Laurentides: La forêt guide l’industrie

Privilégier les produits de bois fait partie de la solution aux changements climatiques, mais la préservation des forêts aussi. L'industrie forestière des Laurentides cherche à maintenir cet équilibre fragile.

Texte—Valérie Levée
Photos—Arseni Khamzin

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Avec ses sentiers de randonnées, de vélo de montagne, de motoneige, ses pentes de ski, ses terrains de golf, ses pourvoiries, la région des Laurentides est le terrain de jeux des adeptes des activités de plein air et de nature. Mais ces attraits récréotouristiques s’accompagnent d’un développement domiciliaire et de villégiature et, pour construire toutes ces habitations, il faut bien couper des arbres. Situation paradoxale où l’amour de la nature conduit à la destruction d’une part de la forêt.

Construire en bois est cependant une solution préconisée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour lutter contre les changements climatiques. «On recherche comment fabriquer une machine à stocker le carbone, mais elle existe déjà, c’est un arbre», affirme Samuel Royer-Tardif, biologiste et chercheur au Centre d’enseignement et de recherche en foresterie, associé au Cégep de Sainte-Foy.

Par la photosynthèse, l’arbre transforme le CO2 en cellulose et autres composés qu’il stocke dans son tronc et qu’il conserve, même une fois transformé en planches. Construire en bois, c’est donc emmagasiner le CO2 dans les maisons.

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Bien sûr, couper trop d’arbres risque de réduire la captation du CO2 par la photosynthèse. Il est donc absolument essentiel que les activités forestières soient gérées avec soin pour que l’écosystème puisse à la fois se renouveler durablement, continuer de capter les émissions et fournir nos matériaux de construction.

L’organisation à but non lucratif Signature Bois Laurentides a été créée pour promouvoir et synchroniser les projets développés par les entreprises forestières et de transformation de bois de la région. En tirant parti de la diversité inhérente à la forêt, la coupe sélective des forêts laurentiennes est gérée avec attention tant pour la santé de la planète que pour le plaisir des amoureux·euses de la nature du coin.

Numéro 13

Cet article est tiré de notre plus récent numéro: Maison

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Couper pour que la forêt repousse
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Depuis L’erreur boréale, film documentaire qui a révélé en 1999 des pans entiers de forêts décimées au Québec, les pratiques ont changé. Les coupes intensives n’ont certes pas disparu de la forêt boréale, mais dans les Laurentides, elles se font rares. Dans tous les cas, une coupe ne constitue pas systématiquement de la déforestation si la forêt repousse, contrairement à celle sacrifiée au bénéfice de l’étalement urbain.

Aujourd’hui, la forêt québécoise publique et privée est intégralement cartographiée avec la nature du sol, le relief, les cours d’eau, les essences et l’âge des arbres. Avec cette cartographie, le forestier en chef du gouvernement calcule la possibilité forestière, c’est-à-dire le volume de bois qu’il est possible de récolter en s’assurant de ne pas tronçonner la forêt plus vite qu’elle ne pousse.

De cette manière, seulement 1 % de la forêt publique est récoltée annuellement (selon un plan d’intervention prévu par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs). En forêts privées, les récoltes sont moindres, car les propriétaires n’ont pas tou·te·es des objectifs de production de bois. Certain·e·s veulent préserver l’habitat du chevreuil ou de l’orignal, par exemple, ou simplement entretenir leur terrain boisé.

En terres publiques ou privées, les coupes tendent maintenant à suivre le principe de l’aménagement écosystémique, qui consiste à imiter les perturbations naturelles que composent les chablis, les feux de forêt ou les épidémies d’insectes.

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Ces perturbations créent des ouvertures de tailles variables propices au rétablissement des différentes essences. «Les espèces pionnières comme le peuplier faux-tremble se rétablissent après les feux de forêt ou les épidémies d’insectes. Le hêtre et l’érable à sucre tolèrent les conditions avec peu de lumière et sont favorisés par les petites ouvertures. D’autres, comme le bouleau jaune, ont besoin d’ouverture intermédiaire», indique Samuel Royer-Tardif.

Les Laurentides sont riches de leurs noyers, frênes, cerisiers, tilleuls, chênes… «Il faut créer des ouvertures variées pour régénérer ces espèces. Les coupes qui n’ouvrent pas le couvert forestier favorisent l’érable, le hêtre et le sapin», explique Pierre Baril, directeur général de la Coopérative Terra-Bois, qui fait des travaux d’aménagement dans les forêts privées. La variété des essences favorise par ailleurs la biodiversité faunique et procure à un écosystème une plus grande résilience face aux perturbations.

Outre les ouvertures, les opérations forestières doivent suivre les directives de préservation des sols, des cours d’eau et des zones sensibles, inscrites dans le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État et dans le Guide terrain: saines pratiques d’intervention en forêt privée de la Fédération des producteurs forestiers du Québec.

«Le gouvernement nous remet des cartes d’opérations forestières où tout est identifié, les cours d’eau, les lignes de trappe, les visuels à respecter», assure Sébastien Crête, directeur du Groupe Crête. «On tient compte des cours d’eau, on installe les traverses aux meilleurs endroits pour limiter les impacts sur les ruisseaux, on surveille l’érosion et la sédimentation des cours d’eau…», précise David Armstrong, ingénieur forestier chez Terra-Bois.

