Dans la lentille
Un pionnier de la photographie de paysages redécouvert
Alexander Henderson a été l’un des plus grands photographes de paysages du 19e siècle, mais la majeure partie de son œuvre est tombée dans l’oubli. Une exposition présentée à Montréal souhaite faire connaitre son héritage.
Texte—Saelan Twerdy
Photos—Alexander Henderson
En partenariat avec
En 1855, un jeune homme issu de la petite bourgeoisie écossaise, Alexander Henderson (1831-1913), s’installe à Montréal. Il entreprend alors une vie d’aventures et s’intéresse notamment à la chasse, au plein air et, surtout, à la photographie.
Henderson s’y met d’ailleurs peu de temps après son arrivée au Canada. C’est vraisemblablement auprès de William Notman — un expatrié écossais, tout comme lui, et premier photographe canadien à acquérir une notoriété mondiale — qu’il en apprend les rudiments. Rapidement, Henderson développe une vision artistique bien à lui. Vers la fin des années 1860, il jouit d’une renommée tant au pays qu’à l’étranger.
Notman est un homme d’affaires accompli qui exploite un prospère studio de photographie de portraits. Ses photographies de scènes de rue, de trains à vapeur et de paysages sauvages glorifient l’expansion commerciale des colonies. En revanche, Henderson crée des œuvres plus lyriques, qui révèlent une sensibilité romantique à l’égard du caractère pittoresque et de la splendeur des paysages canadiens.

Les photographies d’Henderson débordent d’émotions. Elles dégagent une atmosphère particulière, crépusculaire. Elles respirent à la fois la sérénité et la puissance.
Bien que son œuvre ait été complètement négligée et restée dans l’oubli pendant la majeure partie du siècle dernier, ses photographies méritent, en rétrospective, qu’on les élève au rang des plus grandes productions artistiques ayant été réalisées dans les débuts de la photographie de paysages. Aujourd’hui, une vaste exposition intitulée Alexander Henderson — Art et nature, présentée au Musée McCord Stewart, à Montréal, braque les projecteurs sur cet artiste précurseur.
Une passion pour la nature
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Si Henderson immortalise des scènes urbaines et commerciales, il se passionne avant tout pour la nature et les activités traditionnelles, comme la coupe de la glace, les sports d’hiver, la production de sirop d’érable, la foresterie, la chasse et la pêche. Ses œuvres dévoilent des paysages époustouflants du fjord du Saguenay, des voyages en canot sur les rivières des Laurentides, des camps de pêche autochtones et sa véritable fascination pour la splendeur sauvage des hivers canadiens.
Ses compositions soignées — qui souvent proposent un imposant panorama sans artifice mettant en scène des silhouettes solitaires ou de petits groupes de gens — sont empreintes de son admiration pour la majesté de la nature, une approche qui fait écho au courant en peinture de paysages de l’époque.
Les clichés poétiques, presque sensuels de la neige et de la formation de glace aux chutes du Niagara — des images qui frôlent l’abstraction — reflètent la réaction intime et personnelle d’Henderson à l’environnement.
Ses images d’embâcles sur le fleuve Saint-Laurent et celles de ces gens qui glissent en toboggan sur les gigantesques bancs de neige tout près de la chute Montmorency témoignent également de sa débrouillardise en plein air. Henderson surmontait aisément les difficultés associées au travail dans la nature et à la conservation de l’équipement photographique par temps glacial et en région éloignée.

Un héritage perdu
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L’ensemble de l’œuvre d’Henderson marque une époque importante dans l’histoire de la photographie de paysages. L’adoption de la photographie à un moment où celle-ci n’en était qu’à ses débuts de même que ses innovations techniques — notamment ses méthodes uniques qui lui permettent de combiner plusieurs négatifs en un seul tirage — confirment que l’artiste est bel et bien un pionnier de cette forme d’art.
Pourtant, jusqu’à tout récemment, le public connaissait bien peu de choses de son œuvre. Malgré sa brillante et prolifique carrière, les prix reçus lors d’expositions internationales et sa place dans la communauté artistique de Montréal, Henderson abandonne la photographie dans les dernières années de sa vie.
Sa nécrologie, publiée en 1913, ne fait même pas mention de sa carrière de photographe. Après son décès, sa famille ne se soucie guère de l’œuvre qu’il a laissée derrière lui, et pratiquement tous ses négatifs sur verre seront finalement jetés.

