À la ferme Windrose, des artistes apprivoisent la vie rurale

Pour les créatif·ve·s de Los Angeles qui se retrouvent chaque mois au weekend All Hands, les plaisirs d’une bonne table s’ajoutent au bonheur de se rapprocher de la terre.

Texte—Dana Covit
Photos—Megan Rogers

Après s’être extirpée de Los Angeles, la route 46 sillonne de vastes collines blondes, traverse des champs de pétrole toujours en activité, longe des kilomètres de plantations d’amandiers poussiéreuses et lance un salut à l’imposante statue de James Dean, érigée là où l’acteur a fait son dernier arrêt avant de périr dans une collision en 1955.

C’est cette route que, dès l’arrivée du printemps, une foule d’esprits curieux empruntent, le dernier weekend de chaque mois. Destination: la ferme Windrose, à Paso Robles (le «Col des Chênes»), municipalité de la côte centrale de la Californie réputée pour ses arbres majestueux.

Ces gens y vont principalement pour travailler — mais aussi pour festoyer et se prélasser — dans le cadre d’un rassemblement connu sous le nom de All Hands. Dans le comté de San Luis Obispo, les fermes et les vignobles à la végétation luxuriante foisonnent, mais peu sont aussi accueillants que Windrose.

Les propriétaires des lieux, Catherine et Justin Welch, ont créé cet évènement en collaboration avec Saehee Cho, cheffe de Los Angeles et organisatrice communautaire. C’est elle qui prend d’assaut la cuisine rudimentaire de la ferme pour préparer avec amour les repas servis aux bénévoles.

La proposition est toute simple: participer aux tâches de la ferme en échange d’un copieux repas en plein air cuisiné à la ferme.

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Un parfum d’utopie
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Au début, l’idée était de rassembler les gens durant la pandémie, quand le seul fait de se réunir était difficile, et « être ensemble», devenu un luxe. Mais les weekends All Hands ont aussi permis de résoudre un problème pratique: il y avait en effet beaucoup à faire sur cette ferme régénératrice de 20 hectares dont les Welch venaient de faire l’acquisition.

Le couple pouvait compter sur l’aide précieuse de ses quatre enfants (de 6 à 13 ans), mais ce n’était pas suffisant. Il a donc voulu offrir aux gens une manière d’aider qui cadrait avec ses idéaux. Catherine et Justin espéraient aussi faire découvrir leur mode de vie à un plus grand nombre de personnes. «Nous voulions tirer parti de l’enthousiasme qui se manifeste de plus en plus pour les petites fermes familiales d’agriculture biologique et régénératrice», explique Catherine.

Après une longue pause hivernale, les weekends All Hands sont de retour pour une deuxième saison. Le sol s’est réchauffé et la menace de gel a disparu. Les visiteur·euse·s — qui, comme moi, viennent essentiellement de Los Angeles — affluent de nouveau vers la ferme.

Les bénévoles attiré·e·s par le projet sont des gens créatifs, des âmes romantiques sensibles à la beauté et au caractère utopique des lieux. Le groupe est composé d’ami·e·s, de personnes qui le sont devenu·e·s au fil du temps et d’inconnu·e·s qui ont sauté sur une occasion leur semblant trop belle pour être vraie. Certain·e·s ont de l’expérience en agriculture ou en jardinage, tandis que d’autres n’y connaissent strictement rien.

Ce qui nous anime, c’est l’amour de la communauté, l’attrait de nouvelles perspectives et l’idée que nous sommes tous et toutes interrelié·e·s et connecté·e·s à la terre. «Je le fais pour des raisons purement sentimentales», nous confie Saehee Cho. «Et je crois qu’il n’y a rien de mal à ça.»

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Prendre la route, donner de son temps… des efforts qui sont largement récompensés par la magie des lieux et le sentiment de faire partie d’une communauté.

 

9h – Arrivée
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Je gare ma voiture dans le stationnement en terre battue aux côtés d’une poignée d’autres véhicules. Quand j’ouvre la portière, la tête d’un grand chien au poil rêche apparait. C’est Macie: on me l’avait présentée à ma dernière visite. Je présume que les bénévoles arrivé·e·s hier soir sont déjà à la tâche. J’emboite le pas à Macie, qui a l’air de savoir où se trouve le groupe.

La chienne m’entraine vers l’une des serres. Tout le monde est accroupi et arrache les mauvaises herbes autour des agaves en prenant soin de ne pas toucher aux plants de camomille, qui sont juste à côté. Au départ, Catherine et Justin voulaient fabriquer leur propre spiritueux d’agave. Mais c’est une plante qui pousse lentement: elle peut mettre entre 7 et 12 ans pour arriver à maturité. Heureusement, il y a amplement de quoi s’occuper dans l’intervalle.

10h – Plantation de pommes de terre
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À mesure que d’autres bénévoles arrivent, le niveau d’énergie augmente. Justin nous conduit à un champ défriché en nous expliquant que c’est le temps de planter les pommes de terre.

En deux heures, on en plante environ 4 000. Enthousiastes à l’idée de nous montrer comment faire, les deux plus jeunes des Welch nous expliquent la séquence: creuser, planter, recouvrir. Heureusement, le sol est meuble grâce aux quelques journées de pluie qui ont marqué la fin du printemps.

Je pense au plaisir de travailler en équipe et d’apprendre à maitriser une tâche répétitive.

