L’artiste au col bleu | BESIDE

L’artiste au col bleu

Celui qu’on connait sous le nom de «P’tit Belliveau» a quitté la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse pour mieux y revenir et renouer avec la charpente de son identité musicale. Tiré de BESIDE 13

Texte et photos—Catherine Bernier

Alors que je longe les rives de la baie Sainte-Marie natale de Jonah Richard Guimond (P’tit Belliveau), dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, des images en temps réel se juxtaposent aux paroles de l’une de mes chansons préférées de  l’auteur-compositeur-interprète acadien: Les bateaux dans la baie, qui lui a valu une percée dans la musique franco-canadienne.

Je prends le rang de campagne qui mène vers la maison centenaire que Jonah et sa partenaire Christine ont achetée durant la pandémie et rénovent lentement, mais surement. Je m’imagine tous les kitchen parties que la grande demeure a dû accueillir au fil du temps, tous les gens qui se sont retrouvés dans la chaleur de la cuisine, pour jouer de la musique. Je me demande si Jonah poursuit la tradition, s’il jamme autour du foyer avec ses ami·e·s…

Je trouve le musicien dans son garage, en train de souder une pièce pour son banc d’entrainement. Des flammèches virevoltent jusqu’au plafond. Christine, qui m’a accueillie, va l’interrompre en prenant soin de ne pas le faire sursauter, puis repart peindre les murs de la cage d’escalier — en vert pastel, d’après les traces sur son t-shirt.

Jonah a le teint pâle et le regard perçant comme celui de son chat. Il m’invite à me tirer une buche (un ancien siège de fourgonnette). Nous jasons un moment, puis nous  migrons dans son studio, un univers parallèle au deuxième étage du garage, un repaire insoupçonné dans le décor vernaculaire de la Nouvelle-Écosse acadienne.

Sur ses écrans de travail, une vidéo YouTube d’entrainement en salle et des waves d’enregistrements vocaux figurent côte à côte. Des morceaux de guitares, des gobelets de café vides et des objets inusités tapissent le sol. Un désordre étrangement attachant, à l’image de l’artiste.

Autodidacte et débrouillard, Jonah a tout ce qu’il faut pour réaliser sa propre musique chez lui. Il a enregistré son dernier album, Un homme et son piano, dans une cabine insonorisée qu’il a bricolée comme une cabane d’enfant: les murs, faits de vieux dictionnaires, sont tapissés de draps et de couvertures.

Comme quoi le passé de celui qui était autrefois charpentier n’est jamais trop loin. Pour lui, il est évident que les deux pratiques s’apparentent.

«In a weird way, j’approche la musique comme si c’était un blue collar job. Ça prend deux heures pour avoir une idée et la développer, mais après ça, c’est comme 600 heures de travail manuel.»

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«La charpenterie, me dit-il, c’est la même affaire, au début du projet il faut faire les plans, après ça il faut faire tout le travail.»

Qu’est-ce qu’une maison?

Dans le 13e numéro du magazine BESIDE, nous explorons la maison sous toutes ses formes dans ce qu’elle a de plus beau à offrir.

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P’tit et Grand Belliveau
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Il fut un temps où Jonah tentait de faire fleurir son projet à Halifax, en Nouvelle-Écosse, puis à Moncton, au Nouveau-Brunswick, croyant qu’il était nécessaire de migrer en ville pour faire carrière en musique. «Moncton, c’est la campagne pour le monde de Toronto, mais pour moi, c’était une ville qui était trop grande, tu sais.»

Jonah avoue s’être laissé porter par l’envie de sortir de son patelin pour voir autre chose. «Tu es jeune et tu crois que tu sais mieux que tes parents, tu crois que toutes leurs valeurs sont stupides. Pis toi tu sais rien, pis là tu commences à avoir une job, pis à payer des taxes. Pis tu te rends compte qu’ils n’avaient pas si tort que ça.»

Après quelques années à l’extérieur, Jonah sent qu’il doit écouter ce besoin viscéral de renouer avec ce qui lui est familier.

Une décision loin d’être anodine pour celui qui s’inspire de la musique qu’il a l’habitude d’entendre à la radio communautaire acadienne.

