Les grizzlis à la table

À Wuikinuxv, en Colombie-Britannique, le déclin des montaisons de saumons sauvages a affamé et rendu dangereux les grizzlis de la région. Maintenant que les sockeyes sont de retour, la communauté se pose une question inusitée: devrait-elle collaborer avec les ours pour la gestion des pêches?

Texte & photos—Jimmy Thomson

 

Ce reportage est publié en partenariat avec le Pulitzer Center et le Humber College Storylab.

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Frank Hanuse a chassé une seule fois le grizzli. Au moment de retirer la fourrure, il a eu la désagréable impression de dépecer un frère: le corps de l’ours ressemblait drôlement à celui d’un humain. Il se sentait honteux.

Or, ce n’est pas le seul ours que Frank Hanuse — ou Fugg, de son surnom — a abattu dans sa vie. En 1999, il a dû tuer huit grizzlis dans le village de Wuikinuxv, où il est né. «Ces ours devenaient dangereux, raconte-t-il. Ceux que j’ai dû abattre essayaient d’entrer chez les gens en se glissant par une fenêtre ou en enfonçant une porte.»

Johnny Johnson

Fugg a respecté la tradition qui consiste à faire une offrande de tabac et à demander pardon aux ours abattus. Cette année-là a malgré tout provoqué une rupture inquiétante avec le mode de vie traditionnel wuikinuxv, qui avait toujours accordé une place aux grizzlis.

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«Ça me rendait malade… Mais il n’y avait pas d’autre solution», explique Fugg.

Les effets de ces évènements se font encore sentir dans le village: la perception des animaux de la forêt qui entoure les maisons des villageois, comme celle des ours avec qui ils partagent le territoire, a changé. Ils ne voient plus non plus de la même façon le cours d’eau qui traverse le village ni les poissons qui y vivent. Le saumon sockeye, ou saumon rouge, avait toujours nourri les habitant·e·s et les ours de Rivers Inlet, mais, après plusieurs années de déclin, 1999 a marqué un important creux quant à la montaison. La pénurie de saumons a conduit les ours au désespoir et, ultimement, à leur mort.

On assiste aujourd’hui à une lente remontée des stocks de poissons, certes, mais le souvenir de ces années de vaches maigres a laissé une empreinte indélébile dans les esprits. Il a d’ailleurs inspiré une vision audacieuse de la gestion des pêcheries, qui consiste à faire passer les ours en premier, c’est-à-dire avant la communauté, les pêcheur·se·s sportifs et l’industrie commerciale, qui veulent tous obtenir leur part de la ressource.

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«C’est une idée plutôt radicale», affirme Megan Adams, une biologiste de la Raincoast Conservation Foundation qui a passé les dix premières années de sa carrière à travailler avec les habitant·e·s de Wuikinuxv pour répondre à certaines de leurs questions les plus névralgiques. «Il existe des liens très concrets entre la sécurité alimentaire des ours, la sécurité alimentaire humaine et la sécurité tout court.»

La communauté est située sur la côte centrale de la Colombie-Britannique, sur une petite bande de terre de faible altitude bordant le fleuve Wannock, entre la fin de l’étroit goulet limoneux de Rivers Inlet et le lac Owikeno. Ses résident·e·s cohabitent depuis des millénaires avec les grizzlis. Les ours se nourrissent des quatre espèces locales de saumon. Quatre fois par an, l’une d’elles remonte le fleuve Wannock sur une courte distance, puis l’un des affluents du lac. 

Ici, grizzlis et humain·e·s mangent pratiquement côte à côte.

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Les membres de la communauté pêchaient le saumon et, de temps en temps, chassaient l’ours. On disait aux enfants de laisser les grizzlis tranquilles pour s’attendre à la même chose en retour.

«La présence des ours n’avait jamais posé de problème avant l’effondrement des populations de sockeyes», précise la biologiste.

Jennifer Walkus

Le déclin du siècle
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Le réseau hydrographique adjacent au village de Wuikinuxv accueillait auparavant des millions de saumons rouges, une quantité de poissons si impressionnante qu’elle alimentait les légendes.

