Trouver son ancrage dans les Maritimes

Notre collaboratrice Catherine Bernier raconte ce qui l’a amenée à vivre avec son copain dans une cabane de pêche transformée de leurs mains en minimaison.

Texte & photos—Catherine Bernier

Je viens de La Mitis, à la croisée du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Le fleuve m’a vue grandir, nous avons partagé tous nos états. Jeune adulte, j’ai quitté ma tendre région pour la ville de Québec, où j’ai décroché un diplôme universitaire, saisi mes premières occasions de carrière, gouté à l’amour et aux précieuses amitiés. J’ai aussi beaucoup voyagé. Gabriel, mon copain, m’a fait découvrir sa passion, qui est devenue une obsession commune: le surf. Tous nos voyages se sont transformés en quête de vagues et de rencontres d’exception, loin du traintrain quotidien.

Lors d’un séjour chez une amie en Nouvelle-Écosse, alors que j’étais en pleine transition de carrière, j’ai décidé d’accoster là pendant une année. La Gaspésienne avait enfin retrouvé sa mer, en plus grandiose.

Il faut dire que je suis issue d’une longue lignée de «Gaspésien·ne·s du bout du monde» qui ont été forcé·e·s de quitter leur terre, leur mode de vie et leur communauté en 1970, exproprié·e·s pour la création du parc national Forillon. Mon père avait 16 ans lorsqu’il a quitté le «fond du cap», où il a grandi. Quand je me suis retrouvée en Nouvelle-Écosse, je m’imaginais vivre au rythme des marées comme pépé, mon arrière-grand-père, qui a passé la majeure partie de sa vie sur l’eau.

C’est en 2018 que Gabriel et moi avons jeté l’ancre en acquérant une propriété près de Halifax, sans jamais penser qu’un jour, on serait confiné·e·s… dans notre rêve de sept acres au bord de l’océan.

La terre abrite des bâtiments typiquement acadiens: un cabanon, une serre, un poulailler, une ancienne fermette du 19e siècle transformée en maison par les propriétaires précédents et une cabane de pêche près de l’eau.

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Faire son nid au bord de l’océan 
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N’étant pas originaires du coin, on a décidé d’habiter progressivement notre nouveau territoire et de le partager. Ben et Lis, nos locataires, habitent la maison qui surplombe le bras de mer de Chezzetcook et l’océan Atlantique. On peut toujours compter sur ces deux-là, et vice versa.

Gabriel et moi avons décidé de simplifier notre mode de vie et de transformer la cabane de pêche en minimaison. À quelques mètres de la berge, elle s’avérait toute désignée pour qu’on y fasse notre nid, même si le chemin d’accès n’était pas carrossable et qu’il n’y avait ni eau potable, ni électricité, ni installations septiques…

Bonjour l’autosuffisance, on allait apprendre! Transporter un divan-lit en brouette sur une pente descendante de 1 000 pi puis nos bagages à bout de bras après neuf heures de route, faire nos besoins dans le bois, attendre la pluie pour laver la vaisselle, se laver à la débarbouillette? Pas de problème! La proximité de l’océan et les feux sur la grève en bonne compagnie compensaient largement ces inconforts.

À la fin de l’été 2019, on s’est mis à rêver d’un léger agrandissement. Ça nous semblait faisable: Gabriel a de l’expérience en construction et en gestion de projets d’architecture mobile. Quant à moi, j’ai l’œil pour le design et j’aime le travail manuel. On était loin de soupçonner que le chantier s’étalerait sur deux ans encore… sans compter la pandémie, avec les quarantaines qu’exigeraient nos nombreux allers-retours entre les deux provinces!

