Les Refettorios

De Milan à Montréal, le chef italien Massimo Bottura crée des tablées à saveur sociale qui allient art, design et culture culinaire.

Texte — Juliette Leblanc
Photos — Angelo Dal Bo

La réputation du chef italien Massimo Bottura n’est plus à faire. Ses établissements, décorés d’étoiles Michelin —pensons au fameux Osteria Francescana, à Modena—, reçoivent toutes les accolades imaginables et ravissent les gourmands du monde entier. Mais que faire lorsque tout est gagné? Comment étendre son talent et toucher d’autres strates de la société? 

Bottura explique que le rôle d’un chef va bien au-delà de son répertoire de recettes. Pour lui, cette prise de conscience s’est faite en 2012, alors que deux tremblements de terre dévastateurs ont endommagé plus de 360 000 meules de parmesan dans sa région natale d’Emilia-Romagna. Inquiets de gaspiller tout leur fromage, les producteurs se sont tournés vers Bottura. Le chef n’a fait ni une ni deux, et a créé —et promu— une recette de risotto nécessitant une grande quantité de parmesan. Ladite recette s’est propagée tellement vite qu’en trois mois, toutes les meules brisées avaient été vendues. «Pas un seul emploi perdu, pas un seul fromager qui a dû fermer ses portes. Au-delà d’une recette, c’était un geste social», raconte Bottura. 

Le concept du Refettorio a débuté lors de l’exposition universelle de Milan, en 2015, en une formule éphémère. Invité à cuisiner pour des réceptions variées, dont le gala d’ouverture, Bottura a plutôt décidé de poser un acte citoyen. Son plan initial? Installer une cuisine à la gare centrale de Milan et inviter des chefs mondialement réputés pour qu’ensemble, ils cuisinent des plats à offrir aux migrants qui passaient par là dans leurs déplacements vers le nord du pays. Le tout, en utilisant des denrées parfaitement saines, mais jugées impropres à la vente dans les supermarchés. Ainsi, il pourrait nourrir les moins fortunés ET prendre position contre le gaspillage alimentaire. Le pape François (oui, oui, lui) a plutôt suggéré à Bottura d’inscrire cette initiative dans la durée: pourquoi ne pas installer le Refettorio dans l’un des quartiers les plus délabrés de la ville, le Greco, et s’engager à y nourrir quotidiennement la population dans le besoin? 

«Le mot Refettorio vient du latin reficere, signifiant «refaire», mais aussi «restaurer». C’était à l’origine un espace où les moines se réunissaient pour partager leur repas quotidien.»

Là-bas, deux chefs cuisinent pour une centaine de personnes chaque jour, aidés par des bénévoles locaux. Bottura ne souhaitait pas créer une soupe populaire fonctionnelle et impersonnelle: il voulait, selon ses propres termes, offrir à ces gens dont l’existence se définit par le rejet constant une occasion d’apprécier un délicieux repas, dans un lieu magnifique. Les denrées, endommagées, proches de la date de péremption ou difformes selon les standards de l’industrie alimentaire, sont encore une fois fournies par un supermarché.

Bottura a depuis mis sur pied une fondation Food for Soul afin de multiplier le concept dans d’autres villes. Le Refettorio Gastromotiva a vu le jour lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016, avec pour objectif de contrer le gaspillage alimentaire, la malnutrition et l’exclusion sociale. La récupération de denrées y est aussi importante que la promotion et la restitution de la dignité humaine. Les chefs qui y travaillent sont d’ailleurs issus de milieux défavorisés brésiliens. 

À Londres, le Refettorio Felix (2017) œuvre chaque mois à transformer 1 280 kilos de nourriture vouée à être jetée en repas pour les populations à faible revenu. Le centre offre aussi des douches, des vêtements propres et un service certifié en santé mentale. Une initiative semblable existe également dans la crypte d’une église parisienne depuis 2018. Bref, le concept se propage rapidement, captant l’intérêt des chefs qui cherchent à avoir un impact positif sur leur communauté. En 2020, deux Refettorio devraient ouvrir leurs portes aux États-Unis, soit à San Francisco et dans Harlem, à New York. C’est toutefois à Mérida, au Mexique, que le tout premier établissement nord-américain vient d’être inauguré.

Un Refettorio Montréal est aussi sur la table. Planifié pour l’automne 2020, l’endroit pourra accueillir 90 convives, deux fois par jour. Des chefs locaux reconnus ont signalé leur enthousiasme pour le projet. C’est John Winter Russell, du restaurant Candide (lisez son portrait dans le Numéro 06 du magazine BESIDE), qui coordonnera le tout. 

Au-delà de leur vocation humaine et alimentaire, les Refettorio comportent enfin une dimension artistique, que cela passe par le design de l’espace ou les œuvres d’art qui le décorent. Parce que tout le monde, croit Bottura, a droit à la beauté.

 

En réponse à l’isolement social dû à la COVID-19, Massimo Bottura propose une série d’instagram live intitulée Kitchen Quarantine, depuis sa cuisine familiale.

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