Village
Saunas mobiles: suer en bonne compagnie
Le silence n’est peut-être pas la prémisse d’une bonne séance en sauna. Les saunas mobiles réinventent les règles du jeu.
Texte—Gabrielle Anctil
Photo d’ouverture—Fabrice Cloutier
Selon la tradition slave, l’utilisation d’un sauna s’accompagne d’un risque: celui de croiser Bannik, l’esprit malin qui y vit. Pour l’apaiser, il faut respecter les règles: ne pas trop se dépêcher en se lavant (les saunas slaves servent à se nettoyer), ne pas boire d’alcool et laisser du savon, de l’eau propre et un faisceau de bouleau en offrande à notre départ.
Bien qu’ils n’évoquent pas le danger de subir l’opprobre d’un esprit mécontent, les saunas modernes proposent une liste de règlements plutôt semblables à celles et ceux qui les fréquentent. On y ajoute, par-dessus tout, l’injonction de s’y prélasser dans le calme, voire le silence. Cette consigne reflétait à l’époque le respect qui était dû à ce lieu de spiritualité, alors qu’aujourd’hui elle vise à favoriser la relaxation.
Les choses sont sur le point de changer. Avivées par un vent venu d’Europe, les braises de nos saunas seront peut-être bientôt synonymes de discussions vivifiantes et de bons moments entre ami·e·s. Tout ça grâce à un nouveau venu décomplexé: le sauna mobile.

Socialisation suante
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Depuis quelques années, l’Europe est prise d’assaut par la fièvre du sauna. Au Royaume-Uni, en Irlande ou en Norvège, entre autres, on voit apparaitre sur les abords des lacs, des ruisseaux ou divers endroits publics des cabines surchauffées. À Oslo, capitale norvégienne, la mode est aux saunas flottants, où les travailleur·euse·s plongent dans l’eau glacée sur l’heure du lunch. On trouve même facilement sur le web des instructions pour concevoir notre propre installation, qu’elle soit sur roues ou fixe, dans notre cour arrière.
Il n’y a peut-être qu’en Finlande où le sauna n’a jamais vraiment perdu la cote. Là-bas, il est courant de passer la soirée à suer en famille, entre ami·e·s ou entre collègues. Pour prendre des nouvelles d’un·e proche qu’on n’a pas vu·e depuis longtemps, on va ensemble au sauna. Les Finnois·es en ont bien sûr intégré un à leur ambassade à Washington, et les évènements diplomatiques qui s’y déroulent sont parmi les plus courus de la capitale états-unienne.
Les Britanniques ont récemment mis cette tradition à leur sauce, en ajoutant des roues aux petites cabanes en bois et en les trimbalant un peu partout dans le pays. Ces saunas mobiles sont conçus diversement à partir d’anciennes remorques à chevaux, de caravanes ou d’autobus. On peut ainsi les déplacer suivant les saisons et les envies de leurs propriétaires.
Un exemple: sur la plage d’Aberdeen, dans le nord de l’Écosse, on trouve parfois le sauna Haar, construit et ouvert au public par Callum Scott. Celui qui est enseignant au primaire a déniché une vieille remorque à chevaux qu’il a recouverte de bardeaux de mélèze d’origine locale. «Je voulais un sauna pour le bord de mer, mais aussi pour partir en tournée dans les montagnes enneigées, confiait-il en 2022 au The Guardian. J’aime particulièrement l’aspect social. C’est un endroit où rencontrer des gens dans une ambiance décontractée.»
Dans ce pays de brume et de pluie, le sauna est désormais considéré comme «le nouveau pub».