De la boue jusqu’aux genoux
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À l’automne, Gabriel s’y est installé avant moi pour commencer les travaux. Il fallait d’abord élargir et consolider le chemin d’accès et faire passer l’eau potable de la maison à la cabane. À mon arrivée, j’ai frappé un mur, ou plutôt, une excavatrice et un dix roues. Notre joli chemin gazonné bordé de muriers sauvages s’était transformé en une large voie boueuse! Gabriel était debout dans la tranchée en train de dérouler un tuyau pendant que Jason, notre excavateur, suivait en remblayant le fossé. Ce qui devait prendre une semaine en a pris trois. Sous un ciel inconsolable, l’agrégat de fond disparaissait sous la boue, comme dans du beurre. Le tiers de notre budget réno venait d’être englouti par un tas de cailloux!

Des semaines de boue et de mauvais temps, c’est dur sur le moral… Le 19 octobre, anniversaire de Gabriel, il grêlait. Toujours pas de chemin, ni d’eau potable, ni de bon surf… On s’est dit: «Fuck off, on va passer notre dernière semaine de vacances au Salvador!» Quarante-huit heures plus tard, on surfait en eaux chaudes.

Rénover hors réseau, lentement, mais surement
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À l’hiver 2019, Jason a terminé l’aménagement du chemin. Sur le sol gelé, l’agrégat restait en place. L’eau potable était enfin connectée, à l’extérieur. C’était un grand progrès, même si on ne pouvait toujours pas compter sur une douche pour se réchauffer après avoir surfé à -4 °C.

Au printemps, après avoir amendé le sol pour qu’il puisse accueillir le lit de verdure tant attendu, il était temps de réfléchir au plan d’agrandissement. On a évalué nos besoins, puis tracé les divisions au sol: un hall d’entrée pouvant accueillir deux surfeur·euse·s trempé·e·s, une salle de bain adjacente, un grand garde-robe pour ranger les surfs, les wetsuits et les outils, un garde-manger/chambre froide qui servirait aussi de garde-robe et un espace de travail encastré dans le couloir.

Au deuxième été, malgré plusieurs allers-retours, nos travaux n’étaient pas aussi avancés qu’on l’aurait souhaité. Il faut dire que le surf et les journées à la plage entre ami·e·s nous distrayaient… Il ne fallait tout de même pas perdre de vue nos intentions premières!

Au début de l’automne, Jason a érigé les fondations à l’aide de tubes de coffrage surdimensionnés afin de bien attacher la cabane existante à la nouvelle partie et surtout, d’assurer sa résilience aux intempéries. Comme surfeur·euse·s, on entretient une relation amour/haine avec les ouragans. D’une part, les tempêtes bien orientées forment les meilleures vagues. D’autre part, elles effritent la côte déjà fragile. La Nouvelle-Écosse est particulièrement exposée aux intempéries et subit d’importants dommages causés par l’érosion. Mieux vaut le savoir lorsqu’on achète une propriété aux abords côtiers, et planifier un budget de protection et de réhabilitation des berges.

Du renfort à bâbord
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Pour nos secondes «vacances»  automnales à la cabane, Ben, charpentier-menuisier de métier, est venu nous aider à construire l’ossature de la rallonge. Les collègues de Gabriel, Mario et Sébastien, nous ont ensuite donné un solide coup de main pour l’isolation, l’électricité, la plomberie et la fameuse douche en céramique à laquelle je tenais mordicus.

Impossible de planifier des rénos, petites ou grandes, sans laisser de traces dans l’environnement. D’où l’importance de faire des choix consciencieux en amont. On a donc tenté d’utiliser des surplus de construction, dont de la laine minérale, des tuyaux pour la plomberie et des fenêtres que le père de Gabriel avait récupérées. Des ami·e·s nous ont même offert des planches de pin qui ont servi au revêtement intérieur.

J’ai particulièrement aimé poser le bardeau de cèdre au gun à clou. C’est presque méditatif! Avec un peu de pratique, on retrouve l’agilité instinctive de l’être humain pour le travail manuel.

Comprendre le fonctionnement du système des panneaux solaires s’est avéré pas mal moins méditatif… Jeremy, l’ancien propriétaire, l’avait lui-même installé, avec l’intention de transformer la cabane en bureau. Nous avons donc bénéficié de cette installation initiale. Maintenant, il fallait apprendre à reconnecter tout ce beau filage au bon endroit. Bonjour le Tetris électrique!

