Au milieu d’un verger de Rougemont avec Vanessa Pilon

Illustration—Florence Rivest

L’animatrice québécoise Vanessa Pilon a embrassé la campagne montérégienne il y a trois ans, pour y élever sa fille. Depuis, elle s’intéresse tant à la mycologie qu’à la permaculture (mais rêve parfois que tout ce savoir puisse lui être transmis en un clic). Dans son émission Allons boire ailleurs, elle rencontre des humain·e·s aux quatre coins du globe, en prenant la boisson — locale — pour prétexte. On peut aussi la suivre dans Chante-moi la pomme, une websérie qui présente les différentes étapes de son projet de rénovation intergénérationnel. Elle travaille présentement à son premier livre.

Vanessa répond au questionnaire BESIDE à l’abri d’un blizzard de février, avec un bébé chien qui ronfle allègrement sur sa cuisse.

Ton plus beau souvenir d’enfance en nature.
J’ai grandi en banlieue et mes parents n’étaient vraiment pas «nature». Je me souviens d’avoir joué dans la boue pour la première fois à cinq ans, d’avoir senti la terre entre mes doigts, et de m’être autorisée à me salir. C’était exaltant.

Je me souviens aussi vivement d’avoir été au parc Forillon, en Gaspésie, en 5e année, et d’avoir participé à une activité de groupe gratuite, où une plongeuse allait cueillir des algues pour nous les faire gouter par la suite. C’était la première fois non seulement que je mangeais des algues, mais aussi que j’avais un lien direct avec la provenance de ce que je mangeais. On dirait que je n’avais encore jamais pensé que la nourriture ne poussait pas en épicerie!

Ton écart climatique.
Je fais vraiment attention sur plein d’aspects: je m’approche de plus en plus du zéro déchet, je roule électrique, je composte dans ma cour, j’achète moins et surtout local, mais j’ai de la misère à résister aux achats en ligne faciles qui arrivent à ma porte trop emballés. Et, aussi, hors pandémie, je voyage beaucoup. Pour me déculpabiliser, je me dis que l’avion aurait décollé de toute façon et que ça n’a pas vraiment d’impact, que je pogne le lift avec le reste de la gang. Je sais que c’est faux.

Un projet architectural qui t’inspire.
Il y en a tellement! Le projet qui m’a le plus inspirée, ces dernières années, est le musée Chichû, sur l’ile de Naoshima, au Japon. Le musée est complètement sous terre, intégré à une falaise, et perturbe à peine le paysage naturel. À l’intérieur, l’emplacement des œuvres et des fenêtres a été réfléchi en fonction de la lumière naturelle, qui filtre en abondance. C’est un travail spectaculaire de Tadao Ando. Il y a aussi, sur l’ile, le musée de Teshima, qui me donne des frissons chaque fois que j’y pense. En fait, l’ile de Naoshima au complet est l’un de mes endroits favoris sur Terre. La cohabitation entre la nature, l’architecture et l’art y est grandiose. Je rêve d’y retourner.

Un enjeu qui te préoccupe dans ton quartier, ta ville ou ton pays.
Depuis trois ans, j’habite en milieu rural. Ma maison est entourée de terres agricoles, principalement des monocultures. Je suis donc témoin de toutes les interventions chimiques nécessaires pour maintenir un rendement qui permet de générer des profits. Au départ, en bonne urbaine bienpensante, j’étais choquée contre les agriculteurs et les agricultrices, mais plus je les côtoie, plus je me rends compte que nous avons tous un rôle à jouer dans ce marché. On cherche à acheter les légumes les moins chers, tout en exigeant qu’ils aient une apparence parfaite: c’est certain que ce standard n’encourage pas les pratiques agricoles les plus éthiques et les plus respectueuses pour l’équilibre des écosystèmes.

