L’autre versant de la montagne

Le skieur et photographe canadien Kari Medig parcourt le monde pour capter des images qui présentent une perspective différente de l’univers du ski.

TEXTE Natalie Rinn
PHOTOS Kari Medig

À l’hiver 1991, alors qu’il avait 17 ans, Kari Medig est parti en vacances avec sa famille à la station balnéaire mexicaine de Playa del Carmen. Il avait déjà beaucoup voyagé, mais au Canada; c’était donc la première fois qu’il quittait le pays.

«Je savais depuis toujours que je voulais voir le monde», me raconte Kari par téléphone. Il se trouve alors chez lui, à Nelson, une petite ville de la Colombie-Britannique entourée de montagnes et située à proximité de la frontière américaine. «Or, pendant ce voyage, je me suis rendu compte que je ne m’intéressais pas aux mêmes choses que les autres touristes.»

Kari garde un souvenir très vif de la fois où il s’est aventuré loin de la plage, dans les terres, pour se retrouver sur une route poussiéreuse. «Ce qui m’a sauté aux yeux en premier, c’est qu’on pouvait acheter un Coke et le boire dans un sac en plastique avec une paille», raconte-t-il avec enthousiasme. «Je me suis dit: “C’est fou, ça!” Et j’ai tout de suite su que je devais voyager plus.» C’est ce qu’il a fait.

 

Encore aujourd’hui, à 45 ans, Kari parcourt la planète et photographie des skieurs dans des destinations reculées. Sa mission: dévoiler au monde une facette méconnue de cet univers avec lequel il est familier.

Tweet

Il cherche moins à capter le sport lui-même que l’individualité des skieurs qu’il croise au pied des pentes, près des télésièges ou dans les bars, à l’après-ski, alors qu’ils sont détendus et naturels. Il s’est rendu en Israël, au Kosovo et en Sibérie, entre autres, pour prendre des clichés qui s’écartent de la culture glamour typique des stations de ski. Ses photos, splendides, sont à la fois originales et très personnelles.

Kari est né dans la campagne ontarienne. Mais, peu de temps après, la petite famille s’est transportée dans un coin isolé du nord de la Colombie-Britannique, où elle logeait dans une cabane sur le bord d’un lac. Le père de Kari travaillait comme électricien dans des mines de cuivre, et sa mère enseignait le français à des élèves du secondaire. Ses parents avaient tous deux des tendances «hippies»: souvent, ils montaient à bord de leur vieux Ford Bronco bordeaux et partaient camper pendant plusieurs jours avec leurs enfants et leur setter irlandais. Ils photographiaient frénétiquement les animaux, les champignons, ainsi que Kari et sa jeune sœur, Kirsti, tandis qu’ils furetaient dans la nature en quête de bleuets. Ils aimaient aussi pratiquer des activités de plein air traditionnelles, comme la chasse, la pêche, le canot, la raquette et le ski de fond.

 

 

Alors que Kari était en cinquième année, ses parents ont eu soif de changement. La famille a emménagé à Fernie, une petite ville du sud de la Colombie-Britannique où tout le monde pratique le ski alpin. «Après l’école, on allait s’entrainer sur les pistes: c’était quelque chose de normal», raconte-t-il. Mais ce n’est pas pour ça qu’il est tombé amoureux du sport. «Quand t’es un jeune garçon et que t’essaies le ski alpin pour la première fois…» Il s’interrompt pour tenter d’expliquer ce qu’il a ressenti à l’époque:: «C’était comme une révélation. Tous mes amis faisaient de la moto tout-terrain. Comme je n’étais pas autorisé à avoir ce genre d’équipement, le ski était mon seul moyen de faire de la vitesse… Avec le ski, j’ai découvert que je pouvais aller aussi vite que je voulais.»