Entre les allers-retours à la quincaillerie, les séances de surf et de marteau, le projet prenait sérieusement forme.

À l’hiver 2020, on a eu la brillante idée de passer nos vacances des Fêtes à sabler les planchers. Après avoir passé des heures à quatre pattes à s’échiner sur un petit carré de plancher avec une sableuse orbitale, on s’est rendu·e·s à l’évidence: il fallait louer une sableuse industrielle. Le problème, c’est que notre génératrice n’était pas assez puissante pour une telle machine! On a finalement réussi à démarrer l’outil en lui donnant un certain angle. Et que dire de la poussière de bois qui s’est accumulée dans tous les recoins imaginables…

Confiné·e·s dans notre rêve de 450 pi2 
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En mars, à l’aube du confinement total et après avoir vendu notre condo à Québec, on a décidé de s’installer dans notre minimaison. À cause de la pandémie, l’entreprise de Gabriel était en arrêt temporaire, et moi, je pouvais travailler à distance.

La pause forcée a permis de finir l’électricité, les planchers, les cabinets de la cuisine et le champ d’épuration, de construire une douche extérieure et même d’aménager une platebande garde-manger… de loin ma partie préférée! Des argousiers et des rosiers, deux arbustes résilients, s’entremêlent à des plants de fraises, de menthe, de romarin et de lavande.

En attendant impatiemment l’arrivée d’un frigo, d’un chauffe-eau, d’une plaque de cuisson et d’un réservoir à propane, on a développé toutes sortes de stratégies pour gérer l’énergie et éviter la perte de nourriture. Il fallait notamment disposer nos glacières au sol, les remplir de neige et les vider régulièrement, planifier un menu par dates de péremption et chauffer de l’eau sur le poêle pour se couler une simili douche. Je dois avouer qu’il y a des moments où j’ai rêvé d’un bon bain chaud…

Photo: Emma Duchaine

Dans notre petit refuge, l’anxiété gagnait tout de même nos esprits. Qu’allait devenir le monde? La pandémie nous rappelle que nous devons collectivement, de toute urgence, réapprendre à vivre plus sainement sur Terre. Cette prise de conscience m’a rassurée. J’ai trouvé de l’espoir, dans la noirceur.

Les mois suivants nous ont permis de renforcer nos liens avec le voisinage et de connaitre le sens véritable du mot «entraide». On a troqué nos soirées au resto pour l’observation des oiseaux migrateurs, nettoyé la plage, préparé nos semis de subsistance avec nos locataires et aménagé de nouveaux sentiers dans le boisé. On a pris le temps de mieux comprendre le fonctionnement de l’écosystème naturel et collectif dans lequel on vivait. Mieux ancré·e·s au territoire, on a eu envie de le protéger davantage, comme une partie de nous.

On s’est rendu compte de la chance qu’on avait non pas de posséder une propriété, mais de vivre dans un environnement «entier». Et pourtant, habiter près de l’eau, d’une forêt, au sein d’une communauté soutenante, ne devrait pas être un privilège. Un ancrage au territoire est synonyme de cohérence identitaire.

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Tout récemment, on est passé·e·s de cabane autosuffisante à minimaison «semi-branchée». Gabriel a creusé une nouvelle tranchée pour connecter la fibre optique et l’électricité. On est restreint·e·s à 15 ampères, mais cela est suffisant… pas pour brancher un séchoir à cheveux, mais tant pis, c’est loin d’être essentiel! Ayant manqué d’un peu de tout, on apprécie d’autant plus nos nouvelles commodités, ne serait-ce que de pouvoir naviguer sur le web sans se soucier de l’économie de nos batteries solaires. C’est un choix assumé qui s’accorde à notre nouvelle manière de travailler et qui nous permet de poursuivre nos activités professionnelles tout en vivant dans un milieu propice à la régénération de nos esprits surmenés.

