Dans la lentille de Nicolas Gouin

De contrastes, de franchise et d’espoir.

Photos — Nicolas Gouin

Nicolas Gouin est photographe de formation. Il s’intéresse à l’environnement, à la culture, aux savoirs collectifs et aux droits de la personne. Il est le fondateur de la boite de production Goba Studio, qui se consacre à des projets sensés et sensibles. Quand il n’est pas dans Saint-Henri en train de retoucher des photos, Nicolas sillonne la planète, une caméra entre les mains, ou marche dans le bois, muni de son fusil de chasse.

À quand remonte ton intérêt pour la photographie?

J’ai toujours aimé faire des images, mais enfant, ce que je voulais vraiment, c’est être pilote d’avion pour les Forces armées canadiennes. Un rêve qui a commencé à devenir réalité quand je me suis inscrit dans les cadets et que j’ai entamé des cours de pilotage. Or, ma vision n’étant pas parfaite, j’ai été refusé aux examens médicaux des Forces. La grande remise en question professionnelle qui a suivi m’a mené vers la photographie et, aujourd’hui, je pilote mon drone pour combiner deux de mes passions.

Mon premier reportage documentaire, Cadets, illustrait d’ailleurs la quête identitaire adolescente en milieu militaire restreint. Je réalise maintenant à quel point il était personnel. Pour créer des images que l’on aime, il faut photographier des sujets qui nous touchent, nous tourmentent et nous font évoluer — du moins, c’est ce que je tente de faire en tant qu’artiste.

Chaque année, des cadets de 12 à 18 ans développent leur débrouillardise et leur esprit d’équipe lors d’exercices de survie en forêt — ici, à Saint-Bernard-de-Lacolle et à Philipsburg, au Québec. Été comme hiver, ils laissent leur téléphone à la maison et se retrouvent donc dénudés de toute technologie, au coeur d’une nature aux milles créatures sauvages.

 

Quelle œuvre ou quel photographe a eu la plus grande influence sur toi?

Tout d’abord, le photographe canadien Edward Burtynsky, que j’ai découvert au cégep dans le documentaire Manufactured Landscapes. D’une beauté sublime, ses paysages réussissaient à raconter une histoire humaine, même si on n’y voyait personne.

Le photographe Alec Soth a ensuite grandement nourri mon désir d’aller à la rencontre d’inconnus fascinants pour raconter leurs histoires. Il m’a appris à utiliser ma caméra pour entrer dans la vie de gens qui, autrement, n’auraient aucune raison de me parler.

Ce que j’aime du travail de ces deux photographes, ce sont les contrastes entre fragilité et force, beauté et laideur, intimité et distance. Je pense qu’on les retrouve souvent dans mes images.

Tu as fait des portraits à travers le monde. Y a-t-il un lieu qui t’a particulièrement marqué?

Le Lesotho, que j’ai visité en 2016. Enclavé dans l’Afrique du Sud, ce pays se situe à plus de 1000m d’altitude et est doté de majestueuses montagnes, de vallées sinueuses et d’un réseau complexe de rivières. Là-bas, je me suis arrêté à Malealea, petit village agricole d’environ 600 âmes. J’ai été vraiment touché par la résilience des habitants, qui faisaient face à une période de sècheresse. Rapidement, j’ai établi des liens de confiance avec eux pour pouvoir les photographier. Ils voulaient tous être à leur meilleur pour les photos.

Enclavé dans l’Afrique du Sud, le Lesotho se situe à plus de 1000m d’altitude et est doté de majestueuses montagnes, de vallées sinueuses et d’un réseau complexe de rivières. Là-bas, je me suis arrêté à Malealea, petit village agricole d’environ 600 âmes. J’ai été touché par la résilience de ses habitants, qui faisaient face à une période de grande sècheresse.

 

Le plus étrange, c’était l’énorme contraste entre la situation socioéconomique des enfants que je photographiais et les poses qu’ils prenaient. Avec leurs rires contagieux, ils reproduisaient des visuels inspirés des couvertures de magazines américains. Je leur montrais les photos, et ça devenait une sorte de jeu sans fin… C’est clairement l’un des moments les plus beaux — et les plus humains — de ma vie.

J’espère que mes images montrent à quel point l’être humain est fort et résilient. Quand je pense à la chance que j’ai d’être né dans l’abondance et la sécurité, ça me motive à me surpasser et à donner au suivant. J’invite d’ailleurs vos lecteurs et vos lectrices à visiter le Malealea Lodge, un gite écoresponsable qui embauche des gens du village et qui soutient énormément la communauté.

Tu travailles autant sur le terrain qu’en studio. Ton approche avec tes sujets change-t-elle selon le contexte?

En studio, je mise sur l’échange qui peut avoir lieu dans un environnement confortable et contrôlé. Je planifie toujours du temps avant la séance pour prendre un café avec mes sujets et discuter de leur état d’esprit. J’aime aussi leur donner la caméra pendant les tests de lumière et inverser les rôles pour bâtir une relation de confiance.

En contexte documentaire, j’ai moins de flexibilité; je suis plutôt en mode réactif. Je dois avoir une bonne connaissance du sujet avant de commencer à prendre les photos. Sur le terrain, je pose beaucoup de questions et j’écoute énormément. Il est important de laisser place aux conversations. Surtout, il ne faut pas être pressé d’avoir «la shot». J’ai déjà passé de nombreuses heures à essayer de photographier quelqu’un, sans succès, jusqu’à ce qu’il s’ouvre enfin. L’essentiel est d’expliquer aux gens pourquoi leur réalité doit être vue et entendue.