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«On pouvait traverser le fleuve en marchant sur les saumons», fanfaronne Patrick Johnson, qui a grandi dans le village. Le Wannock accueillait la deuxième ou troisième montaison en importance dans la province après celles du fleuve Fraser et de la rivière Skeena. Les saumons qui passaient par Rivers Inlet devaient d’abord traverser les nuages laiteux formés par le limon glaciaire suspendu dans le bras de mer à plusieurs kilomètres de l’embouchure, puis remonter jusqu’à environ cinq kilomètres en amont du village de Wuikinuxv en direction du lac Owikeno. Là, les saumons se séparaient et remontaient l’un ou l’autre des dix ruisseaux à saumons qui se jettent dans le lac.

Mais en 1999, il n’y a eu que quelques milliers de saumons, soit moins de 1% des nombres records historiquement atteints. Si vous demandez à cinq habitant·e·s de Wuikinuxv pourquoi cette année-là a été si mauvaise, vous obtiendrez certainement cinq réponses différentes, toutes plausibles. En fait, c’est probablement un ensemble de facteurs qui ont interagi entre eux de façon complexe et fait décliner les populations de poissons.

«Il est rare qu’ils se superposent sans influer les uns sur les autres», explique la chercheuse Melissa Orobko, qui étudie les effets cumulatifs des facteurs de stress sur les environnements marins. «La présence d’un facteur de stress peut en aggraver un autre.»

Mais pour bien saisir l’un ou l’autre de ces facteurs, il faut d’abord comprendre la façon dont les saumons rouges vivent et se reproduisent.

Les œufs éclosent l’hiver dans le gravier où ils ont été déposés au fond de la rivière. Au départ, les alevins n’ont qu’un petit sac vitellin qui les maintient en vie jusqu’au printemps. Ils absorbent rapidement les nutriments qu’il contient et développent ensuite un régime de prédateur, qu’ils conserveront durant cinq ans. Ils se nourrissent d’abord, pendant un à trois ans, de minuscules zooplanctons et invertébrés d’eaux douces. Puis, ils migrent vers l’océan, où ils acquièrent leur taille adulte et se sustentent de proies plus grosses, comme des calmars et d’autres poissons, en plus du plancton.

Quatre ou cinq ans plus tard, les saumons rouges sont généralement prêts à retourner dans la rivière qui les a vus naitre. Ils retrouvent leur chemin grâce à des indices odorants présents dans l’eau. Sur place, les femelles creusent de petits trous dans le gravier avec leur queue pour y placer leurs œufs, et les mâles rivalisent entre eux pour les féconder. S’ils ne sont pas d’abord mangés par des ours, des aigles, des loups, des goélands ou d’autres animaux qui attendent chaque année leur venue, les saumons meurent dans les jours qui suivent le frai.

Or, les sockeyes de Wuikinuxv ont rencontré des obstacles à toutes les étapes de ce processus. Et cela a commencé bien avant 1999.

Une relation ancienne
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Quand je lui ai rendu visite dans son atelier, le sculpteur George Johnson mettait la touche finale à un magnifique totem. Celui-ci s’articule autour du nombre «quatre», qui est particulièrement important dans la culture des Wuikinuxv. Il existe en effet une espèce de saumon pour chaque saison, et un animal prédateur — dont un seul est l’être humain — pour chacune des quatre espèces locales de saumon. Tout en bas du totem, un grizzli tient un sockeye entre ses pattes. Un motif monte du bas de l’animal et court le long de son arrière-train, le connectant de ce fait au sol et à la terre.

En mangeant le saumon et en transférant ainsi l’essence frétillante d’un écosystème à un autre, l’ours rétablit le lien entre les profondeurs de l’océan et la canopée.

Jusqu’à 80% de l’azote contenu dans les arbres du littoral de la Colombie-Britannique vient des arêtes et de la chair en décomposition des saumons rejetés dans la forêt par les ours une fois qu’ils en ont consommé les parties les plus grasses. Ce poisson représente en effet de 60 à 70% de l’alimentation des grizzlis de Wuikinuxv.

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Grâce au saumon, les arbres bénéficient d’un sol plus riche. Ils lui rendent la pareille en créant l’ombre qui garde les ruisseaux au frais. L’effet stabilisateur de leurs racines empêche aussi l’accumulation de sédiments susceptibles de recouvrir et d’étouffer les œufs de poisson, ainsi que de débris qui peuvent bloquer le passage des saumons. Les arbres régulent également le volume d’eau qui alimente les ruisseaux et assurent ainsi un débit plus constant tout au long de l’année.

