Comment célébrer des funérailles à la maison

Le mouvement des obsèques à domicile veut reprendre les soins mortuaires naturels des mains de l’industrie funéraire, et de plus en plus de personnes lui emboitent le pas.

Texte—Christina Leimer
Illustrations—Thaïla Khampo

Lorsque Diane Savory a appris qu’elle allait bientôt mourir d’insuffisance cardiaque congestive, elle et son mari, Peter Stickney, ont convenu qu’elle recevrait des soins palliatifs sous leur toit. Le couple ne voulait pas qu’elle soit «branchée aux machines de l’hôpital», raconte Peter.

Durant les 21 derniers jours de la vie de Diane — à mesure que l’idée de la mort imminente s’enracinait —, le couple a décidé que les funérailles auraient lieu aussi à la maison. C’était le prolongement naturel de leur choix de soins.

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Avec l’aide de conseils professionnels en obsèques à domicile, Peter était prêt pour le départ de Diane. À son décès, il a lui-même lavé, oint et habillé sa dépouille en vue de la veillée funèbre. Leurs enfants, petits-enfants et ami·e·s ont apporté de la nourriture, des fleurs et des décorations. «Son lit n’avait plus l’air d’un lit d’hôpital, tant il était coloré.» Dans la cour, quelques proches ont peint le cercueil en carton, qui servirait à la transporter jusqu’au crématorium.

Après deux jours d’exposition, le temps des derniers adieux est arrivé. Une fois les sièges repliés de la Prius de Peter, le cercueil rentrait tout juste. «On a fait une magnifique promenade sur des routes de campagne et eu une dernière conversation, seul à seule.»

Une fin naturelle
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Le choix de Peter et Diane peut paraitre radical, mais dans la culture occidentale, les funérailles domestiques étaient jadis la norme. Quand une personne décédait, la communauté se réunissait chez la famille pour laver et habiller le corps, passer du temps à ses côtés, se retrouver entre proches, puis creuser la tombe. La mort était aussi naturelle que la naissance — une expérience vécue au grand jour.

La plupart d’entre nous ignorent qu’il est encore possible de tenir une cérémonie funéraire chez soi. L’organisation américaine National Home Funeral Alliance (NHFA) veut corriger le tir. La NHFA éduque les familles sur leurs droits et les accompagne dans les démarches juridiques et les tâches à accomplir à la suite de la perte d’un·e parent·e. «On aide les gens à prendre conscience de leur force et à réaliser qu’ils peuvent se débrouiller», explique Lee Webster, ancienne présidente de la NHFA et directrice générale de l’organisme de sensibilisation New Hampshire Funeral Resources, Education & Advocacy.

Les défenseur·euse·s des funérailles à domicile, comme Webster, soutiennent que les pratiques funèbres modernes sont impersonnelles, couteuses et nuisibles à l’environnement. Qui plus est, elles nous alièneraient face à la mort, en exacerbant notre deuil et nos craintes. Plus intimes et plus naturelles, les obsèques domestiques placent la famille et la communauté au premier plan.

Cette approche gagne en popularité. Malgré l’absence de statistiques, Webster soutient que le nombre croissant d’appels reçus par la NHFA dans les dernières années a explosé avec la pandémie. «On constate un regain d’intérêt pour les formes d’autoassistance et d’indépendance. La pandémie a forcé les gens à s’organiser tout seuls», pense-t-elle.

Quelque chose de plus vaste
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J’ai grandi sur une ferme, où quatre générations familiales se côtoyaient sur une base régulière. Avant de fréquenter l’école, je passais mes journées dans le jardin et la bassecour avec mon arrière-grand-mère de 75 ans, dont j’observais les cheveux gris clairsemés et l’affaissement des bras. Les corps de mes autres grands-parents s’apparentaient au sien. Leur dégénérescence me semblait aussi naturelle que le cycle des saisons sur la ferme. À la mort de mes aïeux·les, j’ai évidemment souffert, mais leur départ s’inscrivait dans le cours normal des choses — il m’inspirait un sentiment d’harmonie, l’impression de faire partie de quelque chose de plus vaste.

