Plante tisserande

Aux Jardins de Métis, la pépinière du littoral a trouvé une solution écologique à l’érosion des berges: l’élyme des sables.

Texte—Mélanie Gagné
Photos—Nancy Guignard

C’est en 1926 que l’Anglo-Montréalaise Elsie Reford a commencé à transformer le terrain de sa maison d’été, à Grand-Métis. Une plante à la fois, elle en a fait de luxuriants jardins, inspirés de son amour pour ses proches et de ses voyages en Angleterre. Grâce aux soins d’Alexander, son petit-fils et directeur des Jardins de Métis, cette impressionnante collection de végétaux existe encore aujourd’hui.

Elsie serait sans doute émue de constater que son œuvre a été poursuivie, en accord avec ses valeurs de respect de la nature — et par un membre de sa famille, de surcroit. La conservation fait en effet partie de l’ADN des Jardins, comme en témoigne le projet de pépinière du littoral, qui produit une plante remarquable: l’élyme des sables.

Les Jardins de Métis sont situés le long du fleuve, dans le Bas-Saint-Laurent. Un emplacement certes splendide, mais affecté, comme plusieurs, par l’érosion des berges, un phénomène aux causes multiples: cycles de gel et de dégel, vagues, marées, fortes pluies, tempêtes, hausse du niveau de la mer, destruction de la végétation naturelle, etc. Et les changements climatiques ne font rien pour arranger les choses.

Alexander Reford raconte:

«L’érosion des berges, ici, c’est un gros problème. Pour nous, ç’a commencé par une catastrophe: lors des grandes marées de 2010, une œuvre d’art immense est tombée dans les vagues. Il a fallu la sortir de l’eau. Sur notre plage, il y avait plein d’autres sortes de débris. On a rempli plusieurs camions. Ça nous a couté un bras.»

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Dans le Bas-Saint-Laurent, le 6 décembre 2010 est effectivement gravé dans les mémoires. Des rafales et des vagues exceptionnelles ont provoqué un déferlement des eaux le long du littoral. En plus des dommages substantiels causés à de nombreuses infrastructures, des centaines de personnes ont dû être évacuées.

«Les changements climatiques, il faut les accepter. C’est presque un laboratoire, ici! Les gens qui n’y croient pas peuvent venir voir. On le remarque dans les actions du fleuve: on perd un mètre de terrain chaque année et, bientôt, on va perdre un site archéologique vieux de 8 000 ans à l’embouchure de la rivière Mitis», affirme Alexander. Des fouilles menées dans le secteur ont effectivement révélé une présence autochtone au cours du Paléoindien récent. Ces campements se trouvent sur d’anciennes terrasses marines, qui pouvaient s’élever de 20 à 100 m au-dessus du niveau actuel du fleuve. L’érosion effacera possiblement ces pages d’histoire.

Alexander et son équipe ont donc réfléchi à des solutions écologiques pour ralentir le phénomène.

Guadalupe Fernández Nieto

En 2011, ils et elles se sont lancé·e·s dans la production d’élymes des sables, une plante indigène vivace, aussi appelée blé de mer ou seigle de mer, qui pousse sur le sable, le gravier, et dans les fentes des falaises ou des rochers.

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Ultra résistante, elle protège le littoral, jusqu’à un certain point: «On a planté des élymes le long de l’embouchure, où il y a des dunes. Ç’a fait ses preuves. Par contre, on doit aussi reconnaitre que la nature est plus forte que nous. Ce n’est pas un mur de béton; il faut accepter que ça déborde de temps à autre. C’est une réponse d’humilité face au fleuve, face aux changements climatiques.»

L’élyme des sables arbore de longues feuilles vert bleuté. Des épillets jaune pâle ornent le bout de ses tiges. C’est grâce à son rhizome ainsi qu’à son puissant système racinaire qu’elle parvient à stabiliser les rives et à freiner l’érosion.

En somme, les élymes sont comme des tisserandes qui confectionnent des filets de sécurité destinés à protéger le paysage.

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Existant depuis longtemps au Québec, cette plante indigène borde l’Atlantique du Nord. Elle s’installe vite dans tous les écosystèmes et demande peu d’entretien. À la pépinière du littoral, ces dernières années, on produit environ 35 000 élymes dans les serres chaque printemps. On les vend ensuite à des organismes environnementaux, comme les comités ZIP (zone d’intervention prioritaire) du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, qui organisent des corvées de plantation avec des bénévoles. «Les citoyen·ne·s peuvent aussi se procurer nos plantes, précise le directeur des Jardins. Il faut toutefois les réserver, car elles partent rapidement. Nous prenons déjà les réservations pour le printemps prochain.»

Alexander le promet: cette tradition, qui suscite visiblement l’engouement de la communauté, va rester. Chaque printemps, l’équipe de la pépinière se fera un devoir de produire des milliers d’élymes, qui seront plantés sur les rivages du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie — dans l’espoir que leurs tissages préservent le plus longtemps possible nos majestueux paysages maritimes.

Mélanie Gagné écrit même lorsqu’elle n’écrit pas. Que ce soit sur la grève, dans la forêt, au sommet d’une montagne ou dans un marché public, elle enregistre des inspirations, étant toujours attentive au grain des choses. Elle partage son temps entre ses rôles de maman, d’enseignante en francisation et de rédactrice. Elle rêve d’écrire un recueil de poésie.

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