«Je n’ai rien inventé, quand mon grand-père écoute ma musique, il ne pense pas nécessairement que c’est moderne.»

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«Peut-être qu’il va moins aimer les nouveaux sons que j’ajoute, mais sans le dire il a déjà dit que je pouvais être un musicien. Il me truste, alors qu’avant il disait “Please, va être un charpentier itou” [rires].»

Jonah me raconte qu’il s’est trouvé une vieille tondeuse à gazon que son grand-père mécanicien (le Grand Belliveau) a réparée pour lui. «C’est ce genre de choses que tu prends pour acquis quand tu pars, tu réalises que ce système de support là est vraiment important.

Je crois qu’il y a something about vivre dans la façon que tu as grandi, c’est ça que les humains ont fait dans toute la première partie de l’histoire.» Dans sa chanson Retourner chu nous, il chante:

comme si tout l’monde que j’aime aviont
des magnets dans leurs os […]
J’aimerais d’y aller où c’que l’monde
me comprend […]
Tout c’que j’vois, c’est des étrangers qui
care-ont poinne si je vis ou je meurs.
J’aimerais retourner à ma belle p’tite
baie où c’qu’on s’aide à tous les jours.

«Retourner chu nous» du P’tit Belliveau, tirée de son album Un homme et son piano.

Moins de bébelles, plus de plaisirs simples
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Quand son grand-père lui raconte des bribes de son passé dans la «belle p’tite baie» qu’ils partagent, Jonah comprend que son ainé a grandi dans une pauvreté omniprésente qui lui a enseigné la détermination et la débrouillardise. Des valeurs que Jonah admire profondément et qui lui font voir d’un autre œil la simplicité qui caractérisait la vie autrefois.

«Back in the day, quand t’avais pas quelque chose, il fallait que tu le construises, le produit de tes propres mains. Être forcé de vivre comme ça, ça fait quelqu’un qui peut apprécier ce qu’il a. Mon grand-père n’a pas besoin d’acheter des bébelles. Moi j’ai still besoin d’une p’tite miette», avoue-t-il.

Sensible aux désordres mentaux et environnementaux propulsés par la surconsommation, Jonah canalise ce qu’il ressent pour donner un sens à sa musique. «C’est depressing de voir autant de gens malheureux, pris dans cette spirale, mais en même temps, je ne veux pas être preachy, je ne veux pas avoir une toune qui est “Hey, arrête de consommer du stuff, you are an idiot”. J’essaie plutôt de faire réfléchir les gens sur ces sujets dans mes chansons, sans qu’ils s’en rendent vraiment compte.»

P’tit Belliveau est donc un projet sérieux, tiré par l’humour, son cheval de Troie pour aborder les thèmes qui lui sont chers: le travail, le respect de la nature, sa Nouvelle-Écosse acadienne, la famille, le retour aux sources et aux plaisirs simples, tels que les kitchen parties entre ami·e·s qui font oublier pendant un moment que Netflix existe.

En fin de journée, Jonah reçoit la visite de «Grand-P.», son autre grand-père. Ensemble, ils discutent de l’aménagement du terrain et des rénovations. Au même moment, un ami débarque chez lui. Il vient passer le weekend au studio pour travailler à son premier album, avec l’aide de Jonah.

Le voyant occupé, je le laisse à ses invités et à leurs discussions de travaux musicaux et manuels. Je retourne «watcher les bateaux dans la baie», avant que la nuit ne tombe sur la mer. Cette baie que Jonah a quittée pour mieux se faire connaitre comme musicien et vers laquelle il est revenu pour se rapprocher du mode de vie «juste un peu remixé» de son grand-père.

Catherine Bernier est rédactrice, photographe indépendante ainsi que cofondatrice et directrice de création de The Parcelles, un studio photographique en pleine nature et un logis de bord de mer destiné à accueillir des artistes en résidence. Qu’elle se trouve en Gaspésie, dans son village natal de Sainte-Flavie, ou en Nouvelle-Écosse, sa province d’adoption, elle cultive un lien privilégié avec l’océan et les territoires sauvages.

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