L’étable nouvelle

Au Gré des Champs: replacer les humains — et les animaux — au cœur de la ferme.

Texte—Juliette Leblanc
Photos—Virginie Gosselin

Sur le terrain de la ferme laitière et de la fromagerie Au Gré des Champs, un chemin nous mène de bâtiment en bâtiment, tous agglutinés dans un joyeux désordre. Tout au bout se dresse une silhouette à l’allure futuriste; une grande structure de bois et de métal munie de parois translucides, qui, malgré sa taille imposante, s’allie naturellement au paysage vallonné de la Montérégie en arrière-plan.

Hangar d’avion? Salle multidisciplinaire artistique? Non: c’est une étable.

Lorsque Marie-Pier Gosselin a entrevu la possibilité de reprendre la ferme familiale, elle a eu envie de réfléchir à un nouveau milieu de vie pour les 55 vaches, ainsi qu’à un nouvel espace de travail pour l’équipe. «C’est parti d’un besoin pratique, évidemment. L’ancienne étable, érigée en 1963 par mon grand-père, ne répondait plus exactement aux normes», m’explique Marie-Pier. «En général, on construit les fermes en ajoutant des bâtiments, des rallonges, des hangars, bref, sans vraiment avoir de vision d’ensemble.»

Marie-Pier, elle, avait envie d’un lieu qui reflèterait la riche histoire de la ferme, portée par trois générations.

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Ce sont d’ailleurs ses parents, Daniel et Suzanne, qui ont implanté la fromagerie en 2000, pour valoriser leur production laitière biologique — une pratique encore marginale à l’époque. On y fabrique depuis un bel éventail de fromages au lait cru, qui rayonnent à travers la province.

Outre sa volonté de rendre hommage au patrimoine familial, c’est son intérêt pour l’architecture et le design qui a poussé Marie-Pier à repenser l’étable. Comment allier convivialité, esthétisme et fonctionnalité? En consultant les listes de lauréats de concours d’architecture, elle a eu un coup de cœur pour les projets de la SHED, firme montréalaise qui cumulait principalement des projets résidentiels à ce moment-là. La touche ludique et l’utilisation de matériaux sobres ont particulièrement charmé Marie-Pier, qui a pris contact avec le studio début 2017. Elle cherchait aussi une équipe jeune, qui serait interpelée par un projet hors-norme. (Parce que oui, construire une maison pour des vaches, ça demeure un projet hors-norme.)

Marie-Pier avait également le désir de revisiter les pratiques de l’industrie. Et cela transparait dans la conception de l’endroit: les vaches y sont considérées comme chez elles et traitées aux petits soins.

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Ici, les «filles» ont environ six fois plus d’espace que dans une étable classique. L’été, elles passent leurs journées à l’extérieur, dans le pâturage, et ne rentrent que pour la traite et les repas. L’hiver, c’est dans ce lieu — leur cathédrale laitière, si j’ose — qu’elles passent le plus clair de leur temps. Si elles lèvent la tête, elles peuvent apercevoir le ciel et sentir le soleil.

Le squelette de bois de l’étable est visible de l’extérieur, grâce aux panneaux translucides utilisés pour les murs et le toit, qui permettent à la lumière naturelle d’inonder l’espace en journée. Les parements de pruche intérieurs forment quant à eux un rappel des matériaux traditionnellement utilisés pour construire les fermes.

Emballée par le résultat, Marie-Pier souligne que la luminosité accroit la fertilité et la production de lait, et remonte le moral — celui des vaches comme celui des travailleur·euse·s. Adieu, étable sombre et humide! Pour l’équipe de la SHED, l’objectif était justement de «remettre les notions de respect du paysage rural et du patrimoine agricole au cœur de la conception de l’étable, notions qui sont souvent mises de côté de nos jours, où l’on favorise plutôt les concepts d’optimisation de la production sans se soucier du confort des animaux».

En 2020, le projet a reçu des distinctions bien méritées dans des concours d’architecture et de design. Comme l’expliquent ses artisan·e·s, chaque visite dans ce bâtiment devient, pour les gens qui y travaillent, une occasion de vivre la ferme — au-delà des tâches quotidiennes.

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