Voilà que mon troisième printemps à la cabane s’amorce avec une convalescence. Après avoir subi une commotion cérébrale en surf, je dois ralentir. Étrangement, malgré les désagréments qui l’accompagnent — dont celui de ne pas pouvoir pratiquer mon sport préféré —, cette période me donne l’occasion de contempler pour la première fois le mode de vie que j’ai choisi. Forcée de m’arrêter, j’ai radicalement diminué le nombre d’heures que je passe à l’écran. J’en profite pour mettre la dernière touche à l’aménagement de la cabane et jardiner. Le grand héron est revenu; j’ai marqué son retour au calendrier. J’entends le bourdonnement des homardiers qui rentrent au port. J’observe les mouettes se courtiser. Le temps est doux dans mon petit bout du monde. J’imagine que c’est comme ça qu’il se sentait, pépé, dans sa chaloupe à Cap-des-Rosiers.

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Quelques conseils…
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On est loin d’être des expert·e·s, mais voici 15 choses que nous avons apprises et qui pourraient être utiles à d’autres:

  1. Bien comprendre le territoire dans lequel on s’insère. Quel est le portrait culturel et environnemental du lieu? Par exemple, y a-t-il un problème d’érosion majeur? S’informer, avant de planter quoi que ce soit, au sujet des espèces indigènes et des espèces potentiellement invasives.
  2. Se présenter aux voisines et aux voisins, s’ouvrir à leur histoire et à leurs conseils aussi. Plusieurs y habitent depuis des générations et ont une profonde connaissance du territoire. Ils et elles en ont vu, des tempêtes!
  3. Choisir des produits ménagers biodégradables et des vernis à base d’eau.
  4. Ne pas hésiter à demander à son entourage des surplus de matériaux de construction.
  5. Si le chauffage est au bois, récupérer les matériaux de construction sans vernis ou colle, le bran de scie et les résidus de sablage pour alimenter le feu.
  6. Se questionner quant au choix d’alimentation en énergie. Évaluer l’exposition au soleil de la région. Les panneaux solaires ne sont pas toujours la meilleure option, surtout au Canada, où le temps d’ensoleillement durant l’hiver est limité. Il faut changer les batteries tous les cinq ans, voire plus souvent, selon notre consommation d’énergie. Si l’habitation est relativement proche d’un réseau hydroélectrique, s’y brancher est peut-être une meilleure idée.
  7. Idéalement, habiter le lieu avant d’entamer des rénovations. Sur place, les besoins sautent aux yeux!
  8. Récupérer du bois de plage pour la fabrication de petits crochets, tringles et tablettes.
  9. Prévoir beaucoup d’espace de rangement, surtout lorsqu’on pratique un sport qui exige de l’équipement. Un espace sous le patio est idéal pour ranger du matériel.
  10. Oser les pièces hybrides. Par exemple, un garde-robe/garde-manger.
  11. Dès le début, installer à l’extérieur un bac à compost. Utiliser des surplus de matériaux de construction pour le fabriquer.
  12. Encourager les artistes locaux, les ébénistes, les artisan·e·s textiles et les friperies du coin. C’est une belle manière de s’introduire dans une nouvelle communauté, de soutenir l’économie locale et d’acheter des objets nettement plus durables.
  13. Se procurer une génératrice assez puissante pour les travaux!
  14. Si l’habitation est branchée au propane, installer une connexion pour le BBQ au lieu d’utiliser des bonbonnes.
  15. Enfin, se donner du temps. Rénover peut s’avérer un vrai calvaire quand on est pressé. À l’inverse, l’aventure peut apporter une grande satisfaction lorsqu’on l’aborde patiemment!

Rédactrice et photographe indépendante, Catherine Bernier est aussi diplômée en psychologie de l’orientation et en méditation. Originaire de Sainte-Flavie, en Gaspésie, elle cultive un lien privilégié avec l’océan et les territoires sauvages.

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