Dans la lentille de Ana Paula Alvarez

Sur la famille, l'art de la photographie et les paysages qui résonnent en nous.

Photos — Ana Paula Alvarez

Ana Paula Alvarez a étudié la photographie à Mexico. Elle a travaillé dans des agences de pub pendant quelques années avant de finalement devenir photographe indépendante à temps plein. Elle prend surtout des clichés de paysages — ceux qu’elle voit défiler lors de ses séjours en voilier l’inspirent particulièrement. Dans sa famille, la tradition de la voile a commencé au début des années 70, avec ses grands-parents qui ont parcouru le sud de la côte Pacifique du Mexique.

Son père l’a initiée, enfant, à l’art et aux techniques de la photo. Au fil du temps et de l’expérience, toutefois, elle s’est tournée vers la photographie artistique-documentaire, une technique narrative qui met en évidence les croisements esthétiques, sociaux et émotionnels entre les humains et la nature.

En 2019, Ana Paula a obtenu sa certification de professeure de yoga à Bali, en Indonésie. Depuis, elle associe ses deux passions — yoga et photo — à sa quête d’équilibre et de concentration.

 

D’où est né ton intérêt pour la photo?

J’ai commencé à m’y intéresser quand j’ai découvert l’énorme stock d’albums photo et de vidéos amateurs de mes parents. J’avais l’impression d’avoir trouvé de l’or! C’est cette possibilité de revivre le passé de ma famille sur papier et sur pellicule qui a été l’étincelle. Mon père trainait son appareil photo partout. Il avait classé ses diapositives dans des boites de rangement soigneusement étiquetées avec le nom de l’événement et la date. Je me rappelle être restée debout très tard pour les regarder, fascinée de voir à quel point mes parents étaient débordants de vie. Ils avaient entrepris toutes sortes d’aventures, navigué sur le Pacifique… Constamment en mouvement et en contact avec la nature.

Cela m’a fait prendre conscience du fait que la photo peut être un bon moyen de communiquer et d’inspirer d’autres personnes. Je leur serai éternellement reconnaissante de m’avoir fait ce cadeau ; ces images ont considérablement influencé mes choix de vie et forgé celle que je suis aujourd’hui.

Qu’est-ce que tu aimes le plus du Mexique?

J’ai toujours de la difficulté à répondre à cette question : le Mexique est un pays tellement complexe et diversifié ! Tout dépend du moment, de même que du lieu où l’on se trouve. Mon pays peut être très accueillant et chaleureux, mais il peut aussi vous faire la vie dure (je pense surtout à la ville de Mexico). Comme beaucoup d’autres, il a ses dualités extrêmes. Du reste, je sais que ses habitants ont un très grand cœur, qu’ils veillent les uns sur les autres et qu’ils cherchent constamment à améliorer ce qui doit l’être.

Les richesses de la faune et de la flore m’ont enseigné l’ouverture d’esprit. Elles m’ont permis de comprendre le fonctionnement de la nature et le fait qu’il y a une raison pour tout.

Quand je voyage, quelle que soit ma destination, je me dis toujours que j’ai beaucoup de chance d’être Mexicaine et d’avoir grandi dans un pays qui me permet de faire ce que j’aime dans la vie.

Y a-t-il un voyage ou un lieu qui t’a particulièrement marquée ?

J’ai eu la chance de visiter l’Islande en 2016. C’est le genre d’endroit que je suis incapable de décrire avec des mots : tout y est extrêmement visuel et introspectif.

À mon arrivée à l’aéroport, j’ai vu une phrase de Björk écrite quelque part: «I feel emotional landscapes, they puzzle me.» Ça m’est resté dans la tête tout au long du voyage, jusqu’à ce que je finisse par comprendre ce qu’elle voulait dire. Les paysages islandais sont si exceptionnels et si puissants qu’ils nous touchent intimement ; ils se développent à l’intérieur de nous.

Ce voyage est resté profondément ancré en moi parce qu’un gros tremblement de terre a frappé le centre du Mexique pendant mon séjour là-bas. Il y a eu de nombreux morts et blessés; des gens sont restés coincés sous les bâtiments qui se sont effondrés. Quand j’ai vu la nouvelle en ligne, je venais tout juste de vivre un moment très intense en traversant une chute d’eau. Je sentais que j’avais de la chance d’être vivante à ce moment et à cet endroit précis, et ce sentiment a teinté l’ensemble de mon voyage. J’ai vécu toutes sortes d’émotions dans les journées qui ont suivi.

Que cherches-tu à capter chez les sujets que tu choisis?

