Du design autochtone pur et dur

Les communautés autochtones partout au Canada font face à une grave pénurie de logements, et les programmes gouvernementaux n’ont pas réussi à proposer des solutions collaboratives. L’initiative One House Many Nations souhaite combler ce vide en construisant de petites maisons dans l’esprit du savoir-faire traditionnel et dans une optique de durabilité.

Texte—Amber Bernard
Photos—Carey Shaw

Pour la plupart d’entre nous, la maison est synonyme de refuge, mais pour de nombreuses communautés autochtones du Canada, la réalité est tout autre. Le manque de logements fragilise les familles, particulièrement les jeunes autochtones. Bien souvent, les gens doivent se résoudre à vivre entassés dans des logements trop petits ou inadaptés à leur situation. En fait, selon un rapport de recensement effectué par Statistique Canada en 2016, une personne autochtone sur cinq vit dans un logement nécessitant des réparations majeures.

Malgré les efforts déployés pour remédier à ces problèmes, le gouvernement fédéral n’a pas réussi à prendre en considération les besoins particuliers de chaque communauté dans les différentes nations. Généralement, les initiatives gouvernementales ont tendance à ne pas inclure la communauté dans le processus de conception et de construction de maisons, selon Alex Wilson, docteure en psychologie et directrice du Centre de recherche sur l’éducation autochtone à l’Université de la Saskatchewan et membre de la Nation crie d’Opaskwayak.

Alex Wilson prend des mesures pour rétablir ce déséquilibre; elle est organisatrice au sein d’Idle No More, un mouvement autochtone révolutionnaire qui vise à lutter contre la crise du logement par une approche individualisée.

«Si nous avons été capables de nous loger nous-mêmes pendant des millénaires, rien de nous empêche de revenir à nos origines et d’adapter nos techniques au contexte moderne», soutient Alex Wilson.

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Alex Wilson est à l’origine de One House Many Nations, un projet de construction de logements dont l’objectif est de trouver des solutions communautaires pour les personnes sans-abris. Des membres de la communauté mènent l’initiative en favorisant la durabilité et la tradition, deux piliers de la sagesse autochtone, et en concentrant leurs efforts sur les jeunes.

«C’est évident que la crise du logement n’est pas un problème de construction; c’est un problème issu du système en soi», explique la chercheuse dans une entrevue téléphonique, évoquant les conséquences de ce qu’elle appelle «l’économie coloniale», qui traite les communautés autochtones comme des détails sans importance. Les effets passés et présents de la colonisation continuent de nuire à l’autodétermination des communautés autochtones et font obstacle à leur appartenance au territoire. Idle No More lutte contre les systèmes d’oppression et favorise la reprise en main des Autochtones de leur propre destin. Le fait de trouver des solutions au problème de logement «nous permettra de nous attaquer à de plus grands enjeux, comme ceux concernant l’éducation, la santé et les services sociaux», poursuit-elle. Dans cette optique, le projet One House Many Nations ne se limite pas à une collaboration avec des membres de la communauté; il leur permet de prendre les rênes du processus.

En 2019, One House Many Nations a créé la Muskrat Hut, une remorque utilitaire primée conçue pour venir en aide aux personnes vivant en relation de proximité avec la terre. Le nom «Muskrat Hut» — qu’on pourrait traduire librement par «refuge du rat musqué» — rend hommage aux habiletés naturelles de l’animal en matière de construction hydroélectrique et rappelle son importance comme symbole dans la conception du monde du peuple cri.

«Nous avons choisi ce nom parce que le rat musqué fait partie de notre cosmogonie, précise Alex Wilson. Dans le passé, il a été au cœur de notre alimentation, mais il a aussi joué un rôle très important dans le commerce de la fourrure et la spiritualité.»

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En plus de permettre aux personnes qui le souhaitent de passer de longues périodes près de la terre, la Muskrat Hut a été conçue pour minimiser l’impact humain sur la nature et offrir aux Autochtones la possibilité de vivre en communion avec leur environnement, comme leurs ancêtres l’ont fait dans le passé.

La Muskrat Hut intègre également des éléments traditionnels; par exemple, son toit est incliné à un angle de sept degrés. Cat Sallese, étudiante en design d’intérieur à l’Université de la Saskatchewan et auxiliaire de recherche auprès d’Alex Wilson, explique: «Le chiffre sept n’est pas le fruit du hasard. Il représente les sept directions sacrées.» (Les sept directions sacrées — le nord, le sud, l’ouest, l’est, le haut, le bas et le centre de l’individu — sont un aspect important de la vision du monde pour de nombreuses communautés autochtones.) Cat Sallese se considère comme une Canadienne colonisatrice profondément engagée dans la valorisation des mouvements autochtones.

Un design foncièrement autochtone
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À l’heure actuelle, One House Many Nations travaille à l’expansion du projet initial de la Muskrat Hut en vue de bâtir d’autres petites maisons dans le respect de la philosophie autochtone de durabilité et de protection des terres. Grâce à une bourse accordée par le laboratoire d’innovation sociale Making the Shift et échelonnée sur cinq années, Alex Wilson et son équipe peuvent travailler avec plus de communautés afin d’offrir de meilleures options de logement aux jeunes autochtones. «Nous essayons de faire du design d’un point de vue autochtone», affirme-t-elle. La subvention servira à construire des maisons sur le territoire de nations cries de Opaskwayak, Big River, Yellowknife et Nutana Collegiate, à Saskatoon.

C’est à Nutana Collegiate que se construit la toute première petite maison financée par la bourse de recherche Making the Shift. Bien que le projet soit toujours en chantier et qu’il n’ait pas encore de nom, la nouvelle maison devrait être transportée sur le territoire de la Première Nation de Big River, où la communauté finalisera le design intérieur. La maison pourra ensuite accueillir un·e jeune.

Plutôt que d’opter pour le même modèle partout, les membres de One House Many Nations veulent que des communautés différentes dirigent les projets du début à la fin.

«Chaque nation a sa propre langue, ses propres coutumes et sa propre identité, qui porte les racines profondes et les influences de la terre», explique Reanna Merasty, une étudiante en recherche architecturale dans le cadre de la bourse Making the Shift.

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C’est le succès unique de la Muskrat Hut qui a poussé Reanna Merasty, originaire de la Première Nation de Barren Lands, à se joindre à l’équipe d’Alex Wilson.

L’approche de One House Many Nations en matière de design autochtone conçu par la communauté représente le début d’une initiative à la fois révolutionnaire et pratique, qui est une grande source de motivation pour la directrice. «Je consacre tous mes temps libres à ce projet-là», dit-elle. Elle espère que ses efforts permettront un jour de créer un village multigénérationnel où les Autochtones pourront partager leurs ressources et vivre en harmonie avec leur environnement, comme avant.

Amber Bernard, elle, est Micmac (Première Nation de We’koqma’q) et est originaire du territoire non cédé du Mi’kma’ki, mieux connu sous le nom de provinces de l’Atlantique. Elle est une journaliste et une spécialiste en communication qui a travaillé pour de nombreux médias au Canada.

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