Depuis l’hiver

Au solstice d’un hiver qui s’annonce difficile, les mots de Valérie Lefebvre-Faucher résonnent comme un baume.

Texte—Valérie Lefebvre-Faucher
Illustrations—Florence Rivest

Mes ami·e·s,

Il y a longtemps que nous nous sommes vu·e·s, mais je pense à vous. Je rêve de vous rassembler autour d’une table de banquet-concert, avec vos nouvelles créations, nos enfants, nos parents, de la bouffe qui se partage, mais ça n’arrivera pas alors je vous écris.

Je suis frappée de voir que vous êtes si nombreux·ses à donner des signes de détresse psychologique, une détresse que, pour plusieurs, je ne vous avais jamais vue avant cette année. J’ai envie de vous serrer dans mes bras et de vous emmener danser, ou marcher dans le bois. (D’autant plus que vous l’avez fait pour moi. Oui, d’habitude, c’est moi la fille sombre, qui a toujours une prophétie apocalyptique au coin des lèvres. D’habitude, c’est moi la fille anxieuse que vous réconfortez. Merci.) J’aimerais que par les mots nous soyons ensemble, votre tête se reposant sur mes phrases.

C’est vrai que cet hiver est sombre et terrifiant. C’est vrai que nous accumulons les deuils. Je ne suis pas spécialisée en psychologie, mais j’ai envie de vous parler de la manière dont je vis l’écoanxiété depuis si longtemps. (C’est plus une confidence qu’un conseil.)

Pour moi, cette anxiété est le versant souffrant d’un sentiment très profond de connexion avec le monde: nous sommes la nature. Nous ne sommes pas «interreliés», nous faisons partie.

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La douleur vient de l’appartenance. Ça n’a pas à être toujours douloureux; c’est plein d’amour et d’espoir aussi.

Nous sommes la nature.

La nature malade.

La forêt a le souffle coupé de la même manière que nous; les oiseaux se voient tomber; les coraux pâlissent. Ce qui nous arrive est planétaire. Quand nous attrapons des maladies causées par la destruction des écosystèmes et des barrières naturelles, quand nos corps se recroquevillent sous les mauvaises nouvelles, que nous ne rions plus et que nous n’arrivons plus à profiter des moments beaux parce que la tristesse vient toujours en premier, nous sommes la nature malade. Nous le sommes aussi quand nous avons tellement peur que nous achetons des guns, que nous appelons à la punition, à la surveillance, aux interdits, que nous acceptons que la haine fasse partie de nos vies. Nous pouvons être des cataclysmes. Et nous sommes emporté·e·s nous-mêmes par la tempête. Je pense qu’il faut avoir de l’empathie pour cette souffrance, qui cause tant de malheurs (puisse l’empathie nous assaillir plus fort que la peur de l’autre…). Mais, surtout, il faut nous rappeler que nous pouvons la vaincre. Les tempêtes ont une fin. L’anxiété a une fin. Et avant de faire des gestes regrettables, mieux vaut la surmonter.

Et ça, j’ai envie de vous dire que vous savez comment.

Vous avez déjà résisté à des perceptions de la réalité qui vous rendaient malades. Vous avez déjà aidé des gens à guérir, à s’éduquer, à se rassurer. Vous savez traverser des saisons, des épreuves. L’anxiété se fabrique dans l’intestin, avec tout ce que vous digérez de mauvais. Vous savez comment trouver chaque jour de petits morceaux de doux pour vous en substanter. Ami·e·s parents, ami·e·s soignant·e·s, ami·e·s profs, ami·e·s travailleur·se·s du communautaire, etc.: quand vous nourrissez vos proches, quand vous prenez soin de tous ces gens, quand vous rendez le monde vivable à votre échelle par de petits et grands baumes, quand vous faites de la musique, vous êtes la nature qui se guérit. Ce sont des choses peu considérées, souvent lassantes, mais ce sont les gestes de la vie, nos manières de résister. Le soin des enfants, l’entretien d’une habitation, la construction de relations harmonieuses, tout cela ne rapporte ni prestige ni profit: ce sont les actions répétitives et essentielles par lesquelles nous persistons.

Vous avez fait des jardins, des conserves, des rondes de visites. Il y a ça dans la nature: des trésors de remèdes. Ça marche. Et s’il vous plait, ne vous oubliez pas: il faut vous soigner aussi. Pour prétendre «sauver la nature», il faut vouloir nous sauver nous-mêmes.

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Dans l’anxiété, il y a un refus de la vitesse demandée, un refus de la violence imposée, une armée de petits refus qui rongent tant qu’ils trouvent de quoi se nourrir. Je vous souhaite de ralentir le rythme de ce qui vous bouffe. Ce n’est pas votre corps que votre colère doit détruire.

Je nous souhaite un hiver de convalescence. Quand on est malade, il faut accepter de tomber. Accepter de se faire dire non. Accepter d’être fragile. Arrêter. Il faut peut-être se cacher sous une couette tant qu’il fait noir, comme un chat enroulé sur une fracture. Moins tirer et crier sur la plaie, respirer plus. Bien sûr, arrêter a un cout, arrêter fait souvent mal, mais moins que l’obstination dans une voie murée. Nous n’avons pas besoin de savoir tout de suite quoi dire, comment faire. Qui est déjà tombé sait qu’il ne sert à rien de rebondir sans prendre le temps de souffler, de trouver le sol sous ses pieds. Je nous souhaite de fabriquer de la paix et des cicatrices. Et de reprendre des forces.

Parce que la lumière revient déjà. Avec elle, le temps du désir. Au dégel, il faudra que nous soyons plus que la nature qui survit: il faudra que nous soyons la nature qui se défend.

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La dépression, c’est ce que notre sentiment d’impuissance fait à notre corps, c’est la berge qui absorbe les marées noires, le prisonnier qui ne sort pas de sa cellule quand la porte est ouverte. Quand on a refait des forces, on peut vaincre la dépression par le mouvement. Dès qu’on bouge, dès qu’on essaie quelque chose de vrai, qui n’est pas un compromis entre notre cœur et ce qu’on croit raisonnable, on va mieux. Et on sait tout de suite dans ce temps-là qu’on est sorti de la (l’auto)destruction.

Nous savons ce qui est vrai et sacré. Ce sens nous guide hors de la noirceur. Car déjà, en ce milieu de nuit, le monde se prépare à se relever. Nous pourrons refaire des bourgeons, des nids et des barrages. Trouver des chemins pour la survie. Des chemins pour nous déjouer. Il y a ça aussi dans la nature: pas seulement des lois et de l’ordre, mais du dérangement, de l’invention, de la surprise. Soyons ce qui n’est pas prévu.

Il y aura des rebonds, des relais. Si nous avons si peur, c’est parce que nous cherchons si fort des issues.

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Il n’y aura pas de retour en arrière sur le plan environnemental, mais il est possible de nous défendre jusqu’au bout, de faire de la place pour le vert, de sauver le plus de vie possible et de créer encore, de chercher des manières d’échapper au destin, de ne pas accepter ce qui est inacceptable.

La planète arrivée au bout de la nuit se prépare à nous emmener ailleurs. La sève revient dans votre courage.

Je vous aime. Tenez bon.

Valérie Lefebvre-Faucher a été éditrice chez Écosociété et remue-ménage. On peut la lire dans Procès verbal (Écosociété, 2019) et Promenade sur Marx (remue-ménage, 2020), ainsi que dans plusieurs ouvrages collectifs, notamment Faire partie du monde. Réflexions écoféministes (remue-ménage, 2017).

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