13h – Diner, temps libre et campement
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Pour le diner, Catherine a préparé un bar à sandwichs. Ça me rappelle de bons souvenirs de mes années d’école. On s’assoit à l’extérieur de la cuisine, on bavarde et on fait quelques matchs d’improvisation avec les enfants de Catherine et de Justin. On rigole bien. Quelques-un·e·s d’entre nous vont voir les cochons kunekune qui se prélassent à l’ombre.

Le ventre plein, on monte nos tentes dans le verger. C’est là qu’on passera la nuit. Je prends plusieurs photos de ce paysage enchanteur: ma petite tente nichée dans le vert tendre des arbres en ce début de printemps, au milieu des pommiers qui commencent tout juste à fleurir. Je me rends compte que c’est la première fois depuis des heures que je regarde mon téléphone.

 

14h30 – Plantation de tournesols
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Un autre exercice répétitif. On sème des tournesols — environ 2 000, de plusieurs variétés — dans le champ adjacent à la ferme et à la cuisine communautaires. C’est la première fois qu’on plante des tournesols à la ferme Windrose. Cet été, on en fera des bouquets qu’on ira vendre au marché.

16h30 – Préparation du souper
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Quelques personnes partent chercher une table et des chaises en bois pour les transporter jusqu’au verger, où nous souperons. On décore la table avec des oranges, des bougies torsadées et des branches en fleurs fraichement coupées. La vaisselle est dépareillée.

Je vois que la cheffe a réquisitionné plus d’aide. Joseph Calvo, un photographe venu de Los Angeles avec des biscuits au miso et aux pépites de chocolat qu’il a faits lui-même, prépare la vinaigrette. Kenny Ng, un producteur qui vit dans le quartier coréen de L.A., coupe minutieusement les légumes.

On transporte les plats, en faisant bien attention, dans le coffre du Land Rover 1997 de Justin et Catherine, que cette dernière conduit jusqu’au verger. On croirait assister à la plus extraordinaire des livraisons UberEats.

19h – Souper dans le verger
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«Il y a de la magie dans l’air quand Saehee pose la nourriture sur la table», explique Chloe Chappe, une cheffe personnelle qui vit à Los Angeles et une habituée des rassemblements All Hands.

Cette magie nait du fait que l’on connait la provenance de chacun des ingrédients, comme la grande ortie, transformée en pesto savoureux, le chou kale Lacinato, le riz parsemé de coriandre en fleurs et les radis, trempés dans une sauce romesco maison. Certains légumes ont été récoltés ici même, produits à partir de semences plantées lors de précédents weekends All Hands.

«L’amour et l’attention nous nourrissent aussi», me dit Saehee Cho. «On ne mange pas de la même façon ce genre d’aliments. On les déguste. Ils nous invitent à méditer.»

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La jeune femme travaille en étroite collaboration avec d’autres chef·fe·s et des fermes de la région lorsqu’elle s’approvisionne pour les soupers au verger. Elle s’est aussi donné pour mission de réduire le gaspillage alimentaire. Les haricots verts, apprêtés dans une sauce hoisin aux mures, ont été récupérés d’un évènement de mode tenu un peu plus tôt cette semaine et pour lequel beaucoup trop de nourriture avait été achetée…

Nous passons toute la journée les mains dans la terre pour comprendre d’où viennent les aliments que nous mangeons à table. Ce souper est une merveilleuse récompense directement liée à nos efforts.

 

22h – Un peu de repos
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Après avoir mangé à notre faim et longuement bavardé, on débarrasse la table. Comme il n’y a pas de lave-vaisselle à la ferme, tout le monde se met à la tâche. Puis, on joue aux cartes et on partage une bouteille de Nocino maison, une liqueur italienne faite à partir de noix de Californie récoltées avant qu’elles soient mures, quand leur écale est encore tendre et verte.

On regagne enfin nos tentes. Juste avant de m’endormir, je me dis que ce style de vie — et l’agriculture en général — est un manifeste suprême d’optimisme. On sème des graines dans l’espoir de les voir se transformer en vigoureuses plantes. On en prend soin. On attend qu’elles poussent. Et ainsi va la vie.

Au loin, j’entends le ronflement guttural des cochons kunekune.

8h – Dimanche matin
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La brume enveloppe les arbres et les champs. L’air du matin est frais et humide. Dans la cuisine communautaire, on a préparé du café, du thé et quelques victuailles. Tout le monde semble d’accord sur un point: on vient de passer la meilleure nuit de sommeil de notre vie.

L’apiculteur de la ferme Windrose est là, et il nous invite à assister à l’opération d’entretien des ruches. Il nous explique que, contrairement aux miels crus provenant de fleurs sauvages, le miel fait à partir de la sauge résiste à la cristallisation et conserve sa consistance lisse. Mais on ne peut pas forcer les abeilles à butiner les fleurs de sauge…

Justin nous amène dans le pâturage où broute le troupeau de moutons et d’agneaux. Comme le sevrage graduel des agneaux a commencé, on peut faire un petit jogging avec les brebis. Les chiens aboient et les enfants rient. Nous aussi, d’ailleurs.

Dana Covit est autrice, chercheuse, collectionneuse et passionnée de la nature. Aujourd’hui établie à Los Angeles, elle a grandi sur la côte est, où la saison des fleurs passe trop vite et où les arbres fruitiers relèvent du conte de fées. Ses textes ont entre autres été publiés dans le New York Times et Broccoli Magazine, et sur Sight Unseen.

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