Je recherche la beauté des choses à l’état naturel; je suis fascinée par le caractère brut et authentique de la vie. Je ne me sens pas à l’aise de changer [trop d’éléments] pour améliorer l’esthétique des sujets sur lesquels je tombe. Bien sûr, j’aime la fiction et je veux pouvoir explorer d’autres perceptions de la réalité, mais je pense aussi qu’il doit toujours y avoir des fondements derrière l’histoire que l’on raconte.

J’adore observer les gens en action, en train de faire ce qu’ils aiment, en particulier s’ils sont dans un environnement naturel. J’aime, par exemple, observer les marins quand ils sont en mer, qu’ils ajustent les voiles, manipulent les cordages, cuisinent dans la cabine en bougeant au même rythme que les vagues ou dorment dans de minuscules espaces. Ce sont ces détails, ces difficultés auxquelles l’humain se heurte pour survivre dans la nature et atteindre son « but » qui m’interpellent.

La nature rapproche les gens : elle crée des équipages solides, dont les membres doivent veiller les uns sur les autres et travailler ensemble pour réussir.

Dans ces aventures, l’univers nous parle. J’essaie de saisir ses messages d’une façon plus abstraite (la lumière qui danse sur la surface de l’océan, par exemple). Le but n’est pas seulement de représenter une action ou un sujet, mais aussi de montrer à quel point celle-ci ou celui-ci est influencé.e par tout ce qui l’entoure, comme la saison et le moment de la journée. Je peux voir les histoires prendre vie quand j’y parviens, et je constate à quel point ça ajoute aux choses une sorte de mystère.

Cette quête du côté introspectif de la photo, des messages cachés, je l’ai notamment associée à ma pratique du yoga. Elle m’a aidée à me connaitre moi-même, de l’intérieur et de l’extérieur, et cette connaissance continue de définir mon intention en tant que photographe.

Quel rôle peuvent jouer les médias sociaux dans la conservation des milieux sauvages?

Les médias sociaux ont assurément révolutionné le sens du verbe partager. Les images s’inscrivent parfaitement dans cette équation, car elles permettent d’élargir les perspectives de nombreuses personnes qui ont encore besoin de « voir pour croire ». Les mots sont puissants, mais les images restent un moyen plus concret de montrer la vérité. Elles contribuent à sensibiliser le monde à de multiples problèmes. L’important, c’est que le contenu communique des faits.

On peut cependant remettre en question cette tendance moderne dans un contexte où il est facile d’altérer la réalité — en ayant recours à des logiciels de montage et de traitement d’images, par exemple, ou en créant de faux scénarios et de fausses situations. Cela peut générer une grande confusion, créer un effet domino et entrainer la surfréquentation de certains lieux sacrés, surtout lorsque des influenceurs en révèlent l’emplacement. Le tourisme finit ainsi par se développer là où il ne devrait pas.

Je pense qu’on doit simplement faire attention à ce qu’on veut dire et à la façon dont on le dit, et qu’on doit toujours dire la vérité.

Es-tu impliquée dans une cause ou une initiative sociale dont tu aimerais nous parler ?

Je donne chaque mois à Proyecto Habesha, une organisation humanitaire mexicaine qui vient en aide aux élèves syriens dont les études ont été interrompues par les conflits politiques. L’objectif est de les faire venir au Mexique pour leur offrir la possibilité de terminer leur éducation. Le programme est aussi conçu de façon à les préparer à retourner dans leur pays le moment venu, afin de contribuer à bâtir l’avenir. La crise en Syrie préoccupe beaucoup de monde, d’autant plus que nous ne savons pas quoi faire ni où concentrer nos efforts. J’ai découvert cette initiative grâce à un ami et j’ai tout de suite commencé à donner, parce que je considère que c’est un moyen direct et sécuritaire d’aider.

 

Nomme trois comptes Instagram qui t’inspirent.

Les photos aériennes de Tom Hegen: @tomhegens.de / J’aime la capacité de Tom à représenter le mouvement, la couleur et la texture. Cela donne beaucoup de personnalité à ses images. En montrant la Terre vue du ciel, celles-ci élargissent clairement la perception que nous en avons.

Chiara Zonca: @shadowonfilm / Les clichés de Chiara me laissent sans mots. Elle a une façon très magique de représenter la nature. C’est un véritable plaisir visuel.

Antonio Gallardo: @quetaladro / Antonio est un ami qui a fait des voyages à vélo dans toutes sortes d’endroits incroyables. Il photographie les gens, la nature et les histoires qu’il rencontre sur son chemin. Ce sont des images comme les siennes qui me motivent. La photo peut nous amener aussi loin qu’on le souhaite.

 

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Où trouver Ana Paula

@anapaula__a / anapaulaalvarez.com

 

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