Ce cycle est aussi vieux que le monde. Mais les ours n’ont pas été les seuls à constater que cet aliment nutritif et facilement accessible était disponible toute l’année en abondance sur le littoral de la Colombie-Britannique.

Les Premières Nations de la côte ouest, comme les Wuikinuxv, mangeaient du saumon été comme hiver: elles le consommaient frais, fumé et séché. Les montaisons restaient fortes parce que les communautés étaient petites et qu’elles avaient recours à des pratiques durables.

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Mais la colonisation a eu les mêmes répercussions ici qu’ailleurs sur le continent: l’exploitation intensive a entrainé une raréfaction des ressources auparavant abondantes. À la fin du 19e siècle et au début du 20e, le nombre de conserveries de poisson a explosé en Colombie-Britannique. Au moins 13 de ces fabriques ont été établies à Rivers Inlet afin de tirer profit des spectaculaires montaisons observées sur place.

Il n’existe pas de données scientifiques sur l’état de la situation avant le milieu du 20e siècle — l’analyse des anneaux de croissance des arbres (qui a révélé la dépendance de ces organismes à l’égard des saumons) est limitée par la longueur des carottes pouvant être prélevées sur les énormes spécimens anciens —, mais des biologistes croient que le bras de mer accueillait plusieurs millions de saumons par année.

Les conserveries étaient terriblement efficaces: elles avaient accès à des chaines de production mécanisées, à une vaste main d’œuvre et à des flottes de bateaux. Fugg fait partie de ceux et celles qui ont travaillé dans ces fabriques et assisté à la baisse radicale des stocks de poissons. «C’était une diminution constante qui s’est prolongée jusqu’à aujourd’hui», raconte-t-il.

Au moment de la fermeture de la dernière conserverie locale, en 1957, les stocks de saumons sockeyes avaient fortement diminué. Le déclin s’est poursuivi néanmoins pendant encore un demi-siècle. Cela est notamment dû à la perte de diversité génétique associée à la diminution des populations, elle-même causée par la pêche. Le saumon est devenu plus vulnérable aux changements qui se produisaient dans son environnement.

Pour sept des dix ruisseaux à saumon en amont du lac Owikeno, ce serait un euphémisme de parler simplement de «changements». L’exploitation forestière industrielle a littéralement saccagé le bassin versant sans aucun égard pour les ruisseaux fragiles qui serpentaient sous les canopées nourries par les saumons. Deux des chantiers forestiers étaient si gros qu’ils avaient leur propre piste d’atterrissage.

Photo: Mackenzie Cooper
Photo: Marco Tjokro

«La dernière fois qu’on a eu de vraies bonnes montaisons, c’est dans les années 50 ou 60, à l’époque où l’exploitation forestière a commencé au lac. Il y a donc une partie du problème qui est dû à la dégradation de l’environnement, et une autre partie, aux changements climatiques», explique la scientifique et conseillère de bande des Wuikinuxv Jenn Walkus, une jeune femme qui a cumulé de nombreux rôles dans la communauté, y compris, pendant la pandémie, celui de coordonnatrice des opérations d’urgence.

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«Le lac ne peut pas suivre le rythme et on assiste à un changement de régime», ajoute-t-elle.

Une fois que les poissons ont quitté la rivière où ils sont nés, ils se heurtent à un éventail de nouvelles menaces. Les alevins doivent grossir rapidement s’ils veulent éviter d’être le repas d’un prédateur; c’est leur meilleure chance de survie. Ils dépendent pour ce faire des réserves de nourriture qui se trouvent dans le bras de mer au-delà du fleuve Wannock. Les changements climatiques ont cependant compliqué les choses: les cycles annuels des algues et du plancton, dont se nourrissent les saumons, ont en effet été perturbés — et cela a eu des effets désastreux.

Les stocks de saumons ont malgré tout augmenté au cours des dernières années; on en dénombre aujourd’hui des centaines de milliers. La Première Nation craint maintenant que Pêches et Océans Canada décide de rouvrir les pêcheries commerciales et que le cycle de destruction recommence. Comme plusieurs scientifiques, les Wuikinuxv doutent que l’écosystème parvienne à soutenir les volumes d’antan.

