Comment vivre une nuit polaire dans sa cour

Notre collaborateur Guillaume Rivest nous sort de notre zone de confort en nous guidant vers une première nuit de camping hivernale.

Texte—Guillaume Rivest
Photos—Sean Traer & Julien Jeanson

Le froid et la peur de l’inconfort sont deux éléments qui éloignent plusieurs personnes du camping d’hiver. Pourtant, une fois maitrisé, le fait de dormir dehors l’hiver ouvre la porte sur un monde exceptionnel, celui des expéditions hivernales. Être en mesure de gérer un campement  (et soi-même) par grand froid, c’est entrer dans le monde des possibilités encore très peu exploité que sont les sorties de plusieurs jours, et ce, peu importe votre moyen de locomotion et l’activité que vous voulez pratiquer.

 

Personnellement, j’ai toujours eu l’impression que la maitrise du camping d’hiver était la porte vers un monde rempli d’aventures. Jeune, je regardais avec envie les explorateur·rice·s visiter les pôles et les plus hautes montagnes du globe, passant des nuits dans une petite tente, leur seul refuge contre cet océan blanc inhospitalier. Aujourd’hui, je travaille à titre de guide d’aventure et de journaliste spécialisé en plein air. Je perçois chaque expédition hivernale comme une préparation à une éventuelle grande épopée polaire.

Pour démystifier cette activité peu pratiquée, voici un petit guide qui vous donnera peut-être le gout de vous geler le bout du nez l’espace d’une nuit — ou de plusieurs. Puisque le froid complique sans contredit l’activité, mieux vaut y aller graduellement. Les basses températures offrent une marge de manœuvre beaucoup plus mince qu’en été. Une mauvaise préparation, une organisation déficiente, et les petites erreurs peuvent mener rapidement aux engelures, voire à l’hypothermie. Je ne souhaite pas vous décourager en vous disant cela, mais plutôt vous conscientiser quant à l’ importance de procéder par étapes. Pour s’auto-initier au camping d’hiver, il est essentiel de pouvoir faire ses propres expériences en sécurité avant de s’exposer à une situation plus hasardeuse (par exemple, voir sa tente emportée par le vent dans une expédition hivernale alors qu’on est à 60 km de la civilisation. C’est arrivé à un ami).

La première étape: dormir dans sa cour 
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Passer une nuit dans votre cour vous permettra de faire vos tests sans trop de risques. Si quelque chose tourne mal, vous pourrez rapidement profiter de la chaleur de votre foyer. Vous pouvez également vivre votre première nuitée dehors à proximité d’un refuge ou d’un chalet chauffé. Après ce baptême nocturne polaire, vous serez plus apte à déterminer vos besoins ou ce que vous feriez autrement. Profitez-en également pour questionner une personne expérimentée dont les conseils seront surement très judicieux pour vos futures aventures.

L’équipement nécessaire
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Avant de me lancer ici, je dois préciser quelque chose. En général, je déteste l’approche qui place le matériel avant la pratique d’une activité. Les «top 5» et «top 10» des choses à avoir avec soi sont généralement peu utiles parce qu’ils nous poussent à dépenser beaucoup d’argent sans que ces objets répondent toujours à un besoin réel. Je ne le dirai jamais assez: RIEN NE REMPLACE L’EXPÉRIENCE. Roald Amundsen, célèbre explorateur norvégien, s’est rendu au pôle Sud en 1911 sans sac de couchage «momie» en duvet -40 ०C et sans vêtements techniques modernes. D’ailleurs, pour plusieurs, ne pas avoir le matériel devient très rapidement une excuse pour ne pas pratiquer une activité. Parallèlement, rien ne justifie de dépenser 2 000$ en stock de camping d’hiver pour tenter l’expérience une première fois.

Considérez donc cette section comme une liste remplie de suggestions et d’idées (tirées de mes erreurs). Faites vos expériences avec ce que vous avez sous la main ou encore avec du matériel loué ou emprunté. Après, vous serez plus à même de faire des achats cohérents en fonction de vos besoins.

Le sac de couchage
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Un indispensable du camping. Évidemment, l’hiver, vous devez avoir un sac de couchage doté d’une excellente performance thermique. La température affichée sur l’étiquette de votre nouveau meilleur ami est généralement la température «limite» en termes de confort, et cela est très variable en fonction de la chaleur que dégage votre corps. Idéalement, tentez de vous munir d’un sac de couchage plus chaud que les températures que vous allez affronter. Il est possible d’utiliser un sleeping bag moins chaud (par exemple, jusqu’à -20) par températures très froides (genre -30) si vous apportez d’autres vêtements isolés qui compenseront (ce n’est toutefois pas conseillé. Mais je vous mentirais si je vous disais que je ne l’ai pas fait à plusieurs reprises et que je suis toujours en vie pour écrire le présent article). Autre conseil, considérez le choix d’un sac de couchage suffisamment grand pour avoir de l’espace au bout de vos pieds, de façon à y ranger quelques vêtements et objets que vous voudriez garder au chaud durant la nuit. J’y place généralement mon manteau, mes gants, ma combine d’extra (tant qu’ils ne sont pas mouillés, bien entendu), une bouteille remplie d’eau bouillante, etc. Veillez à ne pas avoir un sac de couchage trop ample parce que cela créera des zones froides et vous aurez plus de difficulté à maintenir la chaleur.