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Abonnez-vousUne idée qui fait du chemin
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Et de ce côté-ci de l’Atlantique? «L’industrie des spas nordiques est florissante au Québec. On en compte une quarantaine à travers la province», observe Frédérik Nissen, cofondateur du Solstice sauna, un sauna mobile accessible cet hiver sur la plage de North Hatley dans les Cantons-de-l’Est (le sauna sera retiré en été). Selon lui, notre intérêt pour les activités impliquant des chocs de température n’est plus à démontrer.
Dès que les premiers flocons tombent, les skieur·euse·s s’élancent sur les pistes, les raquetteur·euse·s sur les sentiers et les adeptes du chocolat chaud s’installent près de leur fenêtre avec un bon livre. Le sauna s’ajoute à la longue liste des manières de vivre notre nordicité et d’apprécier le froid. Souvent sises au milieu de la nature, ces cabines en bois permettent une connexion directe avec celle-ci, notamment lorsqu’on s’immerge quelques instants dans le plan d’eau glacé à la suite d’un passage dans la chaleur étouffante.

«S’il fait beau, les gens restent dehors un moment et absorbent de la vitamine D, témoigne Frédérik Nissen. Pas besoin d’un voyage dans le sud pour être au soleil!» Se prélasser presque nu·e à l’extérieur en janvier est une excellente manière de ressentir la variation de température dans tout son corps. Et si l’air est trop frais, on peut toujours retourner à l’intérieur et admirer le paysage à travers la fenêtre, bien assis sur le banc chaud.
L’entrepreneur souhaite créer des espaces où, à l’instar des Britanniques, la jasette est permise, voire encouragée. Il est vrai que dans les spas nordiques au Québec, il est généralement interdit de parler pour assurer la quiétude des lieux. Au Solstice sauna, qui a ouvert ses portes en décembre 2022, pas besoin de chuchoter. «Nous avons reçu un groupe récemment qui parlait tellement fort qu’il fallait crier pour discuter avec la personne à côté de nous», donne-t-il en exemple.
Une troisième maison
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Quoique les séances ne soient pas toutes aussi agitées, l’idée demeure de créer un lieu qui, comme un café, un restaurant ou un bar, permettra de retrouver nos ami·e·s à l’extérieur de notre logis et de faire des rencontres impromptues. «La différence avec un bar, c’est que c’est bon pour la santé», ajoute le cofondateur. Des études démontrent en effet les bienfaits d’aller au sauna plusieurs fois par semaine, notamment pour la santé cardiovasculaire ou la diminution du risque de développer l’Alzheimer.
Le concept n’est pas sans rappeler celui du tiers lieu, pensé par le sociologue Ray Oldenburg dans les années 1980. Ces endroits, situés en dehors de la maison et du travail, doivent être accessibles, donc gratuits ou peu chers, et l’activité principale qui s’y déroule est la conversation.


Tandis que ces tiers lieux sont en voie de disparition (une tendance accélérée par la pandémie dans les dernières années et les effets du capitalisme tardif), la redéfinition du sauna se présente comme une solution de rechange aux pubs où les amitiés sont facilitées par l’ivresse. Pour un prix semblable à nos deux pintes, on profite d’un endroit parfait pour croiser un·e inconnu·e avec qui on jasera pendant quelques minutes ou plusieurs heures avant de rentrer chez soi, habité·e par la magie de ces amitiés éphémères.
«Quelqu’un m’a dit, après une visite à Solstice sauna: “chaque village devrait avoir son sauna public”», rapporte Frédérik Nissen. En se multipliant, ces espaces pourraient-ils être encore plus accessibles?
En attendant la démocratisation des saunas mobiles, ce sont nos corps qu’il faudra déplacer pour vivre l’expérience de ce qui deviendra peut-être un jour notre nouveau salon. Levons notre verre d’eau (il est important de s’hydrater dans cette chaleur) au dicton finnois: tous les humains sont créés égaux, mais nulle part autant que dans un sauna.
Gabrielle Anctil est journaliste indépendante. On l’entend à l’émission de radio Moteur de recherche, on la lit dans Québec Science, BESIDE et Continuité. On la voit aussi sur les ondes de Savoir média, dans l’émission Bataille pour la forêt. Elle est l’autrice de l’essai Loger à la même adresse aux éditions XYZ. Été comme hiver, on la trouve, rayonnante, sur sa bicyclette.
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