Tout va bien au parc Anacostia

En pleine pandémie, l’esprit de communauté demeure bien vivant dans un des espaces publics essentiels de la capitale américaine.

Texte & photos—Tom Sandner

C’était un après-midi d’aout comme on en voit souvent à Washington.: une journée ensoleillée, chaude et humide où la température ambiante devait atteindre les 32 °C. Au printemps, j’avais quitté le Colorado pour venir m’installer dans le District de Columbia avec ma femme, et c’était notre première visite au parc Anacostia ce jour-là. Le confinement dans notre appartement durant la pandémie m’avait fait oublier à quel point la chaleur pouvait être accablante un après-midi d’été dans les États du centre du littoral de l’Atlantique. Mais ça ne m’a pas empêché de parcourir le sentier longeant la rivière Anacostia, bordée par de grandes plaines verdoyantes. J’observais les herbes hautes se balancer doucement au gré du vent en tentant d’identifier le plus d’oiseaux possible; je peux dire avec certitude que j’ai vu des canards, des oies, et — je crois — un héron.

À l’aube, des bernaches prennent leur envol au-dessus du parc.

La rivière s’écoule du comté du Prince George, au Maryland, jusqu’à Washington, où elle se jette dans le fleuve Potomac. C’est au 20e siècle que le parc a été aménagé.

Le Service des parcs nationaux est responsable du parc depuis 1933. S’étendant sur 1 200 acres, le parc Anacostia est l’une des plus grandes zones récréatives de la capitale américaine.

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Une perspective du parc Anacostia depuis le pont John Philip Sousa, qui relie l’avenue Pennsylvania d’une rive à l’autre.

 

J’étais allé au parc parce que j’avais l’intention de passer l’été à prendre des photos dans la ville pour apprendre à connaitre la communauté. En pleine crise sanitaire, j’étais plus à l’aise de rencontrer les gens à l’extérieur (et avec un couvre-visage, bien sûr).

Lors de ma première visite, j’ai remarqué un joggeur plutôt âgé, qui s’arrêtait souvent en bordure du sentier pour boxer dans le vide. Comme je voyais que son entrainement tirait à sa fin, je me suis approché de lui pour me présenter. Il s’appelait Vince, et il m’a dit avec une certaine fierté qu’il avait 70 ans. C’était inspirant de voir à quel point il endurait bien la chaleur suffocante. Pour ma part, incapable de supporter cette température plus longtemps, je me suis réfugié dans ma voiture à l’air climatisé peu après. Je me suis promis de retourner au parc, mais tôt le matin. En fin de compte, je suis allé y marcher plusieurs journées par semaine le reste de l’été.

Le mot Anacostia vient de la langue des Nacotchtanks, le premier peuple autochtone connu de la région. À la fin du 17e siècle, les colons européens avaient chassé la plupart des Nacotchtanks de leurs terres, laissant ainsi la place à de nombreuses plantations et au travail d’esclaves. Après la guerre de Sécession, un programme cruel de ségrégation a divisé la communauté entre Noirs et Blancs. Dans les années 1950, à Washington, comme dans bien des villes américaines à la même époque, les Blancs ont quitté les centres urbains au profit de la banlieue en réaction au phénomène d’intégration. Aujourd’hui, le quartier longeant la rive est de la rivière Anacostia est habité principalement par la communauté noire.

Danzell et Tara profitent du coucher de soleil à leur endroit favori du parc.
Tommie, 54 ans: «Les gens qui viennent s’entrainer chaque jour et qui se croisent n’ont pas peur d’établir un contact visuel et de se saluer.»
La lumière du matin frappe le pont ferroviaire Anacostia, qui traverse la rivière à l’extrémité nord du parc.

J’ai passé un bon nombre de matins dans le parc à attendre que le soleil se lève bien haut dans le ciel et baigne la rivière de sa lumière. Puis, après quelque temps, un thème commun a commencé à se dégager de mes rencontres. Plusieurs personnes à qui j’ai parlé ont évoqué le très fort sentiment d’appartenance à la communauté qu’elles éprouvaient en venant au parc. «C’est ici qu’on peut rencontrer ses voisins et le beau groupe de Ward 8», me dit Shelena Harris, une fière résidente. L’ouverture et l’amabilité dont elle fait preuve ne sont pas une exception ici, puisque j’ai retrouvé les mêmes qualités chez bien d’autres habitué·e·s du parc.

Keisha: «Le parc me permet de rester près de mes racines. J’ai grandi à deux pas d’ici, et je viens au parc depuis que je suis toute petite.»
Tammy fait sa promenade matinale avant de retourner enseigner à ses élèves.

Souvent, des inconnu·e·s que je croisais le long de la rivière me saluaient de la main ou me souriaient. L’esprit de communauté qui régnait au parc était d’une sincérité et d’une générosité peu communes.

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Un matin, vers la fin de l’été, j’ai finalement décidé d’aborder un homme que j’avais souvent vu promener son chien. Il m’a dit qu’il s’appelait Tom, et son animal, JoJo. Après un échange courtois, il m’a dit qu’il venait ici presque chaque jour depuis les dix dernières années. Il m’a aussi parlé du compagnon de JoJo, un chien qu’il a dû faire euthanasier en raison de ses problèmes de santé. J’ai senti dans sa voix la tristesse d’avoir perdu un ami, et sa vulnérabilité m’a touché. En pleine pandémie de COVID-19, alors que la distanciation physique complique les contacts humains, de tels moments me rappellent qu’on a tous besoin de liens plus authentiques entre inconnu·e·s. Heureusement, un lieu public comme celui du parc Anacostia offre encore cette possibilité.

Tom et JoJo: «Je viens ici presque chaque jour depuis dix ans.»

Tom Sandner est un photojournaliste établi à Washington. Son travail est motivé par sa volonté de faire des rencontres intéressantes, et il aime déceler chez ces personnes des traits communs qui révèlent notre humanité. Il adore aussi parler de Buffalo (New York), sa ville natale, en prenant bien soin d’ignorer les commentaires sur la tempête de neige qui frappe la région chaque année.

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