 

Kari a étudié la biochimie à l’université. Il avait une facilité pour les sciences, et c’est donc par défaut qu’il a opté pour cette branche. Mais il s’est rapidement rendu compte que ce talent ne correspondait pas à ce qu’il voulait faire dans la vie. Il a poursuivi ses études, du moins sur papier, mais une tendance se dessinait: il passait quelques années à étudier, puis il s’arrêtait un an pour voyager. À son retour, il reprenait ses cours… en songeant à sa prochaine escapade. Son appareil photo l’accompagnait partout.

Kari a appris la photo très jeune, en regardant faire ses parents. «Ils avaient tout le matériel nécessaire pour développer les photos eux-mêmes, un processus que je trouvais fascinant. Ils transformaient la salle de bain en chambre noire, le temps d’en sortir quelques-unes. Mon père le fait encore: il lui arrive parfois de me donner un cliché d’animal qu’il a pris.»

La photo a fini par faire partie intégrante de la vie de Kari. À un point tel qu’à la fin de ses études en biochimie, il savait qu’il ne passerait pas ses journées dans un labo.

Tweet

Kari a étudié la photo pendant un an. En 1999, il a obtenu un stage à la rédaction d’un journal. C’est là qu’il a rencontré Rick Collins, un photojournaliste influent. «Il était l’un des photographes de presse canadiens de l’année», se rappelle Kari. «Rick m’a donné des rouleaux de pellicule et m’a dit: “Vas-y, prends des photos.” Il m’a poussé à réfléchir à ce que je voulais montrer.»

Kari a commencé à recevoir des commandes de journaux et de magazines, mais, pour joindre les deux bouts, il cumulait les petits boulots, comme planter des arbres. Il sentait aussi qu’il n’avait pas encore trouvé son style. C’est lors d’un voyage au Cachemire avec un ami écrivain, en 2007, que les choses sont devenues claires pour lui. Leur objectif, lors de ce séjour, était de photographier des skieurs professionnels dans une station qui venait tout juste de recevoir un vieux télésiège français. Le problème, c’est que le télésiège n’arrêtait pas de tomber en panne. Kari s’est donc retrouvé avec pas mal de temps à tuer.

«J’avais vu des photos dans des magazines. Comme des portraits, mais en plus simple. Ces clichés mettaient l’accent sur la personne plutôt que sur le style», explique-t-il. Il avait ces images en tête quand il a noté quelque chose de spécial — exactement comme au Mexique. «Je flânais au pied de la montagne et j’ai remarqué que les skieurs locaux étaient vraiment cools. Je me suis dit qu’ils feraient des sujets beaucoup plus intéressants que les athlètes!» C’est là que lui est venue l’idée de croquer sur le vif des stars anonymes du ski.

«Je n’ai pas envie de me cantonner aux clichés que l’on associe au monde de l’aventure, admet-il. C’est un univers que je connais très bien. Je tiens à le montrer sous un jour différent.» Quand on regarde ses photos, on a l’impression d’observer la culture du ski du point de vue d’un anthropologue — un anthropologue qui aurait l’œil entrainé d’un photographe habitué aux sports d’aventure.

***

 

Quand je vois le genre de merveilles qu’il réussit à capter — deux hommes vêtus de combinaisons moulantes (l’une rouge vif et l’autre à zébrures) qui les couvrent jusqu’au visage, posant sur un sommet à Golden, en Colombie-Britannique; une jeune femme en jean et chandail de laine qui semble tout droit sortie de son salon, s’apprêtant à monter sur un télésiège au Kosovo; un groupe disparate de personnes s’attardant sur un sommet au Maroc, certaines avec des skis, d’autres sans, certaines assises dans la neige, d’autres dans un traineau —, je me demande comment il fait. Est-il difficile de convaincre ces gens de se laisser prendre en photo? Sont-ils timides? Kari discute-t-il longtemps avec eux avant de leur tirer le portrait?