L’histoire coloniale vue autrement
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Le Musée McCord Stewart de Montréal a entrepris de corriger ce manquement en mettant sur pied une rétrospective d’envergure consacrée à l’œuvre d’Henderson, sous le commissariat d’Hélène Samson. L’exposition est en cours depuis le mois de juin et se terminera en avril 2023. Grâce au conservateur Stanley Triggs, le Musée McCord Stewart détient, depuis la fin des années 1960, la plupart des œuvres d’Henderson ayant subsisté.
L’exposition compte 250 tirages originaux et reproductions de photographies, ainsi que des documents et des albums photos tirés des archives familiales du photographe. La majorité de ces œuvres n’avait jamais été présentée auparavant.
Henderson fait son entrée en scène après être resté longtemps dans l’ombre. Cette rétrospective est donc l’occasion unique d’écrire au présent l’histoire d’un personnage marquant du passé. Et cette histoire est particulièrement intéressante compte tenu des lunettes de colonialiste avec lesquelles Henderson a inévitablement dépeint le monde.
Quand on le qualifie de «pionnier», cette association aux termes «colonisateur», «colonial» est tout à fait appropriée. On peut être abasourdi par ses images et, à la fois, poser un regard critique sur le contexte historique.
De toute évidence, l’œuvre du photographe a été façonnée par l’esprit prédominant de l’empire, qui bat son plein lorsqu’il arrive au Canada. En effet, les paysages et la faune d’ici sont alors abondamment décrits, surtout au Royaume-Uni, comme étant le paradis de la chasse et de la pêche.
Pourtant, Henderson n’est pas un touriste. Il a manifestement le désir de s’établir au Québec. Et même s’il s’éloigne des scènes urbaines pour se consacrer à la nature, son œuvre semble moins ancrée dans le mythe de la terra nullius (territoire vide, inhabité, que les peuples colonisateurs sont libres d’exploiter) que les tableaux de paysages peints par nombre de ses contemporain·e·s.
En effet, l’intérêt de l’artiste pour les modes de vie traditionnels et l’ajout fréquent de silhouettes humaines dans ses œuvres montrent le Canada comme un territoire habité depuis longtemps.

Cela dit, rien n’indique que le point de vue d’Henderson sur l’impérialisme britannique diffère des opinions conservatrices qui prévalent au sein de la classe sociale à laquelle il appartient. Il est curieux de la culture autochtone, mais ne s’intéresse pas vraiment au sort des Canadien·ne·s français·es. Aussi représente-t-il toutes ces populations au regard de l’appropriation et les assimile à une seule identité canadienne, dominée par les dirigeants britanniques.
Tout de même, les réalisations artistiques d’Henderson offrent un regard fort intéressant sur le passé du Canada, notamment sur l’environnement physique et ses habitant·e·s, ainsi que sur la mythologie visuelle à travers laquelle le passé s’est construit, ou ce que la conservatrice Hélène Samson appelle «les traces d’un rêve impérialiste».
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Présentée au Musée McCord Stewart, l’exposition Alexander Henderson – Art et nature vous invite à contempler les paysages naturels et les scènes urbaines du 19e siècle.
Ébloui par la majesté d’une nature à l’état pur, Henderson deviendra l’un des premiers photographes de paysages au pays. Découvrez son étonnant parcours, depuis ses excursions autour de Montréal et dans les régions du Québec, notamment l’Outaouais, la Gaspésie, la Côte-Nord et dans le majestueux fjord du Saguenay, jusque dans l’Ouest canadien.
Le Musée McCord Stewart célèbre la vie à Montréal, d’hier et d’aujourd’hui: son histoire, ses gens, son peuple, ses communautés.
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Saelan Twerdy est un auteur, rédacteur et agent culturel établi à Tiohtià :ke/Montréal. Il est également directeur de RACAR, la revue officielle de l’Association d’art des universités du Canada. Saelan a publié notamment sur CBC Arts, Momus, C Magazine, dans le magazine Esse, sur Canadian Art, dans Border Crossings et BlackFlash.
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