Dans les années 90, pendant mes études supérieures sur les enjeux de fin de vie, j’ai découvert le mouvement des «funérailles naturelles», qui m’a tout de suite interpelée. Composé de thanadoulas, de tenant·e·s des enterrements écologiques et de conseiller·ère·s de funérailles à domicile, le groupement cherchait à assouplir les contraintes professionnelles et institutionnelles qui pesaient sur ces expériences fondamentales, dans le but de favoriser de derniers adieux plus personnels.

Plus récemment, le death positive movement (mouvement positif de la mort) est apparu avec The Order of the Good Death, une organisation créée par une thanatologue de Los Angeles, Caitlin Doughty. Inspirée par la culture sexpositive, Doughty nous encourage à accueillir notre curiosité naturelle à l’égard de la mort, afin d’en parler ouvertement et en toute franchise.

Le droit au deuil
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Pour plusieurs, la mort est un sujet morbide, et l’idée d’organiser des funérailles chez soi est particulièrement macabre. Cette attitude remonte à l’émergence de l’industrie funèbre moderne au lendemain de la guerre de Sécession, durant laquelle s’est implanté l’embaumement, pour le transport des soldats tués loin de leur région natale. La thanatopraxie — vantée comme plus hygiénique — a donné naissance à un nouveau champ professionnel et aux salons funéraires, où l’on s’est mis à offrir des services d’exposition et de cérémonie. Aujourd’hui, cette approche de la mort est si répandue que l’on a du mal à imaginer une autre avenue.

Bien que les obsèques à domicile ne conviennent pas à toutes les familles ni à toutes les circonstances, les spécialistes soutiennent que les craintes du public concernent surtout la dépouille. En particulier, on croit à tort qu’elle est vectrice de maladies — un préjugé tenace dans l’imaginaire culturel depuis que l’industrie funéraire promeut l’embaumement. À moins d’avoir succombé à une maladie contagieuse, «un cadavre est moins susceptible d’être source de maladies qu’une personne vivante», affirme Terry Skovronek, enseignante en soins mortuaires à domicile depuis 20 ans, à Philadelphie.

Quand les gens entendent parler de funérailles à la maison, une des premières questions est souvent: est-ce légal? Oui. Nous sommes si détaché·e·s de la prise en charge de nos défunt·e·s qu’il est facile d’oublier que le corps d’un être cher demeure la propriété juridique de ses proches. Selon la NHFA, toutes les provinces canadiennes et tous les États américains accordent aux familles le droit de s’occuper à domicile des soins mortuaires de leurs disparu·e·s. Quoiqu’il faille se conformer à certaines contraintes légales, qui peuvent varier d’un endroit à l’autre; seuls dix États exigent la participation d’un·e entrepreneur·e de pompes funèbres.

Il n’existe aucun mode d’emploi unique pour organiser des funérailles à la maison, mais voici quelques recommandations de spécialistes du domaine:

Discutez-en pleinement.

Proposez avec tact des funérailles à domicile aux membres de votre famille. Une fois la suggestion lancée, laissez-leur du temps pour y réfléchir. Certains acquiesceront d’emblée. D’autres se montreront réticents. Les proches aidant·e·s sont parfois surmené·e·s et il importe de tenir compte de leurs besoins. Il est primordial d’obtenir l’aval des parents clés, en particulier le ou la représentant·e légal·e de la personne décédée. Si l’une ou l’autre des personnes concernées s’oppose fermement à des obsèques à la maison, il vaut mieux écarter cette avenue.

Procédez à votre façon.