Quand tu fais des portraits, que cherches-tu à saisir chez tes sujets?

La majorité de mes portraits montrent un regard direct vers la caméra. Je ne vole pas d’images à l’insu des gens, j’aime établir un contact visuel avec eux lorsque je les photographie. Pour moi, c’est une forme de respect. Ils sont ainsi en contrôle de ce qu’ils projettent. C’est une forme de collaboration, une valse entre eux et ma caméra. J’aime les regards francs et les émotions assumées.

 

Nazaré est reconnue pour ses gigantesques vagues pouvant atteindre 23 mètres, ainsi que pour son peixe seco (poisson séché), un mets traditionnel. Comme dans bien des villages portugais, on y trouve un impressionnant marché où des pêcheurs vendent leurs prises du jour. Cette culture de la pêche, bien ancrée dans le mode de vie des habitants de la région, renforce leur lien profond avec la nature.

 

Parmi tes œuvres et tes séries, quelle est celle que tu préfères? Pourquoi?

Le projet Close your eyes to see, qui combine photos, films et textes, est mon préféré. Il a été inspiré par des discussions que j’ai eues avec des ainés autochtones de la nation crie de Nemaska, qui a dû être relocalisée à la faveur du projet hydroélectrique de la Baie-James. J’ai senti qu’ils avaient peur de ne plus se souvenir de la vie avant l’industrialisation des communautés. Les choses vont vite: imaginez comment ces hommes et ces femmes qui sont nés dans le bois peuvent être déboussolés par la rapidité des changements bousculant leur mode de vie ancestral.

Pour ce projet, je leur ai notamment posé une question, à laquelle ils ont pensé en fermant les yeux: «Comment était la vie avant la relocalisation de Nemaska et l’industrialisation de votre communauté?» Certains ont gardé les yeux fermés quelques minutes, d’autres, une demi-heure. De mon côté, je me déplaçais sur la pointe des pieds dans le studio et n’osais pas respirer pendant que je prenais des photos. J’étais à l’affut de tout: mouvement de sourcil, lèvres pincées, paupières lourdes ou changement de posture.

Ce projet, je l’ai fait à la demande de la communauté, pour inciter les ainés à partager leurs souvenirs d’enfance — et les immortaliser à tout jamais.

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Qu’aimerais-tu communiquer aux personnes qui regardent tes photos?

De l’espoir et du positivisme, sans crémage. Du beau et du cru. Des situations réelles, exposées dans le but de les améliorer… C’est vraiment utopique, je sais. Mais c’est ce qui me donne envie de faire des photos!

Sur quels projets travailles-tu en ce moment?

Je documente depuis peu mes voyages de chasse et pêche, et ça se transforme tranquillement en un projet beaucoup plus intime qu’à l’habitude. Tout a commencé lors de ma première visite à Chisasibi, dans la Baie-James, où j’ai découvert le monde de la chasse; une fillette de neuf ans m’a enseigné à plumer et à cuisiner une bernache du Canada. Je ne suis pas végane, mais je suis conscient du processus industriel et je favorise une viande de bois qui a évolué en nature. Le travail nécessaire à la récolte fait aussi partie de l’aventure. Je n’aime pas les armes à feu, et encore moins quand vient le temps de tirer un animal. Mais j’ai une passion pour la nature, l’observation de la faune et les bons repas cuisinés maison.

Quand je chasse, tous mes sens sont stimulés. Je suis en communion avec la nature et la beauté du Québec sauvage. J’ai la chance de pratiquer cette activité en famille, et de la documenter lorsque je ne suis pas moi-même à l’affut.

 

J’ai aussi appris à récolter de façon responsable lors de mes visites dans le Eeyou Istchee. Je crois faire partie d’une nouvelle génération de personnes qui ont une conscience écologique et éthique lors de leurs activités en plein air. J’aimerais que mes images puissent contribuer à défaire le cliché du chasseur irresponsable. J’ai de plus la chance de pratiquer cette activité avec ma famille, ce qui laisse place à de très beaux moments de partage et de confessions.

Aimerais-tu nous parler d’une cause particulière? D’un organisme qui te tient à cœur?

J’ai eu l’honneur d’animer des ateliers de photographie dans le nord du Québec grâce à l’organisation inPath, qui favorise l’expression des jeunes issus de nations autochtones partout au Canada. Mes parents m’ont toujours encouragé à faire ce que j’aimais dans la vie, mais personne ne m’avait dit que le métier de photographe était une option. J’ai dû le découvrir par moi-même, à la suite de mon exclusion des Forces canadiennes et de quelques sessions d’études en science. Depuis, je me suis donné pour mission de faire découvrir ce magnifique métier.

Ce qui me fascine chez les ados, c’est le contraste entre leur effervescence impulsive et leur manque de confiance et d’expérience. Dans mes ateliers, je tente donc de leur donner de meilleurs outils pour exprimer leurs opinions, par l’intermédiaire de visuels puissants. L’organisme inPath organise aussi des résidences d’artistes professionnels dans les communautés autochtones. C’est d’ailleurs pendant mes deux dernières résidences de six semaines que j’ai créé ma plus importante série d’images, intitulée Délogés.

Quels sont les trois comptes Instagram qui t’inspirent le plus?

@Chrismacarthur
@bbt_production
@arni_coraldo

 

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Où trouver Nicolas?

@nico_gouin / nicolasgouin.com / gobastudio.com

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Nicolas Gouin signe un essai visuel dans le Numéro 07 du magazine BESIDE.

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