 

Son approche, m’explique-t-il, est relativement détendue et spontanée. «Je me balade au pied des petites pentes à la recherche de sujets qui piquent ma curiosité et qui représentent un aspect plus paisible du sport. Avec certaines personnes, ça se fait très rapidement, tandis qu’avec d’autres, on parle un peu plus longtemps. » Je crois que c’est ce côté serein — cette impression que les sujets immortalisés le font pour eux, pour leur propre plaisir — qui donne à ses images leur caractère unique.

Je demande à Kari quel skieur l’a marqué le plus. Il me raconte: il y a quelques années, le rédacteur de Powder et lui-même ont traversé la Russie en quête de skieurs traditionnels, c’est-à-dire de skieurs qui pratiquent le sport comme on le faisait il y a 8 000 ans dans le nord-ouest de la Chine — une région généralement considérée comme le berceau du ski. Les chasseurs coupaient alors une buche de bois en deux et clouaient des peaux en dessous (c’est l’ancêtre du splitboard). Puis, ils utilisaient un grand bâton comme gouvernail pour descendre les pentes.

Ce n’est qu’après avoir soudoyé un gardien de parc avec de la vodka que Kari et son confrère ont réussi à trouver un représentant de cette tradition, dans une région de l’est de la Russie située près de la Mongolie. Il s’appelait Vitaly. « C’était tellement cool de le regarder faire. Il n’avait jamais vu de skis modernes comme les nôtres!», me raconte Kari, le sourire dans la voix. «J’avais presque l’impression de souiller la pureté de cette culture.» Il n’avait pourtant pas à s’inquiéter: Vitaly n’arrivait pas à croire qu’on pouvait aujourd’hui se procurer des peaux qui se détachent des skis. Avec l’aide d’un interprète, il a quand même dit à Kari que ses propres skis étaient «bien meilleurs» que les siens. «Dans un sens, il n’avait pas tort!»

Dans le portrait que Kari en a fait, Vitaly, vêtu d’un treillis militaire, est debout à côté de ses deux chiens et tient les skis qu’il s’est lui-même fabriqués. «C’était un drôle de gars.»

Et pourtant, au fil des ans, Kari a découvert que tous les skieurs étaient unis par un même désir: celui d’avoir du fun. «C’est un sport qui fait sourire les gens.» Un effet encore plus palpable dans les régions ayant été déchirées par des conflits. «Je suis allé dans une station de ski au Kosovo. La majeure partie des skieurs sont des Albaniens, mais ce sont souvent des Serbes qui gèrent les stations. Il y a beaucoup de tensions là-bas en ce moment, mais les gens disent qu’à la montagne, rien n’a d’importance — rien de politique, en tout cas.» Kari a constaté la même chose quand il s’est rendu au mont Hermon, en Israël, et dans les montagnes du Cachemire.

«Les montagnes ont cette capacité de faire oublier leurs problèmes aux gens. C’est une façon de s’évader. Pour moi, il y a quelque chose de sacré là-dedans.»

 

 

Tweet

Alors que je suis sur le point de raccrocher, Kari m’informe de ses plans d’après-midi: il fera ce que ses amis et lui appellent un « 2h45». En d’autres mots, il se précipitera à la station de ski après le travail. À l’heure d’été, cela lui laisse juste assez de temps pour effectuer quelques bonnes descentes avant le coucher du soleil — et, pourquoi pas, pour profiter d’un petit après-ski.

 

____________________

 

Natalie Rinn est née dans le Minnesota. Ancienne rédactrice en chef du Brooklyn Magazine, elle est maintenant journaliste et éditrice à la pige. Attirée par la perspective de jogger en terrain non humide, elle a récemment quitté New York pour Los Angeles.

Partagez cet article

Ne manquez jamais un numéro

Deux numéros par année

25% de réduction sur les numéros précédents

Livraison gratuite au Canada

Infolettre

Pour recevoir les dernières nouvelles et parutions, abonnez-vous à notre infolettre.