La maison ancestrale de la famille Rhéaume Gonzalez | BESIDE

La maison ancestrale de la famille Rhéaume Gonzalez

Dans le Vieux-Cap-Rouge, la rénovation d’une maison centenaire se transforme en réflexions sur le patrimoine, en apprentissages et en rencontres.

Texte—Juliette Leblanc
Photos—Alma Kismic

Je traverse le festival de cônes orange du pont Pierre-Laporte pour aller à la rencontre de la famille Rhéaume Gonzalez. Au tournant d’une rue du Vieux-Cap-Rouge, m’y voilà: les  belles maisons avec revêtements de bois et bardeaux de cèdre, colorées ou grisonnées par l’âge, s’alignent dans le quartier historique.

Dominique Rhéaume, Marina Gonzalez, leur fille Maïté et son fils Thomas me rejoignent alors que j’admire l’audacieux échafaudage qui enserre la maison. On m’explique que Thomas, quatre ans, résiste difficilement à l’envie d’escalader régulièrement la structure.

Dans un joyeux fouillis, nous visitons le chantier avant de nous assoir sur des buches et des roches autour d’une ancienne trappe de plancher posée sur des poutres, à l’arrière de la maison.

Ici, le matériel vit. Chaque planche de bois est vue, réellement vue et considérée, tournée dans tous les sens et posée à l’endroit où elle pourra entamer une nouvelle vie — une énième vie — au sein d’un foyer attentif à sa patine. Ici, personne ne coupe les coins ronds et on connait la valeur d’une délibération en groupe.

Tout de suite, on plonge dans le vif du sujet et on me raconte la genèse du projet.

Été 2020

À la recherche d’un lieu de vie pour elle et son fils Thomas, Maïté Rhéaume Gonzalez considère toutes les options, en passant par un appartement ou une maison mobile.

 

«Ma définition de maison est avant tout celle d’une demeure, d’un lieu de vie plutôt que les poutres et les murs qui la forment», précise-t-elle.

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Son père la talonne et l’idée d’acheter une maison ancestrale à rénover fait finalement son chemin. Il faut dire que Maïté a elle-même grandi dans une demeure ancienne rénovée avec patience et minutie par ses parents.

Automne 2020

La maison est acquise et Maïté accueille avec enthousiasme l’aide de ses parents pour entreprendre les rénovations. Demandes de subventions, plans d’architecte et  conversations de restauration s’enclenchent chez les Rhéaume Gonzalez.

Printemps 2021

La maison est reculée d’environ trois mètres par une équipe; les fondations d’origine, en pierre, sont démantelées. Depuis, le clan se réunit pour restaurer cette demeure qui deviendra celle de Maïté et de son fils.

Valoriser le passage du temps

En restaurant une telle propriété, on tombe bien évidemment sur de minuscules aperçus de son passé: Marina raconte qu’elle a gratté jusqu’à quatre couches de papier peint sur certaines planches, une pelure à la fois, une époque à la fois, une famille à la fois, pour reprendre à zéro et leur offrir la chance de s’imprégner à nouveau d’un cocon familial.

«C’est quelque chose à valoriser, je pense, les objets et les matériaux qui ont vécu», explique-t-elle.

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Maïté et son père attirent mon attention sur les carreaux de fenêtres. Certains ont dû être changés. «Regarde la différence, les vieux ont une texture dans le verre, qui était sans doute soufflé à l’époque, ça donne un effet presque givré», me fait remarquer Dominique. J’admire la subtilité de ces distinctions et je m’imagine Thomas grandir en connaissant par cœur les crevasses des vitres.

Cet article est d’abord paru dans le numéro 13 de BESIDE sur le thème de la maison.

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En discutant avec les Rhéaume Gonzalez, je constate que le désir d’authenticité guide leur démarche, mais pousse aussi chacun·e à la réflexion. Pour la famille, retourner à l’état d’origine d’une maison s’avère un processus intéressant, certes, mais la création d’un lieu de vie demeure l’objectif premier du projet.

«Tout le monde dit toujours que c’était mieux avant, explique Dominique, que la seule version parfaite d’une maison, c’est la première. Mais on bâtit un espace de vie, pas un musée.»

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Ainsi, on rénove dans un esprit de restauration «authentique», mais on ne s’en fait pas si on égratigne les lattes du plancher.

Précieuses rencontres

Pour les Rhéaume Gonzalez, le dialogue et l’entraide forment le fil conducteur de ce projet colossal. Grâce aux gens qui entourent Maïté, cette maison se matérialise: leurs responsabilités, leurs réflexions et leurs travaux en affectent concrètement chaque aspect.