Vêtements appropriés
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Être en mesure de s’adapter aux conditions extérieures est une condition sine qua non au camping d’hiver. En ce qui me concerne, j’ai toujours au minimum une deuxième combine sèche que j’enfile le soir, un polar, un petit manteau en duvet et une grosse doudoune. En fonction de la température, j’ajuste ce que je porte durant la nuit. Par exemple, s’il fait -40, je dors généralement avec mon gros manteau. Cela ajoute de l’isolant à mon sac de couchage, qui est classé pour une température de -29. S’il fait plus chaud, même si je ne les porte pas, mes autres couches seront à mes pieds dans mon sac de couchage ou dans les espaces non remplis de façon à limiter les «zones froides», comme je l’ai mentionné plus haut. L’autre avantage: mes vêtements seront réchauffés si j’ai à les enfiler plus tard dans la nuit.

De plus, le soir au campement, des vêtements très chauds, c’est un must. Grosse doudoune en duvet, pantalon doublé, etc. Pour les moments où vous bougerez moins, vous devez vous isoler de façon conséquente parce que vous ne produirez pas autant de chaleur.

Matelas de sol
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La pièce maitresse du kit. Vous aurez beau avoir le meilleur sac de couchage au monde, si le matelas de sol n’est pas adéquat, vous aurez froid durant la nuit. Les échanges thermiques se font beaucoup plus facilement par contact direct, et de toute évidence, vous serez en contact avec le sol toute la nuit. Il faut donc bien vous protéger de celui-ci. La plupart des matelas de sol ont une performance cotée selon leur valeur d’isolation. On suggère une valeur R de 4.5 au minimum pour le camping d’hiver. Mes pires nuits de camping d’hiver ont souvent été causées par un matelas de sol déficient. J’apporte maintenant toujours deux matelas de sol en expédition: un gonflable et un de type foam, au cas où le premier me lâcherait. Si jamais cela vous arrive, placez un maximum de vêtements entre vous et le sol pour tenter de vous isoler de celui-ci le plus possible.

Pour votre première nuit dans votre cour, vous n’avez pas à vous procurer absolument un matelas d’hiver. Deux matelas d’été empilés (ou plus) peuvent faire le travail. Vous pouvez même créer un isolant avec plusieurs couvertures de laine (quand je dis plusieurs, c’est quand même cinq ou six couvertures).

Petite liste de choses qui me quittent rarement lors de mes nuits hivernales

  • Bouteille Nalgène à gros goulot 1 L (gros goulot pour qu’elle soit plus facile à dégeler)
  • Un isolant à bouteille d’eau (pour que son contenu gèle moins rapidement)
  • Mouflons (genre de pantoufles en duvet. Très agréable le soir et le matin au campement)
  • Lampe frontale
  • Des chauffe-mains en cas d’urgence
  • Thermos (avec liquide chaud à l’intérieur. Genre, un bouillon de poulet pour votre âme gelée)
  • Un bruleur pour transformer la neige en eau (et accessoirement, vous faire un café chaud le lendemain matin. Pour vous assurer que l’eau est propre à la consommation, il est recommandé de la faire bouillir durant cinq minutes)
Photo: Jonas Jacobson

 

Les trucs essentiels pour le confort polaire
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1. Votre pire ennemi, c’est l’humidité.

C’est sans doute le conseil le plus important. Des vêtements mouillés en hiver, dans presque toutes les circonstances, c’est la pire chose qui peut vous arriver parce qu’ils conduiront le froid 25 fois plus rapidement. En plus, c’est potentiellement dangereux. Idéalement, il ne faut pas se laisser suer. Enlevez des couches de linge dès que vous avez chaud. Apportez toujours une deuxième combine, que vous garderez au sec à tout prix et que vous pourrez enfiler le soir venu.

2. Mangez à votre faim!

En général, la seule source de chaleur en camping d’hiver, c’est vous-même. Considérez qu’une personne qui passe la journée dehors dépense en moyenne 1 000 calories de plus par jour. Si vous avez faim, votre corps sera incapable de produire assez de chaleur, et il est quasiment inévitable que vous ayez froid la nuit durant. N’ayez pas peur du gras! Pour votre propre thermorégulation, c’est sans doute votre meilleur allié.

3. Faites pipi dès que nécessaire.

Je le sais, dans la chaleur du sleeping bag, à 3h du matin, l’idée de sortir de son cocon est impensable. Toutefois, sachez que votre corps lutte très fort pour réchauffer l’urine que vous conservez à l’intérieur de vous-même. Ne le faites pas travailler plus qu’il n’en faut et rendez-vous service! Allez faire pipi lorsque l’envie vous tient, vous constaterez une différence instantanément.

