Les plantes qui m’ont sauvée

À l’été 2020, l’autrice torontoise Tayo Bero a décidé de donner un nouveau souffle à sa vie en s’entourant de plantes dans son appartement. Elles ont été une source d’apprentissages insoupçonnés.

Texte—Tayo Bero
Photos—Katie Sadie

Par un après-midi ensoleillé, au milieu du mois de juillet 2020, je me suis rendue à ce qui allait devenir mon fournisseur de plantes, niché dans Junction, un quartier dynamique de Toronto. J’ai stationné ma voiture, puis j’ai marché jusqu’à la boutique, située à l’angle de deux rues. Le quartier était calme, et alors que je constatais la tranquillité des lieux, je me désolais de tout ce dont la pandémie nous avait privé·e·s.

Pour moi, l’été 2020 a été un désastre, assurément le pire que j’ai connu. Je garde un souvenir viscéral de l’ambiance générale de déprime, de fatigue et de détresse qui a accompagné ce milieu d’année, avec une pandémie qui s’aggravait et des conversations lourdes et souvent traumatisantes sur le racisme contre les Noir·e·s et la brutalité policière qui sévissaient partout sur la planète. J’ai affronté tant bien que mal l’épais nuage de désespoir qui a assombri cette période, tout en me remettant d’une rupture particulièrement tumultueuse et en préparant un déménagement.

Épuisée et à bout de forces, j’ai décidé de profiter de ce déménagement pour repartir à neuf, l’occasion pour moi de mener ma vie comme je l’entendais, indépendamment de ce qui se passait autour.

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Même si je n’avais jamais eu de plantes auparavant, il ne faisait aucun doute que je voulais qu’elles fassent partie de ma nouvelle réalité. Et pour m’y mettre, j’ai demandé l’aide de ma bonne amie Gloria, dont le compte Instagram très suivi (@blackgirlrooted) est entièrement dédié à sa collection de végétaux, habituellement photographiés devant le mur d’accent orange vif de son appartement d’Edmonton. Je voyais à quel point elle en prenait soin, et j’étais rassurée de savoir que j’avais quelqu’un à qui demander conseil, et qui n’allait pas me juger si une plante mourait par ma faute.

Quand je suis finalement arrivée à la boutique, cet après-midi de juillet, toutes les raisons pour lesquelles je voulais commencer à faire pousser des plantes chez moi me sont revenues à l’esprit. Il y a quelque chose de fascinant dans la façon dont elles occupent l’espace dans une pièce. Qu’il s’agisse de minuscules cactus à poils soyeux qu’on peut tenir dans le creux de sa main ou de pothos à grandes feuilles qu’on suspend au plafond, les plantes peuvent transformer n’importe quelle pièce monotone en véritable oasis de verdure, précisément le genre d’endroit où j’avais envie de me réveiller.

Après avoir exploré la boutique pendant au moins une heure, je me suis finalement arrêtée sur quelques choix. Pour mes premières plantes, j’ai opté pour des espèces simples et faciles d’entretien, dont une sansevière, une alocasia, un caoutchouc, un philodendron et un pothos. J’ai toujours aimé les grandes feuilles du philodendron et l’audace subtile du caoutchouc, comme s’il disait: «Je suis peut-être petit, mais je suis là.» Il était impossible de ne pas remarquer la magnifique alocasia, avec ses trois feuilles d’un violet éclatant, et la sansevière s’avérait un choix évident pour une novice comme moi, étant donné son caractère pratiquement indestructible.

Après une discussion sur l’entretien des plantes avec le personnel de la boutique et l’achat des outils nécessaires (conseil de pro: n’achetez pas d’arrosoir hors de prix à moins que ce soit pour Instagram; n’importe quel vieux contenant fera l’affaire), je me suis empressée d’apporter mes emplettes chez moi.

Prendre soin de soi à travers le soin des plantes
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Dans ma famille, nous n’avons jamais eu de plantes. Des arrangements de fleurs et plantes séchées, oui. Mais de véritables plantes vivantes dans la maison? Jamais. Ma mère dit encore qu’elle ignore d’où me vient mon pouce vert, et j’ai été moi-même surprise de la facilité avec laquelle j’ai pris mes repères.

Le processus est rapidement devenu une science: j’ai appris comment tester la terre avec mon doigt pour voir si les plantes avaient besoin d’eau, je les déplaçais pour les exposer à plus de lumière, et j’ai acheté de l’engrais de qualité et un humidificateur pour m’assurer qu’elles avaient tous les nutriments nécessaires et qu’elles bénéficiaient du meilleur environnement possible.

J’en ai même parlé durant ma thérapie. C’est comme si le fait de prendre soin des plantes faisait désormais partie de ma routine de vie; j’y prenais plaisir et je pouvais voir concrètement le résultat de mes efforts.

Leçon no 1: Lâcher prise
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Tout semblait bien aller jusqu’au jour où, sans raison apparente, mon caoutchouc a perdu une feuille. Plus tard cette semaine-là, deux autres sont tombées, puis quatre. En l’espace de quelques jours, plusieurs feuilles ont péri, toutes flétries et repliées sur elles-mêmes.