«On n’est pas si loin des chiffres d’avant, mais on ne les retrouvera sans doute jamais», soutient Brian Hunt, un océanographe biologiste à l’Université de la Colombie-Britannique. «L’océan connait des changements si radicaux qu’on ne retrouvera peut-être jamais la productivité qu’on souhaiterait.»

En quête de réponses
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Adam Nelson gare le camion dans le petit dépotoir situé à moins d’un kilomètre du village et klaxonne pour éviter de surprendre les ours qui pourraient se trouver dans les parages. Il s’y rend trois fois par semaine pour débarrasser les habitant·e·s des déchets susceptibles d’attirer les bêtes. Corey Hanuse et lui vident la boite du pickup et attendent. À peine quelques minutes plus tard, un gros grizzli déchire les sacs qu’ils viennent de déposer.

La clôture électrique installée à grands frais autour du dépotoir a tenu trois jours. Les ours l’ont ouverte comme s’il s’agissait d’une vulgaire conserve de sardines, et elle n’a pas été réparée depuis. Un peu plus tard, quelqu’un en a volé les batteries.

Corey Hanuse

Avec le temps, les grizzlis ont compris qu’ils trouveraient facilement de quoi se nourrir au dépotoir: on peut souvent les observer pendant qu’ils mangent au beau milieu des détritus. On préfère malgré tout les voir ici que dans le village.

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Pour les ours, la pénurie de saumons a été une catastrophe parmi de nombreuses autres.

Les terres plates qui entourent le village de Wuikinuxv accueillaient autrefois une forêt humide ancienne. Avec l’exploitation forestière, toutefois, le paysage a complètement changé et on y trouve maintenant une étendue de broussailles denses que Jenn Walkus décrit comme «un désert vert».

«Il n’y a pas de baies. Il n’y a rien à manger pour les grizzlis: il n’y a que de jeunes arbres qui s’entremêlent et empêchent la lumière d’atteindre le tapis forestier.»

Cette pénurie supplémentaire d’aliments force les ours à fréquenter le dépotoir et le village, où ils risquent de blesser des gens ou d’être abattus.

Les Wuikinuxv se sont longtemps opposés à l’abattage de grizzlis. Pendant des décennies, des chasseurs de trophées ont visité Rivers Inlet dans l’espoir de repartir avec une peau et des griffes d’ours. La Première Nation s’opposait à la pratique, mais le gouvernement provincial a continué d’accorder des permis. Ce n’est qu’en 2017 que la chasse aux grizzlis a été interdite sur le territoire. Il a fallu que les Wuikinuxv prennent l’initiative de recueillir suffisamment de données pour convaincre le gouvernement que les avantages qu’on tirait de cette activité avaient été exagérés, tant sur le plan des retombées économiques que du nombre d’emplois créés.

La Première Nation tente aujourd’hui de faire la même chose pour le saumon. Elle veut étudier l’écosystème pour savoir comment gérer les populations de poissons.

«Le gouvernement aime dire qu’il prend des décisions en s’appuyant sur les meilleures données scientifiques disponibles, mais, en réalité, il finance seulement les recherches qui l’intéressent», affirme Jenn Walkus.

Cet été, Johnny Johnson a capturé deux saumons à l’air malade, jaunâtres et suintants. La Première Nation les a envoyés dans un laboratoire pour une analyse. On craint en effet que les poissons aient contracté l’orthoréovirus pisciaire, un pathogène fréquemment rencontré dans les piscicultures qui peut être transmis aux espèces sauvages. Or, la surveillance des saumons en montaison n’est qu’un début.

Les résident·e·s de Wuikinuxv souhaitent trouver la réponse à une question simple, mais pressante, qui pourrait bouleverser la façon dont on gère les pêcheries: de combien de saumons les ours ont-ils besoin?

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«Je ne crois pas qu’on puisse se considérer comme une entité séparée de la nature, car on fait partie de cet écosystème. Quand on ne pense qu’aux êtres humains au moment de gérer la rivière, on laisse alors pour compte toutes les autres créatures qui se nourrissent de ses poissons», dit Jenn Walkus.

La gestion que fait le gouvernement des stocks de poissons est purement axée sur l’être humain. Elle ne tient pas compte des besoins des autres espèces, comme les ours ou les loups, ni de l’écosystème dans son ensemble.

