Consommer notre café en toute conscience

Sébastien Blondeau, créateur du balado Café Normal, nous invite à voir plus loin que la tasse de réconfort.

Texte—Sébastien Blondeau
Photos—Elise Arsenault

Au-delà du réflexe matinal, combien sommes-nous à prendre le temps de réfléchir aux grains de café que nous consommons — à leur provenance, à leurs conditions de production — et à la manière dont nous les consommons?

C’est vrai, un récent engouement pour le café nous amène à nous intéresser à son industrie. Et celle-ci, de plus en plus florissante, alimente en retour notre curiosité. On lui consacre des colonnes dans les journaux populaires et des billets sur les blogues de lifestyle. Dommage, cela dit, qu’on se contente souvent de l’aborder en surface, pour souligner une fois de plus son pouvoir réconfortant ou pour célébrer les différents prix qu’on lui accorde.

C’est la raison pour laquelle j’ai senti le besoin de lancer Café Normal: un balado francophone dans le cadre duquel je rencontre des passionné·e·s du domaine. D’un côté, ça permet au public d’accéder aux coulisses d’une scène en pleine effervescence. De l’autre, ça met à sa disposition — du moins j’ose l’espérer — une source d’information accessible et rigoureuse. Café Normal n’est d’ailleurs pas le seul à creuser ce sillon: il existe d’autres publications, blogues et balados qui poursuivent la même mission éducative.

Parce que le paradoxe est bien clair: le café occupe une place fondamentale dans notre quotidien, mais nous le connaissons peu.

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Mieux le comprendre
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Le café est le fruit (habituellement de couleur rouge) du caféier, un arbuste aux variétés multiples qu’on estime originaire de l’Éthiopie. Dans un contexte colonialiste, il s’est répandu un peu partout sur le globe — ce qui fait qu’aujourd’hui, ses conditions de production et son impact socioéconomique diffèrent d’un pays à l’autre, même si ses enjeux sont similaires.

Pour bien se développer, le caféier a besoin de pousser au chaud et en altitude autant que possible. Au cours de la saison sèche, ses fruits murissent. Des cueilleur·se·s s’affairent alors pendant plusieurs semaines à les sélectionner un à un, avant de les apporter aux stations de lavage, où ils seront triés à nouveau. Un vrai travail de moine — mais disons un moine avec une étonnante endurance physique, considérant la chaleur souvent écrasante et les pentes escarpées sur lesquelles les caféiers sont entassés.

S’ensuit alors la transformation, une série d’étapes faisant appel à différents procédés. Parmi les plus courants: le «procédé lavé», où l’on dégarnit et nettoie les grains dans l’eau avant de les faire sécher, et le «procédé naturel», où l’on sèche d’abord et dépulpe ensuite. Ce qu’on veut, en fin de compte, c’est un grain sec, solide et verdâtre. 

Dans le café comme dans le vin, on retrouve une flopée de composés chimiques, hérités de ses conditions de culture, notamment. Les proportions et les combinaisons possibles sont innombrables, et ce sont elles qui déterminent les arômes perçus dans chaque tasse. On découvre ces derniers lors de la torréfaction, en transformant les grains au contact de la chaleur. L’objectif de cette étape cruciale est de mettre en lumière le travail minutieux préalablement exécuté dans le pays d’origine, sans camoufler ses spécificités avec un gout de «grillé».

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C’est quoi…

… les arômes?
Ce sont les odeurs perçues quand l’eau extrait (ou a extrait) le café. Les arômes peuvent être floraux, sucrés, épicés, herbacés, fruités, etc.

… un café de spécialité?
La Specialty Coffee Association a créé un système de pointage sur 100, permettant d’évaluer la valeur gustative d’un café selon des critères définis. Les cafés obtenant une note supérieure à 79 sont considérés comme étant «de spécialité». Le terme réfère aussi à l’industrie qui en fait la vente et la promotion.

… un espresso?
C’est tout café extrait par pression.

… un procédé de transformation?
C’est la méthode de séchage nécessaire à la conservation du café fraichement récolté. Le type de procédé (lavé, miel, naturel, etc.) aura une influence sur le gout dans la tasse.

… la quatrième vague?
C’est un mythe! Il existe vraiment trois vagues, ou tendances, dans le monde du café: la première fait référence à la consommation de masse, dans les années 60; la seconde, qui a déferlé dans les années 80, a vu naitre un souci pour le gout des grains; et la troisième, dans les années 2000, réfère à un intérêt accru pour l’origine du café, les personnes qui le cultivent, le commerce direct — grâce notamment au travail de George Howell, dont on dit qu’il serait le père de la troisième vague.