Les funérailles à domicile sont toutes uniques. À leur manière, elles reflètent la personnalité et les valeurs du ou de la défunt·e et de sa famille. Vous disposez d’une grande latitude créative en matière de rituels, d’art, de poésie, de musique et de décorations. L’évènement peut être animé ou solennel, simple ou élaboré. Il est possible de laisser les visiteur·euse·s aller et venir à leur guise, ou d’établir des plages horaires pour des groupes précis, par exemple la famille immédiate ou la communauté élargie. Souvent, on voit des enfants jouer. Les invité·e·s ont le choix de prendre place en silence, comme ils ou elles peuvent prier ou méditer. Quelques-un·e·s étreignent ou touchent le corps; d’autres s’en abstiennent. Vous pouvez fabriquer un cercueil en pin, ou bien en acheter un en carton et le décorer. La crémation et l’enterrement sont deux options valables. Dans certains endroits, il vous est même possible d’inhumer les restes sur votre propre terrain, mais assurez-vous d’obtenir l’autorisation des autorités locales.

Prenez votre temps.

Les veillées funèbres à domicile peuvent être brèves ou s’étaler dans le temps, mais règle générale, elles n’excèdent jamais trois jours. Parfois, tout ce dont la famille a besoin après un décès, c’est d’un court répit, avant de communiquer avec le salon funéraire. Le dernier soupir représente le passage d’une frontière. La vie a changé et nous avons besoin de temps pour nous y faire. Dans plusieurs traditions religieuses, c’est le moment où l’âme, ou l’esprit, s’échappe. Les responsables de services funéraires à la fois conseiller·ère·s soutiennent qu’il n’y a pas urgence d’agir lorsque la mort survient dans des circonstances normales et prévisibles. Dans certains cas, la veillée donne simplement le temps nécessaire à la famille pour accepter ce qui vient d’arriver, dans l’attente des professionnel·le·s qui achemineront le corps à la morgue.

Demandez de l’aide.

L’organisation d’obsèques à domicile comporte plusieurs étapes. Personne ne peut tout faire soi-même. Si le ou la défunt·e recevait des soins palliatifs, l’établissement sera en mesure de vous aider avec le certificat de décès. Durant la planification et la tenue des funérailles, ceux et celles qui émettent le souhait de jouer un rôle actif devraient pouvoir s’impliquer. Si les tâches sont bien divisées, chaque personne pourra accomplir ce qui lui parait naturel et positif. Certain·e·s sont doué·e·s pour la logistique ou les tâches administratives; d’autres, pour s’occuper des enfants ou de la musique. Quelqu’un·e doit aussi être responsable d’acheter de la glace et d’autres articles. Il y a beaucoup à faire.

Gardez un cœur ouvert.

L’humour, la légèreté et le jeu relâchent les tensions et aident à relaxer. Ils fournissent une capacité d’adaptation et vous permettent d’être à l’écoute de vos émotions. Faites preuve de souplesse afin que la veillée puisse évoluer de manière spontanée, à mesure que les invité·e·s arrivent et se côtoient. Permettez-leur d’apprivoiser l’inconnu dans cet environnement familier. Quelques-un·e·s resteront assis·e·s en silence. D’autres pourront chanter, se promener, jouer à des jeux ou regarder la télé. Certaines personnes — notamment les enfants — éviteront le corps ou auront besoin de temps avant de l’observer ou de le toucher. Laissez la vie suivre son cours. Bon nombre de familles et d’expert·e·s en funérailles à domicile affirment qu’il s’agit d’une expérience thérapeutique et transformatrice — un cadeau inoubliable.

 

Ressources complémentaires: Pour une meilleure idée des étapes à suivre ou du déroulement concret, consultez le site web de la NHFA (en anglais). Vous pouvez aussi trouver en ligne des vidéos d’obsèques à domicile ou visionner le documentaire de PBS, A Family Undertaking. Réalisé en 2004, ce film suit plusieurs familles qui ont opté pour cette voie.

Christina Leimer est une autrice et une chercheuse indépendante, qui s’intéresse à la conscience, aux liens entre l’humain et le monde naturel, ainsi qu’aux innovations et aux changements sociaux. Retrouvez son blogue, The Intuitive Sociologist, sur son site web, où il est possible de communiquer avec elle.

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