Dans la lentille de Ben Zank

Le photographe établi à New York nous explique comment il injecte énergie et mouvement à ses clichés.

Entrevue—Mark Mann

Photos—Ben Zank

Les photos de Ben Zank évoquent une forme étrange d’ambigüité. Si elles donnent l’impression d’avoir été prises sur le vif, chacune d’entre elles est aussi un gag visuel soigneusement mis en scène.

C’est cette spontanéité calculée qui a convaincu l’équipe de BESIDE de publier l’une de ses photos en couverture du dernier numéro du magazine. Pour représenter le vaste thème du mouvement, nous cherchions des images capables d’en traduire les multiples dimensions: de la résistance à l’abandon, en passant par l’immobilité qui existe entre les deux. Justement, Ben Zank excelle lorsqu’il s’agit de révéler comment l’action et le lâcher-prise peuvent coexister dans un même instant.

Notre rédacteur en chef adjoint a discuté avec lui au printemps dernier pour en savoir plus sur sa démarche.

Mark Mann: Parlez-moi de la photo que nous avons sélectionnée pour la couverture de notre dernier numéro, celle qui représente une femme sur un toboggan.

Ben Zank: C’est une vieille photo — l’une de mes plus vieilles, en fait —, mais elle est toujours aussi forte après toutes ces années. Au départ, je ne pensais pas qu’elle serait bien reçue; à l’époque où je l’ai prise, je me sentais déprimé et je n’étais pas particulièrement inspiré.

Mais les étoiles se sont alignées. Une amie était venue me voir et on avait passé la journée à prendre des photos — des portraits, surtout. Elle portait un chemisier jaune. Quand j’ai vu le toboggan, j’ai simplement suggéré qu’elle y monte.

C’est une image ludique qui produit une vive impression chez la personne qui la regarde. Chacun·e peut l’interpréter à sa manière: est-ce que la femme monte sur le toboggan ou en descend ? J’aime penser qu’elle descend — enfin, si descendre veut vraiment dire aller vers le bas.

Qu’est-ce que le lancer de galets, les courses de pigeons et la vanlife ont en commun?

Ce sont différentes manifestations du mouvement, qui ont toutes d’étonnantes choses à nous apprendre. Pour en savoir plus, lisez le dernier numéro de BESIDE.

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MM: Je m’intéresse à l’atmosphère que vous cherchez à créer dans vos photos. Vous avez déjà dit que votre processus de réflexion était très impulsif et qu’il vous empêchait généralement de trop penser à une image avant de passer à l’action. Comment parvenez-vous à créer des situations dans lesquelles vous pouvez suivre vos élans créatifs?

BZ: Je pense que ce genre d’impulsivité vient d’abord du fait que j’ai grandi avec un TDAH et que ça a toujours fait partie de ma vie. Il faut aussi savoir que j’ai été élevé à New York; j’ai pris l’habitude d’utiliser l’environnement urbain comme studio. Or, on n’a pas beaucoup de contrôle sur ce qu’on voit dans la ville. Les espaces qu’on peut utiliser sont relativement limités.

La spontanéité nait quand je dois m’adapter à ce que j’ai sous les yeux. C’est quelque chose que je fais depuis très longtemps. J’ai découvert que les images sur lesquelles j’ai beaucoup de contrôle ne sont pas aussi intéressantes que celles que je prends dans la rue — une situation où je n’ai pas la possibilité de trop développer une idée. C’est de cette façon, je crois, que j’arrive à des choses qui semblent uniques et nouvelles. C’est un lancer de dés.

MM: Considérez-vous votre approche spontanée comme une manière de vous adapter à votre TDAH?

BZ: Absolument. Je n’ai pas de formation en photo et je n’ai pas fait d’études pour être photographe. J’ai travaillé fort pour essayer d’apprendre des trucs précis sur la technique.

Mais quand on crée, on rencontre constamment des obstacles, des problèmes qu’il faut résoudre. C’est parfois lié à la lumière, aux limites du corps ou encore aux vêtements. Il faut alors s’arrêter et trouver un autre chemin.

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Au lieu d’essayer à tout prix de recréer mon idée initiale, je laisse les obstacles là où ils sont et j’essaie de faire quelque chose de différent. Et ça me convient, parce que j’ai l’habitude de ne pas obtenir le résultat que j’avais en tête au départ. Je prends ce que je peux et je me débrouille avec ça.

MM: Vos photos témoignent de la tension qui existe entre les sujets humains et les environnements naturels dans lesquels ils se trouvent. Que cherchez-vous à exprimer?

BZ: Quand je suis en ville, j’ai envie d’être dans la nature. Et quand je suis dans la nature — quand je vais passer une semaine dans le nord de l’État de New York, par exemple —, j’ai hâte de retourner en ville. Je ne suis donc jamais totalement comblé. Sur le plan créatif, toutefois, il y a un moment où je me sens satisfait et où j’ai envie de mettre en pratique les choses auxquelles j’ai réfléchi.

Quand je prends des photos en nature, j’essaie de faire en sorte que les choses soient un peu plus ordonnées. Tout n’est pas parfait, mais je peux arriver à mettre en valeur le sujet humain et à rendre l’image plus intéressante.

Quand je prends des photos en ville, les choses semblent plus ordonnées; je recherche donc le désordre. Ça peut être un nid-de-poule ou un tas de rebuts, par exemple. Alors que dans la nature, les choses sont intrinsèquement à leur place; c’est l’ordre qu’on rajoute qui crée le désordre.

MM: Les sujets qui figurent sur vos photos se confondent avec leur environnement. Notre regard glisse sur eux. Soit on ne voit pas leur visage, soit leurs yeux sont fermés. Pourquoi?

BZ: Encore une fois, je suis influencé par ce que je vis au quotidien. J’ai toujours aimé observer les gens. À New York, surtout, j’observe toutes les personnes que je croise. Et je pense que c’est comme ça pour tout le monde. De façon générale, quand on regarde une photo ou une peinture et qu’il y a des visages, on est automatiquement attiré·e vers ceux-ci. C’est ce qu’on voit en premier. Ça devient le point central.

Quand on fait disparaitre le visage, on fait aussi disparaitre une bonne partie des préjugés. Pour un photographe qui, comme moi, ne cherche pas à raconter une histoire précise au sujet d’une personne en particulier, gommer le visage peut être un moyen d’encourager la personne qui regarde à voir l’image dans son ensemble.

MM: L’une des choses que j’aime de vos photos, c’est la démarche qu’il y a derrière. Vos images, bien que statiques, ne sont pas reposantes. On sent qu’il y a eu beaucoup de mouvement en amont. D’où vient l’énergie qui s’en dégage, selon vous?

BZ: J’essaie par tous les moyens possibles d’insuffler de la vie dans mes clichés. Je pense que c’est parce que je suis quelqu’un dont l’intérêt s’épuise vite. Je veux que le public regarde l’image et qu’il soit immédiatement attiré par le sujet, mais je veux aussi qu’il ressente une certaine confusion. Je veux que l’attention ne se porte pas sur un seul élément.

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