La famille contacte parfois des entrepreneur·euse·s en construction chargé·e·s de démolir des maisons anciennes, afin de récupérer des matériaux. Dominique et Marina passent aussi au peigne fin les annonces de matériaux à vendre ou à donner, ce qui mène souvent à de belles rencontres. C’est ainsi qu’ont été dénichés l’escalier (à Saint-Jean-Chrysostome) et les fenêtres (près de Montréal). Finalement, la maison de Maïté et de Thomas sera faite de petits morceaux de partout au Québec.

Dans un univers où le gypse, le plastique et IKEA sont rois — une situation, il faut bien l’admettre, souvent imposée par les limites de notre portefeuille —, le succès des projets de restauration repose sur la volonté des nouveaux·elles propriétaires à faire soi-même les travaux.

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Cet hiver, le projet de cheminée de masse a occupé toute la famille. Elle sert au chauffage principal de la maison, qui ne compte aucun calorifère électrique. La pierre de la fondation d’origine a été récupérée pour fabriquer la base d’un foyer de masse au sous-sol. Puis, la cheminée à l’étage a été fabriquée par un maçon qui, à son tour, a fait appel à son propre professeur. Ce dernier s’est déplacé d’une autre région du Québec pour préparer et appliquer un mortier de l’époque qui ne contient pas de ciment et qui exige une main expérimentée.

Les communautés en ligne sont également d’une grande aide. «Des réseaux se forment, avec des passionné·e·s qui partagent des techniques, des informations… C’est super de voir d’autres gens intéressés par la préservation de techniques anciennes», dit Marina.

Je fais référence à mes propres tendances obsessionnelles de rénovation old school, puis on rigole de la facilité à se perdre dans un vortex de vidéos YouTube pour apprendre connaitre la quantité exacte et le type de sable qu’il faut ajouter à la chaux pour préparer ce fameux mortier.

Apprendre…ensemble

Pendant que je suis encore en train de visiter le chantier des Rhéaume Gonzalez, un ami de Maïté, Simon, se joint à nous. Il raconte que, dès qu’il a entendu parler du projet, il s’est proposé pour donner un coup de main. Son parcours en urbanisme et en architecture le mène à se questionner sur la valeur du travail et les compétences à léguer aux générations futures.

«Nous sommes une génération qui n’a appris qu’à se déposséder de la capacité à faire soi-même. Un projet comme celui-là, ça nous permet de toucher, toucher pour vrai, nos milieux bâtis», dit Simon.

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Dominique le répète souvent au cours de l’entretien: la plus grande réussite et la pierre angulaire de ce projet, ce sont les liens qui ont été créés au cours de sa réalisation. Il tend la main vers Simon, dont l’opinion est devenue indispensable à toutes les étapes. Ils et elles ont su créer des liens dans l’adversité, au milieu de défis qui, pour un pareil projet, sont multiples: matériaux, connaissances, budget, demandes de subventions, dialogues avec les divers·es intervenant·e·s…

Puis, il fait référence à leur voisin, qui pendant près de 20 ans avait été une connaissance anonyme, mais qui au terme d’un échange de services — «si tu me prêtes ta remorque, je vais te la rénover» — est devenu un réel ami avec qui boire un scotch de temps en temps. Ou encore à Donald, ami d’un ami qui est venu prêter main forte pour tailler les poutres de la fondation. Ou encore… Les anecdotes se succèdent.

Et, à les écouter discuter de l’utilisation optimale des planches ou de la manière de refaire les lucarnes, je réalise que devant moi ne se dévoile pas qu’un récit de rénovation. Devant moi se dévoile un exemple criant de communauté: ça prend un village pour en bâtir un.

La famille Rhéaume Gonzalez sait cultiver les imperfections d’une vieille maison, en respecter l’histoire et s’en imprégner tout en la nourrissant. Entre les souvenirs d’enfance de Maïté dans la maison de ses parents et ceux à venir de Thomas à Cap-Rouge, le fil se tend entre les générations.

Juliette Leblanc a quitté Montréal pour s’installer à la campagne. Au-delà de son travail de rédaction et de recherche, elle est éducatrice à la petite enfance, où elle apprend quotidiennement à cultiver sa capacité d’émerveillement.

 

Alma Kismic est photographe depuis maintenant cinq ans. Elle signe chacun de ses portraits avec nuance, authenticité et douceur. Elle voue également un grand amour à la nature, aux textures et à l’être humain, des sources d’inspiration dans ses œuvres minimalistes.

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