par des masques colorés, à l’allure postapocalyptique.

Depuis le début du confinement, le temps est un concept difficile à quantifier. En attendant ton arrivée, j’ai passé un mois complet enfermé. Ma crainte d’attraper un virus qui pourrait chambouler la fin de la grossesse était palpable. Étant donné la situation dans les hôpitaux, j’avais peur de me faire refuser l’accès à la salle d’accouchement. Le temps était abondant et il me torturait, me jouait dans la tête. Je m’empêchais même de commencer des projets d’envergure au cas où je devrais tout arrêter pour aller à ta rencontre. Mon travail était, lui aussi, en quarantaine; je combattais le silence radio de ma boite courriel en apprenant à jouer le dernier album de Patrick Watson, Wave (la vague), sur mon ukulélé.

À ta naissance, la vague est devenue tangible et insurmontable.

Pendant ta première semaine de vie, j’ai pleuré au moins cinq fois par jour, parfois sans raison évidente. Je me suis autodiagnostiqué un cas de sévère COVID baby blues.

 

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Le baby blues est une maladie postpartum qui touche fréquemment les nouveaux parents. Un genre de dépression face à l’inconnu, un trop-plein d’émotion déclenché par l’arrivée de bébé, aussi communément appelé le «syndrome du troisième jour». Les nouveaux parents se sentent alors tristes, anxieux, vulnérables et à fleur de peau. Étrangement, ces symptômes sont semblables à ceux qu’entraine la pandémie. Dans mon cas, des évènements heureux me faisaient éclater en larmes; un simple sourire de ta part me faisait craquer. Je vivais un émerveillement inapaisable.

J’ai aussi pleuré à l’idée que tu n’allais pas connaitre d’autres bras que ceux de tes parents pendant une période indéterminée. J’ai eu peur de nos premières marches en tant que nouvelle famille, angoissant devant les rues trop achalandées. J’ai figé quand le gouvernement a annoncé la fermeture des régions — cela voulait dire que mon père, qui habite en Gaspésie, ne pourrait pas venir te voir avant plusieurs mois encore. J’ai pleuré face à l’énorme impact qu’un tel virus pouvait avoir sur tes petits poumons de nouveau-né.

Et pourtant, j’étais très heureux… Je le jure! Je vivais les plus beaux jours de ma vie.

Malgré la distance, je n’avais jamais été si près de ma famille: on se parlait en appel vidéo, on pleurait de joie et de tristesse, sans filtre, sans gêne. Je me souviendrai toujours de cette première semaine, où nos proches se sont même rués à notre fenêtre pour venir te rencontrer à travers l’épaisse couche de verre.

Après quelques jours, le tsunami s’est calmé. Alors que j’étais sous la douche, une envolée de bernaches s’est exprimée par la fenêtre. Ça m’a rappelé la chasse aux oiseaux migrateurs qui se pratique dans les champs du Québec. C’est là que je l’ai réalisé: la vie continue. La nature se réjouit pendant cette pause planétaire bien méritée. Une fois de plus, j’ai versé quelques larmes, qui se sont mêlées à l’eau sous mes pieds. Elles iraient rejoindre l’eau du fleuve, là où les bernaches passent la nuit avant de continuer leur grand périple nordique. Le COVID baby blues n’était plus.

Aujourd’hui, ton métabolisme de petit lièvre nous garde très occupés. Entre tous les soins que tu demandes, le temps se fait rare. Il nous file entre les doigts. Tous ces moments qui ne pourront être recréés disparaissent sous nos yeux.

Le temps, je voudrais le mettre sur pause, en attendant de pouvoir nous fabriquer des souvenirs où nos amis et nos familles peuvent embrasser ton front librement.

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Mais ce sera long avant que les choses reviennent à la normale. Je suis prêt à patienter, car même si mon travail de chasseur d’images n’est pas considéré comme un service essentiel, je crois que je n’aurai jamais pris de photos aussi importantes que celles de toi qui grandis.

Preuve que la vie continue. Même que pour certains, elle ne fait que commencer.

P.-S. Tout ça n’aurait pu être possible sans la persévérance des travailleurs de la santé. Plus précisément, la Dr Martine Goyet et ses collègues Amélie et Doris, qui nous ont accompagnés dans la naissance d’un bébé à l’ère de la COVID-19. Munie de visières, de masques, de gants et de tabliers médicaux, l’équipe de l’hôpital LaSalle a su nous livrer une scène grandiose, digne de la série Stranger Things.

Nicolas Gouin est photographe de formation. Il s’intéresse à l’environnement, à la culture, aux savoirs collectifs et aux droits de la personne. Il est le fondateur de la boite de production Goba Studio, qui se consacre à des projets documentaires sensés et sensibles.

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