Embellir avec l’âge

Dans un garage qui fait office d’atelier, le maroquinier Patrice Didier ― fondateur de La Compagnie Robinson ― célèbre les marques du temps en concevant des objets qui verront passer les années et leurs méandres.

Texte—Marie Charles Pelletier
Photos—Eliane Cadieux

En partenariat avec

Un matin d’automne à Brigham, Patrice Didier nous accueille devant l’atelier attenant à sa petite maison. À l’aube de la quarantaine, le maroquinier se trahit par le coupe-fil pendu à son cou par un lacet de cuir: nous sommes à la bonne adresse. Les manches relevées et un espresso à la main, il nous invite à l’intérieur, où le feu crépite déjà dans le poêle à bois. Sur des étagères s’entassent des ceintures, des porte-cartes, des sacs à buches, des étuis, ainsi qu’un éventail de teintes naturelles allant du beige au kaki. Des outils à manche en bois ― tranchets, emporte-pièces, poinçons ― sont accrochés sur l’établi. Et sur des crochets, des bobines venues du Japon dont le fil n’attend que de se faire couper.

C’est ici que l’artisan autodidacte fabrique des accessoires de cuir qui traversent le temps et survivent aux tempêtes.

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«J’aime faire ― et savoir que je vais refaire la même chose», dit celui qui trouve une forme de méditation dans le travail du cuir. Il trace, colle, s’assoit sur un tabouret, boit une gorgée de café, coud et trime. C’est l’une des rares occupations qui l’obligent à ralentir.

Au départ, il faisait tout à la main, même la couture. Mais aujourd’hui, une fois le patron tracé, le cuir coupé, la colle contact appliquée, Patrice ouvre la porte arrière pour laisser entrer le soleil et s’installe devant sa machine.

Pour le textile, les machines à coudre vont très vite, mais pour le cuir, le servomoteur adoucit la cadence et impose une lenteur nécessaire. «Si je me trompe d’un point, explique-t-il par-dessus le ronronnement rassurant de l’engin, je dois recommencer la pièce au complet.» Aussi bien s’atteler et se concentrer.

Trouver sa shed
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Celui qui a un passé (et un présent à temps partiel) en marketing admet toujours chercher à comprendre l’exécution qui se cache derrière les objets, les emballages, les photos ou les rendus. Cette déformation professionnelle l’a d’ailleurs mené, il y a plus de cinq ans, à vouloir percer le mystère de l’étui à lunettes à 200 dollars qui venait de se casser entre ses mains. Après l’avoir tourné et retourné, il s’est décidé à tenter un prototype. Quelques vidéos sur YouTube plus tard, il s’est rendu chez Tandy ― LE magasin des artisan·e·s du cuir, établi au Canada depuis 1919 ― pour acheter le nécessaire. Sans savoir que ce nouvel étui, qui tient encore, marquerait le début de quelque chose.

Le travail des mains était pour lui une escapade. Mais comme il se voyait mal rentrer un planeur et un banc de scie dans son 5 1/2 de Villeray, il a décidé de se tourner officiellement vers le métier du cuir. Tout ce qu’il lui manquait, c’était l’expérience ― celle qu’on ne peut acquérir qu’avec le temps.

«Je me suis mis à patenter, à apprendre de nouvelles techniques, à m’acheter de meilleurs outils. Jusqu’au jour où j’ai été content du rendu de l’objet que je venais de faire.»

– Patrice Didier
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Ce temps, il l’a trouvé en effectuant des choix ― parfois mauvais, précise-t-il ―, dont celui de laisser tomber son emploi à temps plein et de quitter la ville, en 2015. «Je rêvais d’être à la campagne, sur un petit chemin de terre. Parce que les gens font un paquet d’affaires en région, en plus de leur métier.»

La patine du temps
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Fondée en 2016, La Compagnie Robinson est née de la volonté de créer des objets intemporels ― simples et durables. Des objets qui vivront longtemps et qui pourront se transformer en legs.

Pendant qu’il coud minutieusement, Patrice nous apprend que Robinson est le nom de sa mère et, vous l’aurez deviné, celui de son grand-père. Marius Robinson n’était ni cordonnier ni artisan: c’était un homme de sa génération qui aimait travailler de ses mains et passer du temps dans sa shed. «Moi, je gossais autour pendant que mon grand-père me répétait de faire attention à ses outils, de ne pas prendre celui-là, de ne pas me faire mal», se remémore Patrice. Trente ans plus tard, c’est à son tour de passer du temps dans sa shed et de rappeler à sa fille de cinq ans de prendre garde à ses outils.

Patrice traverse son atelier, visiblement à la recherche de quelque chose, avant de revenir avec un sac d’école en cuir, fait à la main à Magog; un trésor déniché dans une vente de garage il y a quelques années. «Une dame l’avait refilé à sa fille qui avait ensuite achevé ses études, et donc plus personne ne s’en servait. Il y a deux générations de griffonnage là-dedans», lâche-t-il en dévoilant le pan intérieur du sac comme un papyrus.

C’est ce genre d’objets qui l’inspirent. Ceux qui ont une histoire et qui prennent de la valeur avec les années. Ceux dont la patine leur concède un caractère vivant. Son amour du cuir se ressent particulièrement quand il le compare à «un bon whisky vieilli en baril de chêne».

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Patrice travaille d’ailleurs uniquement avec du cuir au tannage végétal, à la différence de la presque totalité de l’industrie. Les tanins naturels contenus dans l’écorce, les racines ou les fruits agissent comme des agents acides pendant la macération en fut de chêne, qui peut durer jusqu’à 60 jours. Ce processus confère au cuir la particularité d’être entièrement biodégradable. L’autre façon de le tanner ― avec des minéraux de chrome ― est certes plus rapide, mais implique des rejets d’eau contaminée importants. La Compagnie Robinson a fait venir des échantillons d’un peu partout avant de trouver une tannerie basée en Pennsylvanie qui limite ses rejets d’eau contaminée et qui n’utilise que du bétail destiné à la viande pour éviter les pertes. Le cuir est plus raide au départ, c’est vrai, mais à mesure qu’on le traine avec soi, il s’assouplit et laisse apparaitre les marques du temps qui passe.

C’est un art que Patrice Didier maitrise bien: celui de trouver la beauté dans l’imperfection, de voir les nouvelles écorchures comme autant de vestiges d’aventures. L’artisan souhaite que cette philosophie se ressente à travers les objets qu’il fabrique près du poêle. Pour que ceux et celles qui les utiliseront n’aient pas peur de les voir vieillir à leurs côtés.

Un tabouret en cuir pour les chalets BESIDE
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Le banc à trois pattes que l’on retrouve dans les chalets BESIDE est un objet phare de La Compagnie Robinson, puisqu’il allie des matériaux chéris par l’artisan: le cuir et le bois. «Ce sont des matières qui s’usent et qui donnent du caractère à l’objet au fil du temps. Comme pour mieux raconter son histoire», explique Patrice, pour qui ce tabouret a été l’occasion de sortir de son cadre habituel. Les pattes en chêne et le siège en cuir épais ont été pensés et assemblés avec l’espoir d’accueillir plusieurs générations de fessiers, sur le bord d’un feu ou d’un lac.

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