«Le gouvernement ne pense pas à ce genre de choses, du moins pas avec les régimes actuels de gestion», ajoute-t-elle.

La science pourrait offrir une réponse plus adéquate pour tenir à distance les bateaux de pêche susceptibles de réapparaitre. La Première Nation recueille donc des données afin de démontrer qu’il suffirait peut-être, pour rétablir l’équilibre, de prendre en considération les ours dans les décisions administratives.

Trouver l’équilibre
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Les phares balayent la carrière de gravier et illuminent la poussière en suspension. Ils éclairent soudain une carcasse fripée et poilue. Ici et là, des os percent à travers la peau desséchée.

Personne ne m’avait averti qu’il y avait un cadavre de grizzli en train de pourrir à côté du dépotoir. Il a été abattu peut-être un mois auparavant, après s’être certainement trop approché du village. C’est une raison valable pour abattre un ours, certes, mais personne ne semblait fier de cette décision.

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La carcasse nous rappelle que les ours restent encore aujourd’hui une menace. Judy, la gestionnaire de l’établissement où je suis hébergé, prend donc la peine de m’expliquer ce que je dois savoir avant de m’aventurer à l’extérieur: «Si tu sens quelque chose, c’est un ours. Si les chiens se mettent à paniquer, c’est un ours.»

Judy me dit d’entrer dans la maison la plus proche en cas d’urgence: les propriétaires gardent toujours les portes déverrouillées précisément pour cette raison. Elle me remet un outil métallique à ressort de la taille et de la forme d’un stylo avec un cylindre en plastique vissé à une extrémité. C’est une cartouche anti-ours, ou bear banger, un dispositif qui contient une petite charge explosive semblable à un feu d’artifice et qui est conçu pour effaroucher les ours (trop) curieux. Je dois le prendre avec moi chaque fois que je sors.

En sortant du gite, je croise Johnny Johnson. Il rigole en voyant ma cartouche anti-ours. «Ça ne les effraye plus», dit-il. Johnson sait de quoi il parle: il a grandi à Wuikinuxv et a survécu à une violente attaque d’ours il y a une dizaine d’années.

Le 4 juillet 2011, il cueillait des baies pour sa tante quand il est tombé sur une maman ourse effrayée par les chiens de la communauté. Ce n’était pas une rencontre fortuite: les ours ont continué d’empiéter sur le village même après l’hécatombe de 1999.

«Ça fait 25 ans que je vis à Rivers Inlet et il n’y a jamais eu autant de grizzlis qu’aujourd’hui», a dit le propriétaire d’un camp de pêche à CTV News le jour de l’attaque.

L’ourse apeurée a immédiatement foncé sur le cueilleur. Il sent parfois encore son souffle et la pointe de ses dents contre son crâne, qui est marqué de cicatrices. La bête est revenue à la charge trois fois avant qu’il ne perde connaissance. Puis, elle l’a enfoui sous des broussailles.

Johnson s’est réveillé plusieurs heures plus tard dans le noir complet, enseveli sous un amas de végétation. Il a réussi à se rendre jusqu’à la maison de Fugg, située aux abords du village. Il a passé sept semaines dans un hôpital de Victoria avant de rentrer chez lui à Wuikinuxv. Il arrive que des ours viennent jouer dans ses poubelles la nuit dans l’espoir d’y trouver à manger. Il les chasse alors avec un extincteur.

Johnny Johnson

Il ne reproche pas à l’ourse de l’avoir attaqué et ne perçoit pas différemment les grizzlis depuis. «Ils ne tuent pas de sang-froid», dit-il. C’est la diminution des réserves de nourriture qui entraine des conflits entre les ours et les êtres humains. Et dans ces conflits, il y a toujours une ou un perdant.

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Le frère de Johnny, le sculpteur George Johnson, souhaitait représenter cet équilibre délicat dans le totem qu’il a créé. Celui-ci symbolise une répartition bien particulière des ressources. L’aigle, qui annonce le début de la saison avec son glatissement strident, obtient un saumon. L’épaulard, qui habite les profondeurs du bras de mer, un écosystème déjà durement éprouvé et qui le sera encore plus à l’avenir, en reçoit un lui aussi. L’ours, qui fait le pont entre la terre et la mer, obtient le troisième. Enfin, l’être humain, avec toute son ingéniosité et ses moyens, en reçoit un. Un seul.

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