Regarder par la fenêtre avec Maria Mariano

Maria Mariano est un·e créateur·rice et chercheur·e établi·e à Montréal. Iel repousse les limites du design durable en fabriquant, notamment, des textiles à partir de lait écrémé périmé. Sa passion: trouver des moyens de reproduire les cycles de rétroaction de la nature dans les systèmes de production artificiels. Rien ne l’anime plus que d’explorer des moyens créatifs de mettre un terme à la surproduction et au gaspillage.

Le·la designer d’origine philippine a plongé dans les eaux turquoise de la carrière Morrison, près d’Ottawa, en Ontario, pour la couverture du numéro d’automne de BESIDE, intitulé Des temps nouveaux. «C’était la première fois que je me baignais dans une carrière. Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, mais j’étais mentalement préparé·e à ce que l’eau soit froide. Une fois immergé·e, j’ai tout de suite senti que j’étais à ma place.»

Iel répond au Questionnaire BESIDE par une journée maussade, dans son quartier de Montréal.

Comment fabrique-t-on des textiles à partir de lait écrémé périmé?
On récupère d’abord le lait périmé, puis on sépare les produits chimiques organiques en vue d’extraire une protéine: la caséine. On peut ensuite commencer à la transformer en un solide. On torsade la fibre de lait ainsi obtenue pour en faire un fil que l’on enroulera sur une bobine. Il suffit ensuite de tisser ces fils ensemble pour créer un textile biodégradable résistant, fait à partir de déchets !

Un exemple de réutilisation dont tu es particulièrement fier·ère. 
Cet été, j’ai travaillé comme bénévole dans une organisation de jeunes. J’ai animé un atelier sur la mode et la durabilité, et sur comment transformer de vieux t-shirts en sacs de tissu pour les courses. Cela m’a permis de montrer aux jeunes qu’il est facile (et amusant) de réutiliser ce qu’on a. Il suffit d’une paire de ciseaux et d’un peu de créativité.

Des expériences de circularité tirées du quotidien que tu chéris.
Je pense qu’on peut pratiquer la circularité simplement, en partageant de vieux vêtements ou des restes de repas avec des ami·e·s et des proches. C’est un moyen excitant de redistribuer les ressources collectives et de pratiquer une économie communautaire circulaire.

Qu’est-ce qui fait qu’un objet est digne d’intérêt?
Quand son processus de fabrication prend en compte la conscience du temps, le respect des matières premières et l’idée de son impermanence sur la planète.

Ton plus beau souvenir d’enfance en nature.
J’ai grandi aux Philippines. Enfant, je rendais souvent visite à ma grand-mère, qui habitait une petite maison rurale au bord d’un cours d’eau. J’adorais faire le trajet en bus avec mon père sur les routes de terre bordées d’arbres d’un vert intense : je savais que je pourrais bientôt jouer librement au bord des flots tumultueux. Quand je descendais vers la rive en suivant le bruit assourdissant et continu, je sentais la rivière faire son chemin dans la terre. C’était chaque fois comme une promesse d’aventure, qui me donnait le courage de me mouiller les orteils et d’imaginer un jeu de bateaux pirates.

L’endroit où tu es le plus heureux·se.
Je me sens vraiment bien et apaisé·e quand je suis près d’un plan d’eau naturel. Mon corps se détend, en harmonie avec ce qui l’entoure. C’est un merveilleux cadeau.

Quelque chose qui, d’après toi, devrait disparaitre de la planète.
Les sites d’enfouissement de déchets. Je souhaite qu’ils soient transformés, remplacés par quelque chose dont les générations futures pourront être fières.

Un enjeu qui te préoccupe dans ton quartier, ta ville ou ton pays.
À Montréal — comme dans bien d’autres grandes villes, sans doute —, l’accès à des logements sociaux abordables est une préoccupation majeure, liée à l’accélération de l’embourgeoisement. Je trouve ça profondément désolant de penser que des communautés marginalisées sont chassées de chez elles pour qu’on puisse construire des condos, surtout en ces temps de pandémie mondiale, alors que la situation est particulièrement instable.

Un projet sur lequel tu travailles présentement.
Je suis en train de compiler un glossaire numérique de termes associés à la durabilité en collaboration avec d’autres personnes. Nous aimerions en arriver à créer une plateforme ouverte, à laquelle chacun·e pourrait contribuer en expliquant ce que signifie la durabilité pour lui ou elle. Pour nous, l’avenir doit être défini collectivement.

Un élément clé pour bâtir un avenir durable.
Les 3R: réciprocité, respect et reconnaissance (de la planète, de l’autre et de soi-même).

Ta conviction la plus révolutionnaire.
On peut lutter contre l’oppression en créant un système véritablement durable.

Une petite habitude qui te permet de t’ancrer.
J’observe ma respiration. Je retiens mon souffle pendant cinq secondes, puis j’expire pendant huit secondes. Je commence ensuite à prendre conscience des sons, des odeurs et des objets qui m’entourent.

Une activité non numérique que tu peux faire pendant une journée sans te lasser.
Faire du kayak avec des jumelles et un carnet! C’est une façon si agréable d’observer la nature et d’apprendre à connaitre les êtres qui vivent autour du plan d’eau.

Maria est posée sur la couverture de notre numéro 11: Des temps nouveaux

ACHETER LE MAGAZINE

Partagez cet article