4. Apprenez à vous connaitre (surtout en termes de chaleur).

Ça peut paraitre drôle comme conseil, mais c’est essentiel. Personnellement, j’ai chaud rapidement. Si je suis bien au chaud au moment de m’endormir, je vais suer durant la nuit, c’est inévitable. Lorsque cela arrive, mon sac de couchage se mouille et perd en partie ses capacités isolantes. J’opte donc pour être à la limite de l’inconfort quand je me couche. Essayez de trouver l’équilibre en fonction de ce que vous savez de vous-même. Pour apprendre à se connaitre, il n’y a pas de secret: l’expérience et le nombre de nuits passées dehors sont la clé.

5. Soyez organisé.

Tout doit être réglé au quart de tour. L’hiver, vous n’avez pas le loisir de chercher longtemps quelque chose parce que chaque instant peut faire la différence entre un moment plaisant ou une engelure. Il est également très important de tout ranger au fur et à mesure. Une légère chute de neige peut vous faire perdre très rapidement n’importe quel objet qui n’a pas été remis à sa place après utilisation. Votre expérience hivernale sera 1 000 fois plus agréable si vous êtes bien organisé.

6. Apprenez les petits trucs utiles.

Les trucs qui rendront votre expérience de camping d’hiver confortable sont nombreux et, souvent, personnels à chacun. En voici quelques-uns en vrac:

  • Par nuit très froide, j’adore mettre de l’eau bouillante dans une bouteille Nalgène 1 L et la placer à mes pieds dans mon sac de couchage. Cela crée une source de chaleur pour les premières heures de ma nuit (assurez-vous de bien fermer la bouteille, par contre!).
  • Lors des expéditions, un petit sac, sec et étanche, peut servir à placer vos vêtements humides dans votre sac de couchage pendant la nuit. Le lendemain, au moment de les enfiler, à défaut d’être secs, ils ne seront pas gelés.
  • Même par grand froid, il est possible de faire sécher un sac de couchage humide en l’exposant au soleil. Il m’est souvent arrivé de mettre le mien sur le dessus de ma pulka (traineau). Ça fonctionne assez bien dès que le soleil se pointe, même s’il fait -20 ou -30.
  • Laissez respirer votre tente au maximum: la nuit, l’humidité s’accumule très rapidement à l’intérieur d’un abri fermé. Si vous êtes capable de le ventiler, faites-le!

La prochaine étape: quitter sa cour
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Votre première nuit s’est bien passée et vous vous sentez prêt·e pour un défi de plus grande envergure? Éloignez-vous tranquillement des endroits confortables pour une nuit ou plus. L’idée est d’inclure un déplacement actif à votre activité de camping hivernal et d’être obligé de transporter le matériel dont vous avez besoin. Vous apprendrez vite à trier le superflu pour vous en tenir à l’essentiel. Votre organisation s’améliorera grandement avec ce genre d’expérience. Vous pouvez aussi ajouter la préparation de repas à votre périple, mais ça, c’est un sujet pour un autre article. En cas de doute, la solution la plus simple: un repas lyophilisé (la compagnie québécoise Happy Yak en fait de très bons) dans lequel vous n’avez qu’à ajouter de l’eau bouillante et attendre dix minutes.

Si tout va bien, vous serez prêt·e à vivre une expédition complète. Dans ce cas, soyez certain·e d’être conscient·e des risques et d’avoir un plan d’urgence (en cas de doute, parlez-en avec un·e professionnel·le ou une personne d’expérience).

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On pourrait s’étendre indéfiniment sur une panoplie de conseils, mais une chose est sure, ce guide n’a qu’une seule fonction: vous donnez envie de faire vos propres expériences hivernales. Après tout, comme l’hiver dure plusieurs mois, aussi bien l’apprécier et en profiter au maximum.

Personnellement, j’ai toujours trouvé que les froides nuits de l’hiver nordique avaient quelque chose d’inspirant qui m’attire depuis longtemps. Le plaisir d’être assis sur le bord d’une rivière gelée à regarder le reflet de la lune danser sur la neige à travers les épinettes noires en contrejour (ou devrais-je dire, en contrenuit), c’est littéralement fantasmagorique. Ces moments magiques arrivent quasiment chaque soir lors d’une expédition hivernale où les températures sont sous les -20 ०C. Vous prendrez également plaisir à observer ces paysages lorsque vos compétences (et votre équipement) vous permettront d’être à l’aise dans ce froid mordant.

Guillaume Rivest est un journaliste-chroniqueur spécialisé en plein air et en environnement. Aventurier à ses heures, il est aussi guide et a fondé sa propre entreprise: Exode bâtisseur d’aventures. À travers celle-ci, il offre des expéditions tout inclus dans le but de faire vivre des expériences uniques et complètes alliant nature, culture et dépassement.

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