La connaissance ou le savoir-faire que tu aimerais acquérir.
L’herboristerie et la mycologie m’intéressent beaucoup. J’aimerais être en mesure d’identifier et de cueillir les végétaux indigènes et les champignons qui se trouvent sur le territoire qui m’entoure. J’essaie aussi de bien saisir la permaculture, mais je me décourage vite. J’aimerais ça, recevoir tout ce savoir en un download; mais la vérité, c’est que ça prend beaucoup de temps et, surtout, d’essais et d’erreurs.

Un documentaire que tout le monde devrait voir.
Fantastic Fungi. 

Un·e photographe ou un·e artiste visuel·le qui t’inspire.
Cette question me fait mal en dedans tellement je voudrais nommer des dizaines et des dizaines d’artistes qui me font vibrer. Celui qui me vient en tête présentement, c’est Maurice Harris, qui se décrit comme «la Beyoncé des fleurs». Il m’a complètement fait revoir la façon dont je percevais les arrangements floraux. Je trouve qu’il y a, dans son approche, une irrévérence et une folie qui me poussent à regarder les fleurs avec curiosité et admiration, au-delà de l’aspect décoratif.

Une personne qui te donne espoir.
J’ai envie de répondre: la jeunesse en général. Il y a un éveil, une ouverture et une détermination à l’égard du changement qui me donnent beaucoup, beaucoup d’espoir.

Un projet qui t’occupe en ce moment.
J’ai récemment découvert la parfumerie naturelle, et j’aime jouer avec les odeurs, essayer de raconter des histoires, créer des univers olfactifs. J’aimerais lancer ma propre ligne, toute naturelle, responsable, et axée sur les plantes indigènes. Aussi, je suis en train d’écrire un livre. C’est le projet qui m’effraie et m’excite le plus en ce moment.

Ton talent secret au chalet ou en camping.
Je suis super efficace pour allumer les feux, et j’aime m’en occuper. Genre, un peu trop. Je connecte avec le feu comme si ma vie en dépendait. Cette passion déstabilise souvent les gars, à qui l’on délègue généralement la gestion du feu. Ç’a déjà (souvent) été l’objet de conflits avec d’anciennes flammes. (SUPER jeu de mots, je sais!)

Quel aspect de la nature attire le plus ton attention?
Les gens qui se sont rendus jusqu’ici dans mon questionnaire auront compris ceci: je suis fascinée par les champignons. J’aime que ce soit seulement une toute petite manifestation, très funky, d’un vaste réseau, largement invisible.

Quelle est ta conviction la plus révolutionnaire?
Je carbure aux convictions révolutionnaires! C’est ce qui me garde hors du cynisme. Je ressens profondément la connexion entre toutes les formes de vie, et à quel point notre bienêtre dépend de celui de toutes les créatures. Ça sonne illuminé, ça sonne trop simple pour être vrai, mais si on vivait toutes et tous avec cette prémisse, le monde serait radicalement différent.

Quelles petites habitudes te permettent de rester ancrée dans le moment présent?
Je sais que ça gosse beaucoup de gens de se faire dire que la méditation transforme le cerveau, mais c’est vrai. C’est simple, gratuit, et accessible à tout le monde. Ça demande simplement du confort dans l’inconfort, un désir d’aller à la rencontre de soi, et de la patience. Pour moi, la méditation, c’est l’ultime outil de transformation.

Que cherches-tu à trouver le courage de faire?
Vivre dans un écovillage. Je sens depuis un petit moment l’appel de la vie en communauté, de la mise en commun des ressources, de la résilience, etc. Malgré mes convictions, une grosse partie de moi résiste. J’ai peur de perdre ma liberté et de devoir faire des compromis, tout le temps. J’ai encore beaucoup à désapprendre.

Raconte-nous une expérience en nature qui t’a ramenée à ta propre mortalité.
Il y a quelques années, j’ai marché avec un ingénieur forestier sur sa propre terre. Il m’a éveillée aux cycles de la forêt et amenée à voir la mort comme une étape nécessaire, qui fait place au renouveau. Jusque-là, je percevais la mort comme quelque chose de tragique, à éviter le plus possible. Je suis vraiment plus en paix avec l’impermanence et les cycles naturels depuis cette rencontre.

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