En place dans les Laurentides depuis quelques décennies, ces pratiques donnent déjà des résultats. David Armstrong et Guilhem Coulombe, directeur de la foresterie chez Louisiana-Pacific, une entreprise de fabrication de panneaux de copeaux orientés, estiment que dix ans après la coupe, on ne voit plus où sont passées les machines. «Si on fait une coupe partielle de 50 % en 2022, la jeune génération laissée sur place aura grandi et pourra être récoltée en 2050», estime Sébastien Crête. Guilhem Coulombe et Pierre Baril parlent de rotations de coupe tous les 10 à 30 ans avec des récoltes partielles de 25 à 40 % des arbres.

Un écosystème industriel diversifié
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Dans les années 80, la forêt des Hautes-Laurentides était aux mains de deux entreprises, James Maclaren et Canadian International Paper, qui produisaient alors principalement du papier journal à partir de résineux. «Pour elles, les feuillus étaient de la mauvaise herbe», se souvient Denise Julien, secrétaire de fondation de la Coopérative forestière des Hautes-Laurentides.

Même le gouvernement avait élaboré un plan pour remplacer les feuillus des Laurentides par des résineux, et son régime forestier privilégiait ces grandes compagnies. Ne restaient que des miettes pour les petites scieries et entreprises de transformation du bois. «Elles n’étaient pas d’accord avec le plan d’enrésinement et voulaient travailler avec toutes les essences de la forêt», évoque Denise Julien. Elles ont affronté les instances politiques pour exiger, avec succès, que l’aménagement vise la diversité des essences et que les entreprises de toutes tailles y aient accès.

Aujourd’hui, la foresterie des Laurentides forme un écosystème économique calqué sur la diversité de l’écosystème écologique. Signature Bois Laurentides, s’inscrit dans cette continuité. «On couvre l’ensemble de la chaine, partant de la récolte jusqu’à la troisième transformation du bois, et on fait travailler les entreprises ensemble pour valoriser les nombreuses essences d’arbres», décrit Justine Éthier, directrice générale de Signature Bois Laurentides.

Le résultat prend la forme d’une diversité de produits, dont un bel éventail de matériaux de construction, autant pour les charpentes que pour les revêtements et le mobilier. Par exemple, le Groupe Crête exploite les résineux pour en faire des bois de sciage et des revêtements extérieurs. Louisiana-Pacific récolte du peuplier et du bouleau pour en produire des lamelles de bois qu’elle assemble en panneaux de copeaux orientés. La scierie C. Meilleur se spécialise dans le cèdre blanc. Commonwealth Plywood fabrique des planchers de bois franc; Maxi-Forêt, des revêtements extérieurs; Uniboard, des panneaux de particules; Mirabûches, des buches écologiques et de la litière; Stella-Jones, des poteaux de téléphone en pin rouge; Harkins, des maisons de bois rond en pin blanc…

Si l’écosystème industriel optimise la diversité offerte par la forêt, il fait aussi la guerre au gaspillage.

«On optimise la ressource. Cent pour cent de la matière première qui sort de la forêt et qui rentre à l’usine est valorisée. Rien ne va au site d’enfouissement», assure Sébastien Crête.

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Chaque billot est écorcé et mesuré en longueur et en diamètre pour maximiser la production de revêtements extérieurs et de bois d’œuvre de diverses dimensions. Les copeaux sont envoyés à Papiers White Birch, la sciure part chez Mirabûches et Uniboard. Quant aux écorces, elles servent à chauffer l’usine, et la cendre est acheminée aux agriculteur·rice·s comme fertilisant.

Un nouveau créneau émerge même pour synthétiser des biomolécules à partir de bois de faible qualité dans la perspective de remplacer des molécules issues du pétrole, notamment dans les cosmétiques.

Si les forêts sont bien gérées, le bois qu’elles fournissent peut être utilisé à son plein potentiel en tant que ressource écologique et renouvelable. Dans les Laurentides, cette matière première alimente les entreprises de la région qui la transforment et rendent possible un écosystème local pour construire nos maisons.

Signature Bois Laurentides veille au rayonnement des nombreux produits du bois transformés sur le territoire des Laurentides. Créé dans le cadre de la démarche ACCORD du ministère de l’Économie et de l’Innovation, le réseau met en valeur un écosystème local et circulaire d’entreprises innovantes. Celles-ci misent sur le renouvèlement de la ressource forestière et la valorisation d’un matériau écologique, de la forêt jusqu’à sa transformation finale.

 

Détentrice d’un doctorat en biologie végétale, Valérie Levée s’est convertie au journalisme scientifique. Elle écrit, entre autres, pour L’actualité, Quatre-Temps, Prévention au travail et FORMES. On peut l’entendre à l’émission Moteur de recherche, sur les ondes de Radio-Canada, et à Futur Simple, sur celles de CKRL 89,1.

 

Arseni Khamzin est un artiste visuel et photographe établi à Montréal. Ses clichés sont parus dans un certain nombre de publications, dont DER GREIF, Primal Sight (Gnomic Book) et Open House Magazine. Il a aussi publié deux monographies portant sur son travail: JMZ et Matière première.

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