Désemparée, j’ai fait ce que n’importe quel nouveau parent de plante aurait fait et j’ai fouillé frénétiquement dans Internet pour comprendre ce qui se passait. Bien des raisons peuvent expliquer pourquoi un caoutchouc commence à perdre des feuilles: une lumière inadéquate, une quantité d’eau insuffisante (ou trop abondante), des changements drastiques de température ou d’humidité, des parasites et ainsi de suite. Après des semaines à essayer de sauver ce qui restait de la plante, j’ai dû me rendre à l’évidence et accepter le fait qu’elle était bel et bien en train de mourir. J’ai rapidement acheté un autre caoutchouc pour remplacer le premier et j’ai été stupéfaite de voir le même phénomène se produire: les feuilles sont tombées les unes après les autres jusqu’à ce que la plante meure. Abasourdie, j’ai décidé de ne pas acheter d’autre caoutchouc, pour finalement en recevoir un (et bien plus gros, cette fois) en cadeau.

Et c’est là que les plantes m’ont appris ma première grande leçon. Lorsque le troisième caoutchouc a commencé à dépérir à son tour, je me suis procuré une sonde d’humidité qui pouvait aller plus en profondeur dans la terre que mes doigts, et j’ai réalisé que tout ce temps-là, je l’arrosais trop abondamment. Eh oui, la raison pour laquelle mes caoutchoucs ne survivaient pas, ce n’est pas parce que je les négligeais, mais bien parce que je leur donnais trop d’amour.

Si ce constat m’a frappée de plein fouet, il mettait aussi en relief bien des façons dont je gérais les problèmes dans ma vie. Peut-être que consacrer du temps et de l’énergie émotionnelle à vouloir soigner ce qui est brisé n’est pas toujours la solution. J’ai tellement essayé de réparer une relation qui battait de l’aile que je n’ai jamais réalisé que mes efforts avaient peut-être fait partie du problème, et que j’aurais dû lâcher prise dès le départ.

Leçon no 2: Avoir de l’espace pour s’épanouir
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Quelques mois après avoir acheté mon alocasia, j’ai remarqué que je devais l’arroser plus souvent que d’habitude. J’ai jeté un coup d’œil au bas du pot et vu que ses racines avaient tellement poussé qu’elles s’étaient frayé un chemin dans les trous de drainage jusqu’à former une toile. Le temps était venu de la rempoter.

Ce sentiment-là m’était bien familier. Durant les mois difficiles, j’avais l’impression que les murs se refermaient sur moi, et j’ai commencé à me sentir claustrophobe dans mon appartement. Comme je travaillais de la maison, je quittais à peine ma petite chambre, et j’étais plus que mure pour un changement d’environnement. Alors, comme je l’ai fait lorsque j’ai planifié mon déménagement dans un nouvel appartement, j’ai acheté un nouveau pot et les ingrédients pour faire un bon terreau, tout le nécessaire pour que le rempotage soit une réussite et que mon Alocasia soit bien dans sa nouvelle maison.

L’expérience de ma plante m’a rappelé une leçon essentielle apprise durant mon été infernal: pour m’épanouir, j’avais besoin d’être dans un meilleur environnement, un milieu de vie accueillant qui me permettrait de grandir et qui ne me laisserait pas stagner, prisonnière de mes racines. Je savais qu’un changement de décor était, en partie, la réponse à ces problèmes. J’ai donc donné de l’amour à mon nouvel appartement, changé d’emploi, adopté de nouvelles habitudes plus saines et me suis entourée de ce qui me rendait heureuse.

Leçon no 3: Vivre à son rythme
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Le fait de m’occuper de mes plantes de façon aussi attentive m’a aidée en me permettant de prendre soin d’autre chose que des blessures issues de ma rupture et de ne plus me soucier que des cycles de chaos continuels du monde.

Ma détresse était apaisée par le fait de savoir que je cultivais la vie, et que ces efforts produisaient des résultats immédiats, des résultats que je pouvais voir simplement en regardant autour de moi ou en respirant l’air dans mon appartement.

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Plus tard, j’ai ajouté une maranta (qu’on appelle parfois «plante de la prière») à ma collection, et par sa nature même, elle m’a appris l’une des plus grandes leçons de mon cheminement jusqu’à maintenant. Les feuilles de ces plantes «s’ouvrent» et «se ferment» en réaction à l’environnement; elles s’ouvrent lorsqu’elles sont entourées de lumière et se replient sur elles-mêmes lorsqu’il fait sombre. Ce comportement s’appelle la nyctinastie, et il n’y a pas de raison universellement connue à ce phénomène — bien que l’on ait émis l’hypothèse selon laquelle la plante se serait adaptée pour capturer l’eau de pluie et l’humidité durant la journée pour ensuite la préserver durant la nuit.

J’ai réalisé que les êtres humains fonctionnent de la même façon. C’est bien de s’ouvrir à tout ce que le monde a à nous offrir, mais mon expérience m’a montré l’importance de retrouver la quiétude de son espace dans les moments difficiles, et de se tourner vers soi quand le bruit du monde devient trop fort.

Imperturbables et capables de résister aux conditions les plus dures et les plus défavorables, ma sansevière et mon arbre de jade sont tout simplement imperméables aux aléas du monde. Après avoir survécu à un été d’enfer, je souhaite faire preuve de la même résilience.

Tayo Bero est une productrice de radio et une journaliste culturelle pigiste ayant remporté plusieurs prix. Vous pouvez la lire dans The Guardian, Teen Vogue, Châtelaine et The Walrus, ou vous pouvez l’entendre sur les ondes de CBC Radio.

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