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Bien le préparer
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On parle, on parle, mais on n’a rien gouté encore! Malgré toute l’attention apportée jusqu’ici à chaque détail, on doit extraire le café pour le boire. Et bien qu’on puisse être tenté de croire que la machine à espresso est l’ultime outil à notre disposition, il s’agit surement de la méthode la plus difficile à maitriser, la plus couteuse et la plus énergivore de toutes.

En contrepartie, les méthodes douces comme la French Press, l’AeroPress ou le pour-over sont très abordables, simples à maitriser, et leurs concoctions révèlent souvent des subtilités plus faciles à percevoir pour un palais curieux.

Le grand négligé dans l’histoire, c’est le moulin; et celui qui fait sourciller le commun des mortels, c’est la balance. Parce qu’en réalité, les deux facteurs qui se contrôlent le plus aisément et dont l’effet est le plus flagrant sont la mouture des grains et la proportion café-eau.

C’est impératif: pour rendre justice au labeur accompli en amont et mieux gouter les particularités d’un grain, on doit en moudre une dose précise en fonction du type d’infusion choisi.

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Pour y arriver, on s’équipe d’un bon moulin — c’est-à-dire un moulin qui possède des meules, et non des lames — et d’une balance, pour bien mesurer les quantités de café et d’eau.

C’est une démarche plus lente, plus attentionnée. Un pas vers une expérience consciente, où on ne fait pas que déguster un bon café: on s’intéresse aussi à lui.

Le boire responsablement
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Si, en plus d’avoir une meilleure expérience gustative, on a aussi l’impression d’avoir fait un achat intelligent, la fameuse tasse de réconfort s’avère d’autant plus salutaire!

De plus en plus, on encourage les entreprises alimentaires à faire preuve de transparence et à fournir la traçabilité de leurs produits. Ça nous permet, en tant que consommateur·rice·s, d’effectuer des choix éclairés et d’investir dans un type d’agriculture qu’on aimerait voir prospérer.

On peut également chercher les sceaux de certifications équitables, biologiques, etc. Mais le monde du café est complexe, et ce genre de distinction n’est pas toujours le guide le plus judicieux.

En effet, considérant la situation précaire de plusieurs fermier·ère·s, leur demander de s’adapter aux restrictions d’une certification tout en en payant les frais d’adhésion peut sembler ridicule. Certaines années, il suffit d’un imprévu ou d’une récolte moins fructueuse pour que leurs couts de production dépassent leurs revenus.

En fin de compte, les certifications servent surtout aux grandes entreprises ou à certains regroupements qui bénéficient d’une structure plus stable. On peut tout de même s’en réjouir: ces grosses compagnies certifiées doivent ainsi assurer un salaire prévisible aux cueilleur·euse·s et aux fermier·ère·s, et respecter une certaine ligne éthique.

De leur côté, la plupart des caféiculteur·rice·s indépendant·e·s devront plutôt miser sur la confiance de leur clientèle. Plutôt que d’acheter une certification, ils et elles bâtissent des relations d’affaires plus humaines. Et c’est à ce moment-là que le rôle de la communauté — et de la transparence — prend tout son sens.

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Connecter avec une communauté
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Informez-vous! La torréfaction locale a aujourd’hui de multiples visages — des personnes dont la passion est contagieuse. Elles ont tout intérêt à partager leur monde avec vous et à faire tomber les barrières possiblement intimidantes de l’industrie du café.

Des questions clés à poser:

  • D’où provient ce café?
  • Qui le cultive, qui le transforme?
  • Où va l’argent, exactement?
  • Pourquoi ce café-ci coute-t-il plus cher que celui-là?

Non seulement les cafés ayant connu des soins attentionnés se révèlent généralement plus agréables au gout (quand ils ne sont pas carrément exceptionnels), mais ils contribuent aussi, dans plusieurs cas, à une répartition plus juste des revenus.

Il y a là un genre d’effet domino, une rigueur éthique qui peut profiter à toute une communauté.

Les inégalités sociales se creusent, les défis climatiques touchent particulièrement le sort des agriculteur·rice·s du monde entier et pourtant, l’engouement pour le café ne cesse de grandir. Et si tout était connecté et qu’on pouvait tourner ça à leur avantage?

Sébastien Blondeau a occupé différents postes dans l’industrie du café à Montréal. En 2019, il a décidé de mettre sa curiosité au profit du balado Café Normal. Le projet l’amène à voyager, à rencontrer plusieurs acteurs et actrices de la scène du café, et à partager ses découvertes dans un format simple et accessible.

 

Elise Arsenault a passé les dix dernières années de sa vie à étudier et à travailler dans le domaine du design. À l’aube du lancement du balado Café Normal, elle a proposé à Sébastien de lui prêter main-forte en prenant en charge l’aspect visuel du projet.

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